Henri Pouillot à Macron : «Le rapport Stora minimise les crimes de la France»
Par Abdelkader S. – Henri Pouillot considère que le rapport de Benjamin Stora «minimise complètement l’ampleur des crimes commis tant pendant la période coloniale que pendant la Guerre de libération de l’Algérie», dans une lettre adressée au président français, Emmanuel Macron. L’ancien appelé qui avait été affecté à la villa Susini de triste mémoire, entre juin 1961 et mars 1962, estime, par ailleurs, que les préconisations de l’historien sont «très insuffisantes». «Je veux donc compléter ce rapport, parce que, comme Benjamin Stora, j’ai également un passé lié à l’histoire commune de la France et de l’Algérie. Mais ce n’est pas le même, nos mémoires sont très différentes et ne peuvent donc se concilier, juste se juxtaposer», a-t-il précisé.
«Ce rapport évoque, certes, la violence lors de la conquête de l’Algérie et durant les années du XIXe siècle, mais semble beaucoup minimiser les enfumades, les répressions, les exécutions sommaires qui se sont poursuivies, féroces, à chaque contestation des effets de la barbarie du colonialisme», souligne Henri Pouillot, qui reproche à l’auteur du rapport de n’avoir pas «évoqué cette discrimination terrible des deux collèges où les voix des indigènes comptaient dix fois moins que celle des pieds-noirs et des convertis au catholicisme».
«Certains crimes sont évoqués comme de simples exactions», regrette Henri Pouillot, qui rappelle que «parmi les crimes oubliés, les plus criants sont les viols, les crevettes Bigeard, les exécutions sommaires, l’utilisation du gaz Vx et Sarin, les villages rasés au Napalm, les camps d’internement, pudiquement appelés camps de regroupement». Et d’ajouter que «le crime de Charonne est totalement occulté», ainsi que «les saisies, censures de journaux, revues» qui «ne sont pas évoquées, pas plus que les répressions des manifestations – presque toutes interdites – réclamant la paix en Algérie, souvent brutalement réprimées».
«Le rôle de l’OAS est notoirement sous-estimé», note encore l’auteur de Mon combat contre la torture. «Dans les archives de l’armée que j’ai pu consulter concernant la période et sur une toute petite partie d’Alger, là où sévissait le régiment dont je dépendais, j’ai décompté une moyenne de sept attentats par jour, dont la moitié du fait de l’OAS», indique-t-il, tout en estimant «scandaleux» que «malgré les engagements» que le président français a pris lors de son déplacement chez Josette Audin, en septembre 2018, de favoriser leur accès, «des décrets très récents restreignent considérablement, de fait, leur consultation».
Pour lui, «la reconnaissance et la condamnation des crimes contre l’humanité, crimes d’Etat, crimes de guerre […] commis au nom de la France et la désignation des responsabilités doivent être très claires». «Il ne doit pas s’agir de repentance, de demande de pardon, mais de reconnaître l’ampleur, l’importance qu’ils ont revêtue», a-t-il insisté, en concluant que le «climat discriminatoire» qui règne actuellement en France est «basé sur une tradition colonialiste» et «est pour une bonne part à l’origine de replis communautaristes que l’on peut parfois constater et une certaine forme de refuge dans l’expression religieuse pour ceux qui se sentent considérés comme des sous-citoyens dans la vie quotidienne, mais qui retrouvent dans la religion une citoyenneté à part entière».
«Qu’un prosélytisme trouve alors une audience, rien d’exceptionnel, et c’est un chemin tout tracé vers un radicalisme», a-t-il mis en garde.
A. S.
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