L’Algérie théâtre d’opérations grandeur nature pour les services secrets
Contribution de Bachir Medjahed – Pourquoi feindre l’étonnement, l’indignation et surtout ne pas rater l’opportunité d’un nationalisme à l’excès quand on apprend que des services de renseignement étrangers s’intéressent de près, de trop près même, aux différentes expériences subies ou engendrées par notre pays en matière d’interaction au sein des couples sécurité/insécurité, stabilité/instabilité ?
Des expériences inédites dans un contexte international normalement marqué par la substitution de l’idéologie par la géopolitique ont induit de nouvelles vulnérabilités des systèmes de défense intérieure et pratiquement l’effacement des frontières entre sécurité intérieure et sécurité extérieure.
L’Algérie était devenue un théâtre d’opérations et d’apprentissage grandeur nature tant en matière de sécurité que de politique et de recherche d’une corrélation entre ces deux variables.
Cela a commencé avec la guerre pour l’indépendance. L’étude des stratégies algériennes de guérilla menées dans et à partir des maquis pour un enjeu de politique et non de maffia a bien suscité l’intérêt approfondi des états-majors de défense américains. Il en est de même pour les stratégies mises en place par les forces coloniales françaises en Algérie. Le film de La Bataille d’Alger a fait l’objet d’une étude intéressée.
Le 5 Octobre a été également un cours qui a permis de sortir des laboratoires par des exercices grandeur nature. Les services de renseignement du monde entier n’ont pas raté l’occasion de s’instruire sur le cas algérien. Comment des jeunes se sont-ils engagés dans des émeutes non provoquées par des partis politiques qui n’existaient pas encore ? Pourquoi l’armée est-elle intervenue dans des missions qui n’étaient pas les siennes ? Pourquoi des forces de police étaient-elles dépassées devant des scénarios non prévus ? Comment et par quelle maturation du processus islamiste de prise de décision qui a abouti à récupérer les émeutes et pourquoi les démocrates tout aussi clandestins que les islamistes n’ont-ils pas saisi l’opportunité d’une telle récupération ?
Les services étrangers de renseignement n’ont pas besoin de franchir les frontières en annonçant leur venue en tant que tels. Ils sont dans les ambassades.
Les cours les plus globaux à forte teneur de stratégie sont offerts par ce qu’on appelle la décennie noire. Cours multidisciplinaires aux variables non maîtrisées. Quelle place pour le renseignement ? Quelles composantes d’une lutte globale ?
L’armée a eu à affronter un mouvement armé qui opère dans la clandestinité, laquelle confère parfois à ce dernier une supériorité opérationnelle et une possibilité d’agir par des harcèlements. Un phénomène nouveau et un parasitage de l’évaluation des rapports de force. Les enseignements sont nouveaux, ne serait-ce que par la création de concepts nouveaux tels GLD, patriotes, garde communale, etc., qui traduisent l’implication des populations dans la lutte dite contre le terrorisme, soit une popularisation de la parade. Ce fut, dit-on encore aujourd’hui, une expérience à théoriser qu’ont cherché à partager des partenaires internationaux de la lutte contre le terrorisme.
2001 a été l’année de la confrontation entre la gendarmerie et les jeunes de Kabylie. Inédit. 127 morts. Le principe de la boucle décisionnelle qui se traduit par le risque pénal en bas et le risque politique en haut n’a pas fonctionné. Le renseignement concerne le pourquoi du recours extrême à l’usage de l’arme à feu face à des jeunes émeutiers. Là encore, les services de renseignement sont gâtés. Ils n’avaient qu’à lire la presse pour tout comprendre.
Enfin, les services étrangers ont le Hirak à analyser sur le plan sécuritaire. Deux grandes leçons. Les populations manifestent deux jours par semaine et il n’y a aucun acte de violence commis par les jeunes, même pas une vitre brisée dans la rue. De la même façon, l’armée n’est pas sortie pour «punir» les populations. Certainement que ces deux côtés sont scannés par les services étrangers de renseignement.
La communauté du renseignement est très appréciée par les populations dans les pays où la culture fonde les modes de réflexion comme également le lien entre la nation et son armée est sans cesse renforcé.
B. M.
Ancien conseiller à la présidence de la République (HCE), ancien analyste à l’Institut national des études stratégiques globales (Inesg)
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