L’ennemi classique ou le trio de malheur
Contribution de Nacer Achour – Il est grand temps de laisser notre passé aux historiens et de tourner la page après l’avoir lue et sans la déchirer. Il est grand temps de reconnaître la vraie valeur de cette terre africaine et méditerranéenne au passé millénaire et glorieux et pour la libération de laquelle un prix fort a été payé, cette terre en colère qui nous regarde droit dans les yeux avec l’air de nous crier à la face : «Stop ! Basta ! Ça suffit ! Je n’en peux plus ! Cessez vos gamineries, vos égoïsmes, vos lâchetés, vos hypocrisies, vos trahisons, vos mesquineries, vos hésitations, votre aveuglement, votre ignorance… Cessez de vous plaindre, cessez vos jérémiades, cessez de vous disputer, cessez de chercher qui a tort qui a raison… Cessez de parler quand il faut se taire et cessez de vous taire quand il faut parler… C’est quoi votre problème ? Regardez autour de vous ! Voyez le sort réservé à celles et à ceux qui, naguère encore, en avaient une de patrie où ils vivaient presque heureux sans le savoir et qui se retrouvent brutalement sans patrie ! Leur ignorance, leur inconscience a fait d’eux des apatrides et leur patrie, telle une proie déchiquetée par les rapaces et les prédateurs de tous bords, souffre, n’en finit pas de souffrir !»
La Libye, pour ne citer que ce pays voisin, est en passe de disparaître. Un projet de partition en trois Etats est en cours d’élaboration. Viendra le tour de la Tunisie où une agitation malsaine prélude à un autre printemps qui achèvera cet Etat qui résiste honorablement au chantage. Le Maroc lui-même n’y échappera pas pour peu qu’il continue à contrarier ses maîtres. Il paraît que Momo VI est en train de revenir sur sa décision de normaliser ses relations avec l’entité sioniste.
Le divorce de la Kabylie du reste de l’Algérie est presque consommé si l’on s’en tient aux dernières opérations électorales que le pays a connues (la présidentielle du 12 décembre 2020 et le référendum sur la Constitution) même si l’Etat usera de tous les moyens constitutionnels, y compris l’usage de la force si besoin, pour éviter que cette région ne se détache du reste du pays et ne serve de base arrière et militaire à «l’ennemi classique».
La Kabylie sera alors entraînée, sans le vouloir, dans la violence comme en 1963-1964. Une guerre fratricide qui fera la joie, comme en ce temps-là, de l’«ennemi classique». Je me demande d’ailleurs s’il n’y était pas pour quelque chose, l’ennemi classique ! La sagesse du colonel Mohand Ouelhadj, heureusement, a permis de déjouer le piège dans lequel la région est tombée. Nous aurions tort de condamner le grand guerrier, le révolutionnaire Yaha Abdelhafid et ses compagnons d’arme. Ce n’était pas un politique et nous nous inclinons devant la mémoire des martyrs Arav At Ali, Velaid Aït Medri et leurs compagnons du maquis, sans oublier celle des soldats de l’ANP morts dans l’accomplissement de leur devoir envers la patrie.
C’est cette guerre fratricide que nous voulons éviter et que certains appellent de tous leurs vœux. L’ennemi classique ne lésine pas sur les moyens : des comptes bancaires sont ouverts en Europe pour financer la guerre psychologique et la propagande, pour pousser les jeunes Algériens à se rebeller contre les institutions de leur pays.
A l’instar du projet d’établissement d’un Etat théocratique cher à Abassi et Benhadj qui a failli entraîner la disparition de l’Etat algérien, le projet séparatiste de Ferhat Mehenni est porteur de tous les dangers.
Mais il faut rester optimiste : la région a de tout temps traversé des épreuves et elle a toujours su dépasser des situations on ne peut plus graves et c’est tout à son honneur. Elle a toujours su panser ses blessures sans pour autant oublier. Cependant, il est extrêmement urgent qu’elle prenne conscience et qu’elle cesse de tomber dans le piège de ceux qui veulent nuire au pays, en la poussant dans l’erreur car «à chaque fois que la Kabylie est blessée, c’est l’Algérie qui est perturbée».
La vigilance doit donc être de mise devant ce que l’ennemi classique ne cesse de concocter pour la région et, partant, pour tout le pays.
L’absence d’engouement sur les réseaux sociaux pour le projet de loi sur les élections dont une mouture a été remise aux partis politiques augure du sort qui sera réservé aux prochaines élections dans cette région que se sont disputés jusqu’ici le Front des forces socialistes (FFS) et son rival le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) et à un degré moindre le Parti des travailleurs (PT).
Il convient d’espérer que la pratique politique dans la région reprenne sa place, à l’instar de l’année 2005, l’on se rappelle où des élections partielles avaient permis à cette région de renouer avec la pratique politique et «faire», ainsi, «barrage aux brigands» pour reprendre les propos mêmes de Saïd Sadi qui avait sillonné la région afin de sensibiliser la population et l’inviter à s’impliquer dans ces élections. «Il faut éviter que les petits brigands de corrompus manipulés par Ouyahia arrivent à prendre les APC en Kabylie», dira-t-il sur les ondes de la radio communautaire Berbère-TV, un certain dimanche 10 juillet de l’année 2005.
La mort de Guermah Massinissa, l’on se rappelle, le vendredi 20 avril 2001, à l’hôpital Mustapha des suites de ses blessures par balles dans une brigade de la gendarmerie à Béni Douala, deux jours avant, avait mis le feu aux poudres et toute la région a basculé dans la violence. On parle de 127 morts dont Naït Amara Omar, un ancien élève de l’auteur de ces lignes, et des centaines de blessés entre 2001 et 2003, de Boumerdès au nord de Sétif, en passant par Tizi Ouzou, Bouira, Béjaïa et Bordj Bou Arréridj.
La Kabylie venait donc d’entrer dans une zone de turbulences suite à quoi, et longtemps après, la vie politique se résumait aux activités du «Mouvement citoyen des archs» devenu par la suite Coordination des archs, daïras et communes (CADC).
L’on se rappelle également les conditions dans lesquelles s’étaient déroulées les élections locales qui avaient permis «l’installation par la force publique des indus élus». L’on se rappelle encore que le parti du FFS s’était vivement opposé à la dissolution des assemblées locales en Kabylie. L’on se rappelle enfin que le RCD n’écartait pas, selon Sadi, de «faire alliance avec les forces politiques positives, notamment le FFS pour faire échec à la démarche du pouvoir». Il se dit même «partant pour des listes communes avec le parti d’Aït Ahmed».
Il est heureux d’apprendre que ces partis rivaux reprennent langue encore une fois (une première rencontre du genre depuis de longues années), prenant sans doute conscience que le contexte politique difficile que traverse le pays exige d’eux, comme en 2005, de reprendre le chemin de la pratique politique qui passe obligatoirement par la participation aux prochaines échéances électorales à même de leur permettre de concrétiser l’idéal démocratique qu’ils disent défendre.
Car, ils ne sont pas sans savoir que leur responsabilité est engagée dans un moment aussi difficile pour la nation et qui interpelle tout un chacun, du simple citoyen au chef de l’Etat, en passant par la société civile, les partis politiques et l’élite intellectuelle, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.
Mais quand un jeune député du RCD publie ceci sur son Facebook, je cite : «Il est plus que temps d’envisager de nouvelles formes de lutte, pacifiques mais plus efficaces. La désobéissance civile longtemps combattue par ces mêmes chapelles politiques pour maintenir leurs privilèges a toujours été l’ultime solution pour faire chuter les dictatures dans le monde», mes craintes pour l’avenir de la région et du pays ne peuvent que se renforcer.
Et pour conclure : Il est plus qu’urgent que le chef de l’Etat s’adresse au peuple pour le rassurer, que les victimes de règlements de comptes et d’autres dépassements commis par un passé récent soient innocentées et libérées au plus vite afin d’installer un climat d’apaisement, prélude à un début de confiance entre gouvernants et gouvernés.
N. A.
Ecrivain, ancien militant du RCD
(Essonne, France)
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