Le redressement ou l’enlisement
Contribution de Samir Bouakouir – Le 22 février prochain offre une occasion historique au pouvoir de s’amender, en annonçant des décisions politiques majeures de nature à rétablir la confiance et à ouvrir la voie à une sortie pacifique, ordonnée et démocratique de cette dangereuse impasse. Le processus de «dégaïdisation» peut trouver son épilogue avec ce climat d’indignation unanime qui frappe le pays suite aux révélations du jeune Walid Nekkiche et qui met en cause un des généraux artisan de la «guerre politique» menée contre la révolte citoyenne et pacifique du peuple algérien.
Une enquête doit être ouverte pour situer les responsabilités et sanctionner de façon exemplaire les auteurs d’un acte infâme qui n’est en rien un cas isolé et qui, non seulement porte atteinte à l’intégrité et à la dignité humaine, mais nourrit la colère et la défiance vis-à-vis d’appareils sécuritaires dont les missions traditionnelles et constitutionnelles ont été détournées à des fins de polices politiques. Une colère et une défiance qui ne manqueront pas d’être instrumentalisées par ceux qui, confondant résistance pacifique et nihilisme destructeur, ne parviennent pas ou refusent, car agissant pour le compte d’officines étrangères, d’associer luttes politiques légitimes pour le changement démocratique et préservation de l’Etat national.
Il est grand temps de refermer cette parenthèse brutale qui a suivi la fin du «clan Bouteflika» pour envoyer des signaux clairs en direction des patriotes du pays et plus généralement des hommes et des femmes de bonne volonté qui ne cessent de réclamer une approche lucide et responsable des réalités du pays et dont les voix peinent à se faire entendre dans ce vacarme incessant provoqué par les jusqu’au-boutistes de tout bord.
Notre pays ne peut plus supporter cet immobilisme politique que l’illusion d’un «contrôle de la situation» par la coercition, d’une bienveillance occidentale et d’une hypothétique remontée des cours du pétrole tendent à renforcer. Le monde qui s’annonce ne sera pas une réplique de la guerre froide et de la menace nucléaire mais d’une guerre économique et technologique. La pandémie du Covid-19 et de ses multiples variants est un accélérateur de l’histoire qui catapultera les peuples et les nations, à la fois dans la frayeur et l’espérance, dans ce nouveau monde qui conditionnera l’accomplissement des destins nationaux au pari fait sur l’innovation et l’intelligence.
Ce monde en transition, où l’écologie et l’intelligence artificielle bouleverseront les modes de production et de consommation, pour le meilleur ou le pire, impose à notre jeune nation de se défaire définitivement des schémas et des structures de pouvoir archaïques et castrateurs. A l’heure d’un épuisement des ressources naturelles, du vieillissement de la population mondiale, notre jeunesse, aux compétences insoupçonnées, sera notre principale richesse.
Le 22 février prochain, c’est vers elle qu’il faudra se tourner et lui tendre la main non par paternalisme mais en engageant le pays dans un vrai processus démocratique qui crée les conditions politiques de son épanouissement et, par conséquent, de toute une nation.
Cela exige de la part des détenteurs du pouvoir réel, l’armée notamment, de saisir la nature des dynamique sociales, culturelles et psychologiques qui animent la société algérienne et qui ne sauraient être jugulées ou contrariées indéfiniment par un durcissement de l’arsenal répressif, à défaut d’une redistribution de la rente, rendue impossible par l’état inquiétant des finances publiques.
Les enjeux géopolitiques et l’hostilité croissante que manifestent certains pays à l’endroit de l’Algérie devraient inciter les décideurs à changer radicalement de paradigme plutôt qu’à se laisser tenter par un nouveau pronunciamiento soft qui ne dit pas son nom.
La sécurité nationale, une question qui ne se résume pas à sa dimension militaire ou policière mais intègre les aspects politiques, économiques, sociaux et culturels, nécessite, pour être préservée, la construction d’un consensus national autour d’un projet politique qui sonne la mobilisation des élites et des compétences nationales, qu’elles résident en Algérie ou à l’étranger, pour poser les jalons d’une Algérie démocratique et sociale, soucieuse de sa souveraineté, fière de sa diversité culturelle et linguistique et ouverte sur le monde.
La logique de cooptation et de clientélisation des élites civiles qui a prévalu depuis l’indépendance doit donc rapidement céder devant une coopération politique intelligente, dans un esprit de partenariat, loin de toute forme de subordination, entre politiques et militaires. Le processus d’autonomisation du politique ne signifie pas l’éloignement du militaire des décisions stratégiques, a fortiori dans ce contexte régional délétère, mais constitue la condition indispensable à la réhabilitation et la consolidation de l’Etat et de ses institutions.
La situation du pays, d’une gravité exceptionnelle, suppose un sens élevé de l’Etat et de l’intérêt national qui n’autorisent plus les réaménagements de façade, les arrangements claniques et les remaniements ministériels qui en découlent dans la perspective de nouveaux simulacres électoraux.
Le pays a besoin d’un gouvernement politique de redressement national capable de mettre en œuvre une feuille de route consensuelle élaborée par l’ensemble des forces vives du pays et adoptée lors d’une convention, d’une conférence ou d’un congrès national.
S. B.
Ancien premier secrétaire du FFS (2005-2007) et ancien porte-parole du parti
Comment (25)