Un médecin répond à la polémique sur le caractère halal ou pas du vaccin Sputnik
Contribution du Dr Abderrahmane Cherfouh – Le mois de janvier 2021 aura été riche en événements sur le plan national, un mois pénible que nous venions de vivre à l’ombre de la pandémie. En premier lieu, il y a eu le feuilleton de la statue de Chachnaq et puis le feuilleton Stora qui ont occupé un bon moment le devant de la scène, alimenté les débats et suscité des réactions diverses, contradictoires, la plupart contreproductives (à quelques exceptions près) qui ont tourné parfois à l’invective et au parti pris flagrant qu’apportent fatalement les passions manifestes ou camouflées des uns et des autres qui se produisent souvent quand on aborde les sujets sensibles.
La fin du mois de janvier aura également été marquée par l’arrivée du fameux vaccin qui nous a tenus en haleine pendant un mois. Un moment historique ! Ainsi, le feuilleton du vaccin a pris fin ! Il est finalement en Algérie ! Un vrai exploit salué comme il faut par la presse nationale. Il s’agit, comme tout le monde le sait, du vaccin russe Sputnik V. Les 50 000 premières doses ont été reçues le vendredi 30 janvier. Le coup d’envoi du vaccin contre le Covid-19 a été officiellement lancé le samedi 31 janvier dans la ville de Blida, le premier foyer connu de la pandémie. L’Algérie a reçu une partie des 500 000 doses commandées. Pour le reste, les principaux responsables politiques n’ont pas fourni de détails quant à la date de la prochaine livraison et à la quantité de doses qu’elle contiendra.
Ceci, sans oublier de mentionner la colère qui couvait dans le milieu de la santé et la grogne qui était palpable contre le gouvernement, qui était devenu la principale cible des attaques des spécialistes qui n’y sont pas allés de main morte pour exprimer leur fond de pensée face à un problème qui était devenu récurrent. Les autorités poussées dans leurs derniers retranchements ont finalement répondu à l’appel incessant lancé par les professeurs en médecine et les médias.
On peut dire que l’honneur de la République est sauf ! La promesse de débuter la campagne de vaccination au mois de janvier 2021 a été tenue d’extrême justesse mais les mauvaises langues, dont je fais partie, vous diront que ce petit quota n’est que symbolique !
Mais soyons honnêtes ! Face aux pays riches, l’Algérie ne fait pas le poids. Il serait naïf de croire que notre pays puisse bénéficier d’un quota plus conséquent de la part des laboratoires qui ne prêtent qu’aux riches. Aujourd’hui, l’Algérie est incapable financièrement d’acheter en quantité suffisante toutes les doses de vaccins mises sur le marché. Il n’y a que les pays nantis, les géants, à l’image des Etats-Unis et les pays de l’Union européenne qui mettent le paquet et dépensent des milliards de dollars pour acheter tous les vaccins disponibles sur le marché. Notre pays, hélas, n’a plus les moyens pour s’offrir les vaccins. Même le Canada fait pâle figure devant ces superpuissances qui raflent tout ce qui se trouve sur le marché. A titre de comparaison, la France a commandé 200 millions de doses de vaccins pour 67 millions d’habitants. C’est plus qu’il n’en faut ! De quoi vacciner 100 millions de personnes (avec deux injections nécessaires espacées de 21 jours) mais leur Premier ministre dit que c’est une marge de sécurité à prévoir.
Mais rien n’est perdu pour nous, l’Algérie voit apparaître une lueur d’espoir quant à la possibilité de produire le vaccin russe Sputnik V localement et négocie à l’heure actuelle avec les Russes pour qu’ils nous aident à transférer leur technologie de pointe. Il faut saluer ces amis russes qui, non seulement sont prêts à nous aider, mais vont jusqu’à nous encourager à produire leur vaccin. Ainsi, l’Algérie ne sera plus dépendante des vaccins produits dans d’autres pays. Il faut, bien entendu, solliciter encore l’aide des Russes pour construire des usines pour produire ces vaccins, et cela doit nécessiter de nouvelles installations adéquates et plus appropriées. Ce n’est pas du jour au lendemain que tout cela peut se faire. Ça va prendre du temps mais vaut mieux tard que jamais.
Il faut souligner que le vaccin russe, qui avait déclenché une réponse immunitaire dès le mois de septembre 2020 avant que les autres vaccins ne soient développés, a été jugé efficace à 91,6% selon des résultats publiés mardi 2 février 2021 dans la revue médicale The Lancet et validés par des experts indépendants. Pourtant, dès l’annonce de sa fabrication, la communauté scientifique internationale avait accueilli avec méfiance ce vaccin, en reprochant au gouvernement russe de ne pas avoir publié les données, et beaucoup de pays, toujours les mêmes qui doivent se reconnaître, avaient émis des doutes quant à la fiabilité et l’efficacité de ce vaccin en raison, justement, de la non-publication de ces données sur les essais menés. La célérité avec laquelle ce vaccin a été produit a semé le doute parmi la majorité des scientifiques, et la plupart d’entre eux n’ont pas hésité à se poser des questions quant à la crédibilité de ce vaccin. Cela leur semblait irréaliste qu’on puisse développer un vaccin aussi important dans un temps très court.
Pourtant, les Russes l’ont fait ! Ils ne pensaient pas que les Russes étaient capables en ce laps de temps arriver à damer le pion aux autres concurrents et à les devancer pour le podium. Mal leur en a pris, ils durent s’avouer vaincus et reconnaître le mérite et le haut savoir scientifique et technologique de pointe et ultrasophistiqué des Russes, y compris l’OMS (Organisation mondiale de la santé) qui s’est alignée sur le point de vue de ces experts et avait émis un doute quant à l’efficacité du vaccin russe en se méfiant de lui et en ne lui accordant aucune confiance. Il faut dire que l’OMS n’est pas à une contradiction près. Depuis le début de la pandémie, elle nous a habitués à constater ses nombreuses volte-face. On peut lui reprocher beaucoup de choses, entres autres, son manque de communication, son parti pris flagrant envers certains laboratoires, son mécanisme Covax qui tarde à prendre forme et ses promesses fort attendues d’aider les pays moins nantis à bénéficier d’un quota bon marché et qui tarde à se concrétiser sur le terrain. Ceci dit, finalement, ce vaccin russe a pris sa revanche et n’a rien à envier aux deux autres vaccins concurrents, à savoir Pfizer/NbioTech et Moderna dont les développements ont été annoncés en grande pompe et avaient bénéficié d’un traitement médiatique plus que royal.
«Par ailleurs, le Sputnik V se compose en fait de deux composants différents, administrés en deux injections successives, à trois semaines d’intervalle, détaille l’étude publiée vendredi dans la revue britannique The Lancet.» Il s’agit de vaccins à «vecteur viral» : ils utilisent comme support deux adénovirus humains (famille de virus très courants) transformés et adaptés pour combattre le Covid-19.
L’autre fait marquant de cette fin du mois aura été, bien entendu, la fatwa émise par nos «éminents et érudits» imams qui ont jugé en leur âme et conscience que l’administration de ces vaccins est hallal ! Excusez du peu ! La question légitime que tout citoyen algérien peut se poser est la suivante : de quoi se mêlent-ils ces gens-là ? A trop vouloir écouter l’avis de ce monde qui n’a rien à voir avec des choses qui le dépassent, ça a gâché un peu le coup d’envoi de la campagne de vaccination.
Que pouvaient bien chercher nos imams ? Des précisions sur les composants du vaccin ? Parmi les composants de certains vaccins, il y a bien de la gélatine ou l’albumine ovine qui sont les principaux agents de stabilisation du vaccin et on recommande de ne pas administrer un vaccin contenant de la gélatine pour des sujets qui en sont allergiques (ex : le vaccin contre la rubéole, la rougeole et les oreillons (RRO). Comme tout le monde le sait, la gélatine est extraite de la peau du porc, sa source la plus courante.
Et pourtant, pour ne pas heurter les convictions religieuses des communautés musulmanes et juives, les quatre premiers laboratoires qui ont développé les vaccins, à savoir Sputnik V, Pfizer/BioNTech, Moderna et Astra Zeneca ont tenu à confirmer que leurs vaccins ne contiennent pas de gélatine de porc. Les autres laboratoires qui sont en voie de produire les vaccins contre le coronavirus ont dû, eux aussi, s’aligner sur les desiderata de ces communautés religieuses et vont produire les vaccins qui ne contiennent pas de gélatine de porc. Il faut reconnaître que ces compagnies pharmaceutiques ont fait des efforts dans un but purement commercial. Ils ont réussi à développer de nouvelles façons de faire pour satisfaire une clientèle qui se soucie peu de l’efficacité du vaccin mais préfère accorder de l’importance et axer son attention sur ses composants. Or, dans la religion musulmane, et ceci sans être un érudit en la matière, on dit que «li’dharoûrati ahkâm» et tout ce qui peut sauver la vie est halal.
Mais le simple fait que la commission de la fatwa ait déclaré le vaccin halal et donné son approbation pour que le vaccin soit administré au citoyen algérien crée un dangereux précédent. Il fallait juste un simple communiqué du ministère de la Santé pour confirmer que le vaccin russe ne contient pas de gélatine de porc et ça aurait suffi à calmer les ardeurs des uns et des autres. Pourquoi aller jusqu’à consulter cette commission religieuse dont les vaccins et tout ce qui touche à la santé de la population ne relèvent pas de son autorité et de ses prérogatives ?
Mais la politique de la propagande, de la démagogie, du clientélisme ne l’entend pas de cette oreille, et cette politique n’hésite pas à propulser sur le devant de la scène une pléthore de charlatans qui se contentent d’invectiver, de hurler, de discourir à longueur de journée sur des sujets très sensibles qui peuvent heurter la fibre sensible des honnêtes citoyens ; un monde figé, léthargique, qui reste fixé à un passé révolu largement dépassé de nos jours, un monde hystérique qui n’a rien à voir avec la réalité de la nouvelle configuration mondiale et les avancées technologiques et qui cherche à exploiter la crédulité d’un public non averti sous le regard bienveillant de ceux qui décident à notre place. Il faut reconnaître que c’est difficile de faire taire ces charlatans. Ils sont là depuis la nuit des temps, disséminés aux quatre coins du globe.
Leur présence a sillonné l’histoire de l’humanité. Ils ont traversé toutes les révolutions et, à chaque fois, ils en sortent indemnes. Ni la révolution industrielle, ni la révolution communiste, ni la grande révolution algérienne de 54-62, ni le Hirak, ni la révolution technologique, ni le monde de l’internet et des réseaux sociaux n’ont eu raison d’eux et ne les ont pas fait bouger d’un iota. Ils restent cramponnés depuis des siècles à leur logique, à leur univers dont ils sont les seuls à en détenir le secret.
A. C.
(Canada)
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