Le Marocain Youssef Hindi à Nasser Bourita : «Ne soyez pas enthousiaste !»
Par Karim B. – Le politologue marocain Youssef Hindi a conseillé au ministre des Affaires étrangères de son pays, Nasser Bourita, de ne pas être «trop enthousiaste» et de ne pas «considérer la normalisation avec Israël comme le deal du siècle». S’exprimant dans un débat avec un autre Marocain favorable au rapprochement de Rabat avec Tel-Aviv, l’islamologue a estimé que le Maroc «a hérité d’alliances qu’il n’aurait certainement pas voulues s’il en avait le choix».
«Pendant la décolonisation et juste après celle-ci, on ne peut pas dire que l’Etat marocain, la monarchie marocaine, avait les meilleures relations avec la France et avec l’Espagne en particulier, pour parler des deux colonisateurs de l’époque. Il faut revenir à l’époque. On est en pleine Guerre froide, il faut connaître le contexte. Il y a deux blocs qui s’opposent, deux blocs idéologiques et géopolitiques, l’Ouest et l’Est», a-t-il expliqué. «Même si le Maroc voulait rejoindre le bloc soviétique, il n’aurait pas pu, parce qu’il aurait eu de façon mécanique subi les révolutions de l’époque, socialo-communistes, cela aurait mis la monarchie en danger et, par conséquent, il lui restait un seul choix, en réalité, c’était de rejoindre le monde occidental», a-t-il précisé. «Le Maroc s’est donc retrouvé dans un système d’alliances – le Maroc est un vassal et non un allié – avec un certain nombre de pays qui l’ont occupé, qui l’ont dépecé et qui l’ont affaibli», a fait remarquer Youssef Hindi.
«Il est vrai que la normalisation actuelle avec Israël est en partie la conséquence des mécaniques de cette histoire et, puisque le lobby pro-israélien est implanté dans le monde occidental depuis de nombreuses décennies, quand vous vous retrouvez vassal des puissances occidentales, vous vous retrouvez avec le lobby israélien qui œuvre. D’ailleurs, le ministre des Affaires étrangères marocain l’a admis lors d’une interview au quotidien israélien Yediot Aharonot, en affirmant que le Maroc ne parle pas de normalisation puisque le Maroc a toujours entretenu des relations, même de bonnes relations avec Israël», a encore dit l’historien de l’eschatologie messianique.
«Si on prend le cas des ennemis d’Israël, le réalisme politique fait que, à un moment ou à un autre, ils ont eu des contacts, il y a eu une diplomatie parallèle, parfois même des échanges commerciaux sous le manteau avec ceux qui combattent Israël de façon directe. Israël, parfois, à travers ses relais, a tenté des rapprochements, je citerai par exemple Alexandre Adler qui, en 2012, prônait une alliance avec la faction libérale en Iran contre l’Arabie Saoudite, tandis que vous aviez des membres du lobby pro-israélien, de l’autre côté, comme Jacques Attali, qui sont conseillers du prince héritier en Arabie Saoudite et qui y ont des liens de proximité», a fait remarquer Youssef Hindi. «J’applique au Maroc la même méthodologie d’analyse et la même position que pour les autres pays», a-t-il insisté. «Quand je travaille sur le cas marocain, j’essaye d’oublier que je suis marocain. Certains Marocains me reprochent de ne pas être enthousiaste derrière chaque décision qui est prise [par Rabat], mais si je le faisais, je sortirais de mon rôle. J’essaye d’être le plus objectif possible», a souligné le chercheur qui dit refuser «tout contact avec Israël et son lobby».
«Je peux vous dire qu’à titre personnel j’ai été approché parce qu’ils (le lobby sioniste, ndlr) sont dans cette logique de tentative de retournement, même de leurs pires ennemis. Je refuse toute discussion parce que je sais ce qui nous attend au final», a-t-il fait savoir, en se montrant persuadé que «dès lors qu’on veut entretenir une relation avec cette puissance politique protéiforme qu’est Israël, que ce soit amical ou conflictuel, il faut le faire de façon extrêmement prudente». «Ce que je peux reprocher à certaines personnalités au Maroc, et même au ministre des Affaires étrangères marocain, c’est cette espèce d’enthousiasme, comme s’ils avaient signé le deal du siècle», a-t-il ironisé, car, selon lui, «n’importe quel acteur politique, pondéré et réaliste, éviterait d’être trop enthousiaste».
De son côté, Rachid Achachi, qui défend mordicus la normalisation, a admis la vassalité de son pays en en imputant la cause à «la présence d’un voisin embêtant par rapport à l’intégrité territoriale du Maroc» (sic) et en préconisant, non pas l’affranchissement de cette situation avilissante du Maroc mais son «optimisation», tout en avouant, par ailleurs, qu’Israël demandera toujours plus de soumission au Maroc car il «voudra toujours davantage pour maximiser son intérêt». Il appelle, paradoxalement, à «résister et faire barrage à cela par rapport aux brèches ouvertes par l’accord», estimant que «l’affaire n’est pas réglée» et qu’il faut «moins de naïveté et plus de pertinence» du côté marocain.
K. B.
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