Les défis de Tebboune face à des partis déficients et une société civile atomisée
Contribution du Dr Abderrahmane Mebtoul – Le président de la République est de retour et d’importants dossiers brûlants tant politiques, sociaux qu’économiques l’attendent, la situation actuelle étant préoccupante, de l’avis de la majorité des experts nationaux et internationaux.
Pour dépasser l’entropie actuelle, au regard de l’existence d’un lien dialectique entre le politique et l’économique, de nouvelles forces politiques, sociales et économiques réformatrices s’imposent car tout projet de société étant porté forcément par ces forces, les réformes étant fonction des rapports de force au niveau de la société et non au sein de laboratoires de bureaucrates. Les responsables algériens s’adapteront-ils à ce nouveau monde dynamique en perpétuel mouvement, n’existant pas de modèle statique, ou vivront-ils toujours sur des schémas dépassés des années 1970-2000 conduisant le pays à l’impasse ?
Pour réussir les réformes, l’Algérie, acteur stratégique de la stabilité de la région méditerranéenne et africaine, a besoin de nouvelles intermédiations politiques, sociales, culturelles et économiques, loin des aléas de la rente, afin d’éviter un affrontement direct forces de sécurité-citoyens en cas de malaise social. L’Algérie a besoin d’un système partisan et d’une société civile, connectés à la société. Les partis politiques traditionnels et la société civile appendice du pouvoir, vivant par la rente, sont souvent incapables de servir d’intermédiation politique et sociale car non crédibles aux yeux de la population où, en cas de malaise, les forces de sécurité se retrouvent seules en face des citoyens.
En raison des crises internes qui les secouent périodiquement, du discrédit qui frappe la majorité d’entre elles, de la défiance nourrie à leur égard et à l’endroit du militantisme partisan, les formations politiques actuelles ont une faible capacité aujourd’hui de faire un travail de mobilisation et d’encadrement efficient, de contribuer significativement à la socialisation politique et donc d’apporter une contribution efficace à l’œuvre de redressement national.
Quant à la société civile, force est de constater qu’elle est éclatée, y compris certaines confréries religieuses qui, avec la désintégration sociale et une jeunesse parabolée, ont de moins en moins d’impact contrairement à une vision du passé. Comme pour les partis, la majorité ne se manifeste que sur instrumentalisation, vivant du transfert de la rente et non sur la base des cotisations de leurs adhérents. C’est que la confusion qui prévaut actuellement dans le mouvement associatif national rend malaisée l’élaboration d’une stratégie visant à sa prise en charge et à sa mobilisation. Sa diversité, les courants politico-idéologiques qui la traversent et sa relation complexe à la société et à l’Etat ajoutent à cette confusion.
Constituée dans la foulée des luttes politiques qui ont dominé les premières années de l’ouverture démocratique, elle reflétera les grandes fractures survenues dans le système politique national. Ainsi la verra-t-on rapidement se scinder en quatre sociétés civiles fondamentalement différentes, trois au niveau de la sphère réelle et une dominante dans la sphère informelle. Le plus gros segment, interlocuteur privilégié et souvent l’unique des pouvoirs publics sont des sociétés civiles appendice du pouvoir se trouvant à la périphérie des partis du pouvoir où les responsables sont parfois députés, sénateurs, vivant en grande partie du transfert de la rente.
Nous avons une société civile ancrée franchement dans la mouvance islamiste, certains segments étant l’appendice de partis islamiques légaux. Nous avons une société civile se réclamant de la mouvance démocratique, faiblement structurée, en dépit du nombre relativement important des associations qui la composent, et minée par des contradictions en rapport, entre autres, avec la question du leadership.
Et, enfin, nous avons une société civile informelle, inorganisée, qui s’est retrouvée au niveau du Hirak, atomisée, qui est de loin la plus active et la plus importante, formant un maillage dense, tous les acteurs voulant un changement, mais du fait de tendances idéologiques contradictoires incapables de s’entendre sur un programme de gouvernement cohérent.
L’intégration intelligente de la sphère informelle, non par des mesures bureaucratiques autoritaires, mais par l’implication de la société elle-même, est indispensable pour sa dynamisation. Car lorsqu’un Etat veut imposer ses propres règles déconnectées des pratiques sociales, la société enfante ses propres règles qui lui permettent de fonctionner.
Il faut un regard critique et juste sur la situation politique, sociale, économique et culturelle, sur ce qui a déjà été accompli de 1963 à 2020, et de ce qu’il s’agit d’accomplir entre 2021/2030 au profit exclusif d’une patrie qui a besoin de se retrouver et de réunir tous ses enfants autour d’une même ambition et d’une même espérance, la sécurité nationale et le développement économique et social du pays.
Nous devons méditer les idées de John Maynard Keynes pour qui «il vaut mieux que l’homme exerce son despotisme sur son compte en banque personnel que sur celui de ses concitoyens», de Voltaire : «Monsieur je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai de toutes mes forces afin que vous puissiez toujours le dire», du grand philosophe Aristote : «Le doute est le commencement de la sagesse» et de ce proverbe amazonien : «Quand on rêve seul, ce n’est qu’un rêve mais quand on rêve tous ensemble, c’est déjà le commencement de la réalité.»
A. M.
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