Pascal Blanchard : «Les Algériens n’ont jamais été bien traités en France !»
Par Mohamed K. – «On tue l’Arabe en France. C’est une histoire. Elle traverse cinq siècles d’histoire», a asséné l’historien français Pascal Blanchard qui explique dans une interview à Siné Mensuel que «les Arabes n’ont jamais été bien traités en France, jamais !» «Vous vous rappelez ce qu’il s’est passé en octobre 1961 avec un certain nombre d’Algériens jetés dans la Seine, je vous rappelle le 14 juillet 1953 où dix Algériens ont été tués dans les rues de Paris», a-t-il insisté, en ajoutant : «Je pourrai égrainer entre trois et cinq morts par an uniquement à Paris dans les années 1920 et 1930 et je peux remonter comme ça jusqu’à 1453.»
«Aujourd’hui, ce qu’on entend, c’est une minorité qui refusera toujours catégoriquement cette égalité, cette culture passée et cet héritage et, aujourd’hui, ils sont obligés de sortir du bois et on les entend», a souligné ce spécialiste de l’empire colonial français, d’études postcoloniales et d’histoire de l’immigration. «Même là-dessus, je suis plus optimiste que certains, parce que personne ne parlait des bavures dans les années 1950 contre les Algériens, tout le monde s’en foutait, et il y avait beaucoup plus de bavures à l’époque qu’aujourd’hui. C’est-à-dire qu’être noir ou arabe dans les années 1950, 1960, 1970 ou 1980, les Noirs et les Arabes savaient très bien ce qu’ils vivaient, ils savaient très bien ce que veut dire le mot bavure qui vient de la BAV, la Brigade antiviolence créée par Papon à Paris pour surveiller les Arabes. Sauf qu’à cette époque-là un Arabe tué, ça n’intéressait personne, un Noir agressé, tout le monde s’en foutait», a-t-il fait remarquer.
«Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Des deux côtés, le bruit existe, le débat existe», a encore indiqué l’auteur d’une thèse sur le nationalisme et le colonialisme. «On parle d’un siècle, voire de plus, de culture de violence, de manière de penser le monde. Nous devons apprendre quelque part à décoloniser nos imaginaires, à changer la manière dans le regard de l’autre», a-t-il estimé, avant de révéler que la France «est le seul pays à avoir eu une police des Noirs en 1777 sous Napoléon Bonaparte qui les parquait dans les ports parce qu’il voulait les expulser à Saint-Domingue, mais il va perdre Haïti». «Nous avons eu aussi une police des Arabes, installée rue Lecompte, dans le XVIe arrondissement de Paris, à partir de 1926, dont la seule mission sera de contrôler et de surveiller les Maghrébins de France dangereux. Et on aura une police des juifs sous Vichy», a-t-il relevé.
Pascal Blanchard invite les magistrats français à «faire leur histoire», parce qu’«ils ont besoin de se questionner de la manière dont la justice républicaine a été rendue durant les guerres d’Algérie, du Cambodge, du Vietnam et du Cameroun». Pour lui, «tant que ce travail-là n’est pas fait, vous ne pouvez pas espérer qu’un corps d’Etat soit meilleur que l’Etat si l’Etat ne fait pas ce travail pour lui-même».
Le chercheur au CNRS explique que «la troisième génération (d’immigrés, ndlr) aujourd’hui est revendicative». «En même temps, précise-t-il, ce que nous sommes en train de voir avec des déclamations, des actes, des expressions ou des violences racistes, c’est aussi la réaction assez épidermique sur un monde qui se normalise.» «Vous avez des racistes qui commencent à voir des élites, des gens qui arrivent des quatre coins du monde et qui, simplement, revendiquent l’égalité. C’est inacceptable pour eux. Donc, ils crient très fort. Ils jettent des bananes à Mme Taubira», a-t-il ironisé, en faisant référence à l’ancienne ministre française de la Justice qui avait été comparée par une élue municipale à un singe.
«La bonne nouvelle dans tout ça, c’est que, avant, ils n’avaient pas besoin d’hurler, de crier et de jeter des bananes à Mme Taubira car Mme Taubira n’avait pas le droit d’exister. Donc, ces racistes-là étaient confortés dans leur pouvoir de tranquillité», a-t-il conclu.
M. K.
Comment (16)