Pourquoi il ne faut pas dissoudre l’APN
Contribution du Dr Arab Kennouche – Alors que l’Algérie sort à peine d’une longue période de léthargie médicale et politique, le Hirak semble avoir montré par les manifestations de Kherrata du 16 février 2021 des signes de profonde résilience : ce n’est pas tant le nombre de manifestants qui importe ici mais la façon dont les contestataires ont bravé sans masque les dangers du Covid-19 comme pour dire qu’ils n’ont vraiment plus rien à perdre. Le message des hirakistes est clair et précis : le temps et la mort ne comptent pas pour eux.
Dans le même temps, le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, tout juste rentré d’un long séjour médical en Allemagne, n’a plus le droit à l’erreur et se doit de dépasser une rhétorique symbolique qui continue de persister dans ses premiers actes politiques. Au-delà des jeux de langage, du Hirak béni à la nouvelle Algérie, le Hirak semble bien avoir montré sa détermination : aucun compromis comme du temps du FLN en lutte contre la France coloniale. Il semble, en effet, que le mouvement s’inscrit dans la durée au moins comme une force de contestation du système politique actuel, qui a trop usé de l’arbitraire et de la corruption.
Le président Tebboune n’est cependant pas encore acculé s’il ne commet pas l’erreur de dissoudre l’Assemblée populaire nationale et de convoquer des nouvelles élections, avant même d’avoir reconfiguré l’échiquier des partis politiques, c’est-à-dire leur dénomination, leur esprit de démocratisation et leur ancrage direct dans la société actuelle. Il est évident que les consultations actuelles sont le signe d’une démarche encore frileuse, et politicienne plus que des actes de courage et d’ingéniosité politique pour désamorcer la crise actuelle. Sans même tenir compte de la légalité constitutionnelle de certaines formations, comme El-Bina, qui refuse de reconnaître l’officialisation de tamazight et dont le dirigeant, Abdelkader Bengrina, fut reçu par Tebboune, architecte de cette Constitution, on se rend compte que le dialogue politique instauré avec des formations n’ayant aucune ou peu de représentativité dans la société condamne les efforts du président de la République.
Comment, en effet, convoquer le corps électoral pour de prochaines législatives alors que les nouveaux promus, en plus de leurs tares constitutionnelles, ne représentent rien dans le corps vivant de la nation ? Comment convaincre l’ensemble de la nation d’un changement radical avec El-Bina et El-Moustaqbal qui sont des micro-partis inféodés à l’ancien système ? Tebboune courrait-il le risque de séduire un peuple une deuxième fois avec une démarche que le nouveau peuple ridiculisera aussitôt ? Et si El-Bina remportait les législatives et se mettait à tripatouiller la Constitution dans ses dispositions intangibles dont tamazight ?
Tebboune commettrait une grave erreur en faisant du neuf avec du vieux. Même en forçant la dose de neuf pour mieux camoufler le vieux. Le temps des gestes forts est venu. Il doit comporter une remise en forme des partis politiques qui participeront aux prochaines élections, selon des lignes politiques et constitutionnelles infranchissables. Le respect des lois de l’Etat enjoint le président de la République à interdire les formations qui n’en respectent pas les principes démocratiques et de liberté d’expression : pourquoi avoir fait voter des réformes constitutionnelles si celles-ci ne sont pas traduites dans la création et la légalisation des partis politiques ? Le président Tebboune a-t-il dérogé à sa propre règle en recevant Bengrina ?
Il semble évident que rien ne peut se faire en Algérie sans de nouveaux partis de la transition : le FLN est mort, il a été achevé par Bouteflika. Mais son héritage et son idéologie historique doivent rester éternels. Se pose dès lors une question fondamentale pour le président de la République : la transformation de ce véritable appareil d’Etat en force politique qui soit en phase avec la nouvelle Algérie sociétale du Hirak. Il faudra pour cela dépasser les clivages régionaux et entamer une profonde réintégration des éléments qui faisaient de ce vieux parti une référence morale. Tebboune ne doit pas manquer ce virage tortueux car c’est l’unique voie du salut de l’Algérie.
Dissoudre le vieux parti serait plus qu’un geste symbolique et montrerait que le pouvoir a entendu et écouté le peuple. Une telle dissolution préserverait l’ANP de toute nouvelle implication dans le champ politique et lui redonnerait l’image d’une véritable armée professionnelle qui s’éloigne des joutes politiques. Une formation politique nouvelle peut renaître des cadres du FLN comme partout ailleurs où des périodes de transition réussies ont eu pour effet même de redynamiser le sentiment national et patriotique. La mort du FLN ne signifiera pas la mort de la nation algérienne indépendante, tout au contraire. Le vieux parti a fait son temps, sa gloire et sa renommée.
Le président Tebboune a aussi la lourde tâche de nettoyer les branches pourries du Hirak. Car si on ne doit pas renier le FLN idéologique, on ne doit pas non plus badiner avec les errements du Hirak en direction de la mouvance islamiste internationale, du MAK ou bien encore du Makhzen marocain. Or, les procès qui se succèdent actuellement dans une ambiance lourde de suspicion pour le pouvoir algérien ont démontré l’incurie du système médiatique en Algérie en déphasage avec les autorités judiciaires. Les Algériens ne savent pas souvent pourquoi telle ou telle personne est poursuivie et incarcérée, par manque de communication sur les véritables raisons liées à des atteintes à l’ordre public et à la sécurité nationale.
Pour l’entame d’un véritable dialogue avec les voix patriotes du Hirak et respectueuses de la loi, Tebboune se doit de nettoyer au préalable le champ de la communication entre la société et les organes officiels de l’Etat afin de rendre crédible la politique sécuritaire en cours. L’Etat doit communiquer avec plus de tact et de volonté de transparence, surtout lorsque des tentatives de déstabilisation avérées, ou bien des actes d’intelligence avec l’extérieur, sont en cause. L’absence d’une communication acceptable qui convainque le peuple transforme souvent la victime en coupable. Emprisonner des personnes un an ou deux ans ou les faire sortir au bout de six mois en guise de clémence n’est pas une solution de raccordement entre les pouvoirs d’Etat et la société civile.
Or, c’est bien d’un nouveau pacte qu’il s’agit de négocier dans l’émergence du Hirak et dans ses tractations avec le pouvoir politique. Réduire ce mouvement à des résidus du FIS ou du MAK, formations idéologiques qui ne pèsent pas en Algérie, comporterait le risque de radicaliser les masses de citoyens algériens pacifiques, patriotes, réalistes et épris de justice sociale et économique. Le président Tebboune est désormais obligé de tendre la main au peuple, celui des zones d’ombre, des oubliés de la bahbouha (embellie financière), des miséreux qui ont devant leurs yeux le spectacle d’une Algérie sans Etat digne de ce nom. Il faut pour cela ne pas jouer avec le feu ou le symbolique, ne pas trembler devant la manœuvre, sortir le sécateur et en user à bon escient. Le temps des symboles est révolu, celui des gestes forts parvenu.
A. K.
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