L’islamologue Razika Adnani : «La Constitution est sous emprise islamiste»
Par Kamel M. – La philosophe Razika Adnani constate que «l’évolution de la Constitution algérienne à travers les différentes révisions révèle un renoncement, graduel mais systématique, aux droits de l’Homme, notamment la liberté de conscience et d’opinion» dans une tribune intitulée «La Constitution algérienne : les islamistes ont-ils gagné ?».
«La Constitution a privé les Algériens de leurs droits fondamentaux tels qu’ils sont inscrits dans la Déclaration des droits de l’Homme de 1948 et procuré à l’article 144 bis 2 du code pénal une légitimité qu’il n’avait pas en 2001», relève l’islamologue, selon laquelle «les islamistes qui prétendent avoir le monopole de la parole divine disposent donc d’un cadre constitutionnel et juridique pour faire la chasse à tous ceux qui ne sont pas d’accord avec leurs idées et leur vision de la société». «Ils ont ainsi pu s’imposer progressivement sans même que le peuple, qui s’est battu contre eux pendant des années, ne s’en rende compte», écrit-elle, en s’interrogeant : «Les islamistes ont-ils gagné ?»
Ce qui a inspiré le texte de Razika Adnani, c’est le procès intenté au théologien rénovateur Saïd Djabelkhir. «Les ennuis avec la justice algérienne de beaucoup d’hommes et de femmes, dont le dernier est Saïd Djabelkhir, se répètent et s’amplifient. Le délit est toujours le même : atteinte à l’islam, conformément à l’article 144 bis 2 du code pénal ajouté en 2001. Cette situation de grave atteinte à la liberté d’expression et à la liberté de conscience nécessite d’interroger la Constitution étant donné qu’elle constitue la loi fondamentale de l’Etat», relève-elle.
Cette spécialiste des questions liées à l’islam ajoute que «le législateur algérien ne s’est jamais trop soucié de légiférer en cohérence avec la Constitution», preuve en est «le code de la famille qui maintient les femmes en situation d’infériorité alors que la Constitution stipule l’égalité de tous les Algériens et Algériennes en est une bonne preuve, mais ce n’est pas la seule».
«Depuis l’indépendance, les Algériens ont eu six Constitutions. L’analyse des droits à la liberté individuelle, la liberté religieuse et la liberté d’expression, de la première Constitution, celle de 1963 à celle de 2020, permet de constater que les Algériens ont progressivement perdu beaucoup de leurs droits et en premier lieu le droit à la liberté», constate Razika Adnani pour qui la Constitution de 2016 a, «pour la première fois, dressé des bornes concernant l’exercice de la liberté d’expression[…] au nom de la religion, de la morale et de la culture réduisant drastiquement le champ d’action de la liberté et son expression». «Dans la société algérienne, où tout est lié soit à la religion, soit aux valeurs morales et culturelles de la nation pour reprendre les termes de la Constitution, la liberté d’expression est vidée de son sens», affirme-t-elle.
«La Constitution déclare donc les droits de l’Homme comme garantis et comme patrimoine inviolable des Algériens et en même temps s’en détourne, car fondée sur l’inégalité et l’obéissance, la morale de l’islam est à l’opposé de celles des droits de l’Homme», fait remarquer Razika Adnani, en concluant que «les islamistes ont profité de la réconciliation nationale voulue par Bouteflika pour soumettre les Algériens à leur volonté et aux lois de l’islam».
K. M.
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