Begag explique pourquoi en France les jeunes se tournent vers l’islam par défi
Par Nabil D. – «Plus la société française stigmatise les musulmans, plus les jeunes se tourneront vers l’islam par défi», a affirmé l’ancien ministre français d’origine algérienne Azouz Begag dans un entretien à l’hebdomadaire Le Point. «A l’approche de l’élection présidentielle (de 2022 en France, ndlr), je ne voudrais pas que les musulmans reviennent au centre des débats de société, même si Marine Le Pen jouera à fond cette carte», a-t-il ajouté.
«Ensemble, nous devons faire en sorte que les valeurs républicaines, l’égalité, le travail, la méritocratie, l’éducation, le respect des filles infusent peu à peu dans les familles et progressent. Chez les musulmanes comme chez les autres. Aujourd’hui, on a l’impression que ce sont les faits divers médiatiques qui font la politique», a souligné l’auteur du Gone du Chaâba, pour lequel «le chemin est fastidieux pour arriver à vivre ensemble, semé d’embûches et, de toute façon, il est sans fin».
«Le meurtre de Samuel Paty nous amène à la question de la haine sur Internet», a estimé Azouz Begag, en s’interrogeant : «Qui étaient ces musulmans qui ont fait courir l’information sur les réseaux sociaux que l’enseignant était un blasphémateur, antimusulman et qui ont provoqué une telle avalanche de haine qu’un type, tchétchène, à peine vingt ans, en vienne à égorger un professeur devant son lycée ?» «C’est là qu’il faut punir les propagateurs de haine. Sévèrement. On voit combien ce phénomène d’amplification de la folie sur la Toile, de la rumeur heurte les émotions grégaires de gens. Elle fait soudainement exploser des situations jusqu’à la mort», a-t-il déploré.
L’ancien membre des gouvernements De Villepin et François Bayrou s’est dit bouleversé «comme tous» par l’odieux assassinat de l’enseignant français par un jeune fanatique tchéchène. «Tuer et mourir pour la foi ! Quelle folie ! Quelle horreur ! Tant de gens ne comprennent même pas le sens du mot laïcité, séparation de l’Eglise et de l’Etat, athéisme, ne font pas la différence entre islamiste et islamique», a-t-il regretté.
Interrogé sur la liberté de conscience «qui va jusqu’au blasphème», l’enfant de Sétif répond qu’en abordant ces sujets sensibles on «entre dans une zone de turbulences». «Quand vous avez une partie de la population musulmane qui est à fleur de peau sur la question du blasphème et des caricatures : faut pas toucher. Je connais la posture figée, intransigeante, qui voudrait qu’en France, pays de liberté, on fasse ce qu’on veut ! Mais il y a l’autre, plus conciliante, qui prend en compte le caractère sacré et épidermique de l’identité musulmane chez les jeunes en particulier», a-t-il confié. «Partout à travers le monde, on ne touche pas à Mahomet. Surtout quand la foi est la première pierre du socle identitaire de la personne», a insisté Azouz Begag, convaincu que «d’aucuns préféreront mourir et vivre en martyr en défendant l’honneur de leur religion et du Prophète plutôt que de se laisser souiller par des caricatures».
«La religion est un sujet brûlant. Irrationnel. D’ailleurs, je le ramène toujours à la sphère privée lorsque je rencontre des jeunes dans des collèges et les lycées pour parler de mes livres. Dans la classe, j’explique que ma relation au bon Dieu ne regarde que moi, elle est privée, et que nous aurons une discussion, Lui et moi, au moment de dresser l’inventaire de ma vie sur terre», a expliqué le chercheur et écrivain qui a obtenu la nationalité française en 1989. «Comme feu mes parents, paysans algériens, pauvres et analphabètes, arrivés en France en 1947, ma foi est basée sur l’humilité, la discrétion, la liberté, la liberté de conscience et la connaissance, le savoir, ikra’ !» a-t-il insisté, en rappelant qu’en islam «un savant vaut mieux que mille croyants».
N. D.
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