«Machi askaria» : les islamistes ciblent l’ANP et exemptent l’armée turque
Contribution du Dr Lagha Chegrouche – Dans cette troisième et dernière partie de la contribution du Dr Lagha Chegrouche, le professeur à l’Université de Paris I explique pourquoi les Frères musulmans s’opposent à la nature de «l’Etat national» en Algérie et en Egypte, mais jamais à la Turquie où le poids de l’institution militaire est important.
Le terme «dawla» signifie d’abord cycle, période, dynastie. Il a été utilisé au début des Abbassides (750-1258) pour indiquer le «temps de succès» d’un calife, son règne califal. Puis, par la suite, il est associé à la «famille régnante» pour acquérir une connotation de «dynastie». Dans l’usage moderne, depuis le XIXe siècle, il est venu à désigner «l’Etat», en particulier un «Etat laïc de type occidental, par opposition à l’Etat dynastique, celui fondé sur la religion en terre d’islam» (dâr al-islâm), selon Nazih Ayubi (1995, op. cit.). Par contre, Wael B. Hallaq a conclu à «l’impossibilité de l’Etat islamique». Il soutient avec audace que l’idée de «l’Etat islamique», au regard de «l’Etat moderne», est à la fois «impossible et intrinsèquement contradictoire» (in Wael B. Hallaq, 2012, op. cit.)
La théologie islamique, en particulier la «charia», ne dispose pas de législation propre ou spécifique à la notion de «l’Etat», «l’Etat national» ou «l’Etat-nation ». Parce que «l’Etat est d’essence et de conception occidentale, sécularisée ou laïcisée». Cependant, une législation islamique relative à «l’émir des croyants» ou au «wali de la u’ma», c’est-à-dire le chef de la nation musulmane, le «calife», selon le triptyque islamique, «obéissance à Allah, à son Prophète et au wali (souverain) parmi vous», est abondante et intelligiblement élaborée. Des exemples historiques ont fonctionné sur ce modèle islamique califal de l’époque omeyyade à celle ottomane. Les monarchies du Golfe arabo-persique obéissaient à cette logique califale de «l’émir des croyants», le chef d’une «centralité théocratique», selon Rosenthal, F., 1965, op. cit.)
Par calcul politique ou sur ordre de «Sa Majesté d’Occident ou d’Orient», Hassen El-Banna (1909-1949), puis les «Frères musulmans» étaient déterminés à lutter contre l’obsessionnelle «emprise laïque occidentale sur la société musulmane» et à s’opposer à «toute transposition du modèle de l’Etat démocratique» (cf. Latifa Ben Mansour, 2002, Olivier Carré et Michel Seurat, 2002, op. cit.). Plus tard, tous les islamistes, y compris les Frères musulmans et les partisans de Daech, réclamaient haut et fort : «Dawla islamiya !» Pourtant, «l’Etat» est une centralité d’inspiration occidentale dans sa conception séculière, la séparation des pouvoirs. Cette «quête d’Etat islamique» a laissé des centaines de milliers de morts en Afghanistan, en Algérie, en Syrie, en Irak, en Libye et au Soudan.
Depuis le soulèvement populaire et démocratique en Tunisie – suivi des nouvelles révolutions colorées dites du «printemps arabe» –, des élites de l’islamo-confrérisme réclament l’émergence d’un «Etat civil» par opposition à une «dawla askaria» (Etat supposé militaire). Une pure spéculation fantasmatique de l’esprit complotiste des Frères musulmans. Ils s’opposent à la nature de «l’Etat national» en Algérie et en Egypte, jamais à la Turquie où le poids de l’institution militaire est important.
Tout de même, l’Etat moderne est la forme la plus élaborée de la vie commune d’une société humaine. Il coïncide souvent avec une nation définie en fonction d’une identité ou une culture commune et qui lui confère sa légitimité. L’Etat est une centralité géopolitique, une personne morale territoriale de droit public personnifiant juridiquement la nation, «titulaire de la souveraineté et du monopole de la contrainte organisée» (cf. Larousse).
L. C.
(Suite et fin)
Ndlr : Le titre est de la rédaction
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