Les veines ouvertes de l’imaginaire de la nation algérienne
Contribution de Khaled Boulaziz et Kaerdin Zerrouati – «Plus l’histoire d’un pays est ancienne, plus nombreuses et pesantes sont ces couches stratifiées de paresseux et de parasites qui vivent du patrimoine des ancêtres, de ces retraités de l’histoire économique.» (Antonio Gramsci, Cahiers de prison). Toute société, tant qu’elle est une totalité agencée, invente des significations qui construisent sa cohérence et lui permettent de définir ses particularités, gouvernant ainsi ses accès au monde, si l’on peut dire, en consentant aux hommes à trouver un sens, tout en structurant les espoirs et les peurs qu’ils l’y consument.
Ces mêmes significations indiquent en outre ce qui est juste et ce qu’il convient de faire ou non : adorer Dieu et suivre ses prescriptions, accumuler du capital, jouir sans entrave, ou lutter pour l’émancipation de tous.
La société algérienne ne fait point exception à cet énoncé.
Deux bouleversements historiques majeurs : la chute de Grenade et l’invasion française peuvent être vues comme éléments structurants de l’imaginaire algérien dans les temps les plus récents. Agissant sur l’inconscient collectif, ces deux évènements ont provoqué chez l’Algérien une grande appréhension largement justifiée et une ambivalence certaine par rapport à l’Occident.
Ce malaise fut entretenu sciemment par le discours colonial à travers un lexique choisi. Le même discours se produit plus largement dans la parole à l’adresse des Maghrébins.
Dès lors, et quelle que soit sa thématique ou son contexte de production, depuis sa naissance à nos jours, l’effort intellectuel algérien semble se limiter à cette dimension de contre-discours pour tenter de désinfecter un imaginaire fissuré et se le réapproprier comme valeur dialogique dans les soubresauts qui traversent la société algérienne.
Pour une grande partie de nos citoyennes et citoyens, l’Algérie reste un rêve non réalisé, un exil et un amour contrarié pour cette terre dont le socle imaginaire reste à construire.
Du déchirement, entre arabophones et francophones lorsque s’amplifie la Guerre d’indépendance, laissant deviner une issue de séparation. De l’exil, intérieur et extérieur, quand l’Algérie indépendante arrivait et qui souffrait cruellement d’une l’intelligentsia éclairée pouvant lui donner avant toute autre chose un projet sociétal.
De cet amour contrarié, les Algériens reprochent au pouvoir d’avoir vu en eux qu’une masse sans voix et sans dire dans leur destin ? Relégués comme étrangers dans leur propre pays. Une grande ambivalence persiste donc à propos d’Algérie.
D’un côté, il y a un pouvoir qui sait évoquer l’Algérie que lui seul prétend connaître sa singularité et sa sensualité ; de l’autre, il y a l’Algérien dépositaire de l’imaginaire national et dépourvu de liberté d’expression sur son devenir.
Enfin, une élite intellectuelle polarisée et qui diverge grandement sur la définition des modalités des grilles de lecture des strates sociales du pays. Car elle-même est incapable de s’émanciper des résidus historiques et idéologiques.
Si l’histoire n’est plus vue comme un processus continu, mais plutôt comme un ensemble de discontinuités, l’élite doit accepter l’héritage historique tel qu’il est.
Penser l’Algérie est d’abord un débat qui ne doit avancer que dans l’apaisement. Il doit être l’emblème de la pluralité des sens de l’histoire, des bifurcations possibles d’une société plurielle.
Cette démarche doit être cultivée dans la conscience des jeunes Algériens d’aujourd’hui, tout comme cet éveil national a intérêt à se réapproprier toute la richesse intérieure de ce peuple à travers les courants divers du nationalisme algérien.
L’Algérie se cherche, fouille dans les plis de sa mémoire les commencements d’une tragédie, d’une guerre, et décide de n’être pas prisonnière des antagonismes qui se déchirent.
Personne ne doit donc être accusé de traîtrise dans les camps qui s’opposent. Car, à l’intersection des points de vue, ceux qui veulent se réapproprier une terre qui est la leur à l’origine, et ceux qui considèrent que cette terre leur appartient désormais, l’imaginaire annonce ce que peut être la position d’un intellectuel : dans l’implication passionnée, l’engagement sincère, et la lucidité sans faille probant les lendemains incertains.
Cet éveil national et la fin de tous les maux qui accablent la nation dépendent de la vertu, du courage et des sentiments de ceux à qui est confié le redoutable honneur de défendre ses intérêts dans l’arène des faussaires de l’histoire d’hier, d’aujourd’hui et de demain ; de ceux qui avancent dans le noir sous le masque du patriotisme et du désintéressement afin d’éclairer avec perspicacité cette jeunesse qui piaffe, dans ses choix en lui évitant les écueils de l’intrigue et de l’ambition semées sous ses pas.
L’imaginaire de notre nation, le cœur battant de cet éveil national qui avance, sera restauré par les seules Algériennes et les Algériens qui doivent en tout temps avoir l’impératif d’additionner leurs espoirs au lieu d’opposer leurs peurs.
K. B./K. Z.
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