Par les chiffres : comment les réserves en devises ont fondu et le dinar a coulé
Contribution du Dr Abderrahmane Mebtoul – Les tensions géostratégiques au niveau de la région, la chute des prix du pétrole et surtout du gaz naturel de plus de 70% depuis 2010, procurant 33% des recettes de Sonatrach qui, en plus, connaît une baisse de production en volume physique, avec la baisse drastique des réserves de change, ont suscité à l’extérieur des analyses prévoyant de sombres scénarios sur l’avenir de l’Algérie 2021/2023. Pourtant, en ce mois de mars 2021, l’Algérie n’est pas au bord de l’effondrement ayant une dette extérieure relativement faible inférieure à 6 milliards de dollars. Mais il faut être réaliste et ne pas verser dans la démagogie. La situation pourrait prendre une autre dimension et s’aggraver sans un changement dans le système de gouvernance s’adaptant tant aux nouvelles mutations internes que mondiales.
Evolution des réserves de change
– 2001 : 17,9 milliards de dollars
– 2002 : 23,1 milliards de dollars,
– 2003 : 32,9 milliards de dollar,
– 2004 : 43,1 milliards de dollars,
– 2005 : 56,2 milliards de dollars,
– 2010 : 162,2 milliards de dollars,
– 2011 : 175,6 milliards de dollars,
– 2012 : 190,6 milliards de dollars,
– 2013 : 194,0 milliards de dollars,
– 2014 : 178,9 milliards de dollars,
– 2015 : 144,1 milliards de dollars,
– 2016 : 114,1 milliards de dollars,
– 2017 : 97,33 milliards de dollars,
– 2018 : 79,88 milliards de dollars,
– 2019 : 62 milliards de dollars,
– fin 2020, malgré toutes les restrictions à l’importation, selon la déclaration du président de la république en date du 1er mars 2021, entre 42/43 milliards de dollars les prévisions de la loi de finances complémentaire étaient de 44,2 milliards de dollars contre 51,6 prévus dans la loi initiale.
Les réserves de change ont baissé entre 2019/2020 de 20 milliards de dollars devant tenir compte de la balance de paiements et non de la balance commerciale d’une signification limitée. Comme le PLF 2021, les dépenses budgétaires (dépenses de fonctionnement et d’équipement) qui se situent à environ 64,98 milliards de dollars au cours de 128 dinars un dollar au moment de l’établissement de la loi et les recettes fiscales globales (ordinaires et pétrolières), estimées à 41,62 milliards de dollars, nous aurons un déficit budgétaire record de plus de 21,75 milliards de dollars contre, à la clôture 2020, de 18,60 milliards de dollars avec un déficit global du Trésor de 28,26 milliards de dollars, soit 17,6% du PIB, le solde des réserves de change fin 2021 devant s’établir à moins de 20 milliards de dollars. Qu’en sera-t-il en 2022 si le cours du pétrole stagne entre 55/65 dollars et s’il n’y pas de relance économique, la loi de finances 2021 pour son équilibre selon le FMI et la Banque mondiale, nécessitant entre 100/110 dollars le baril ? Le niveau des réserves de change dépendra donc fondamentalement de cinq facteurs.
L’évolution du cours des hydrocarbures pendant encore longtemps (98% des recettes en devises avec les dérivés) et du taux de croissance réel : du Produit intérieur brut (PIB) à prix courants, qui a été en 2019, de 0,8%, en 2020 moins 6,5%, donc une croissance inférieure à la pression démographique et selon la Banque mondiale dans son rapport du 21 janvier, pour 2021, +3,8% et 2,1% en 2022, mais un taux de croissance positif rapporté à un taux de croissance négatif pour la période précédente donnant un taux de croissance en termes réel faible, un niveau des importations de biens mais également des importations des services qui ont atteint 10/11 milliards de dollars/an entre 1010/2019, ne pouvant pas tout restreindre, quitte à étouffer tout l’appareil productif (le taux d’intégration entreprises publiques et privées ne dépassant pas 15%) et d’aller vers une implosion sociale avec un taux de chômage ayant dépassé 15% en 2020, de la capacité d’attitrer l’investissement direct étranger, d’une balance devises positive hors hydrocarbures supposant des entreprises compétitives en termes de coûts/qualité et d’une meilleure gestion et de la lutte contre la corruption via les surfacturations.
Evolution de la cotation du dinar
Qu’en est-il de l’évolution du cours officiel du dinar corrélé aux réserves de change via les recettes d’hydrocarbures à plus de 70% la période de 2001 à mars 2021 ?
– 2001 : 77,26 dinars un dollar 69,20 dinars un euro ;
– 2005, 73,36 dinars un dollar, 91,32 dinars un euro ;
– 2010, 74,31 dinars un dollar et 103,49 dinars un euro ;
– 2015, 100,46 dinars un dollar et 111,44 dinars un euro ;
– 2016 :100,46 dinars un dollar et 111,44 dinars un euro ;
– 2017 : 110,96 dinars un dollar et 125,31 dinars un euro ;
– 2018 : 116,62 dinars un dollar et 137,69 dinars un euro ;
– 2019 :119,36 dinars un dollar et 133,71 dinars un euro ;
– 2020 :128,31 dinars un dollar et 161,85 dinars un euro ;
– 2 mars 2021 : 133,03 dinars un dollar et 160,57 dinars un euro.
Ce dérapage du dinar par rapport au dollar et à l’euro accélère le processus inflationniste interne où la majorité des produits importés, excepté ceux subventionnés, connaissent depuis décembre 2020 une augmentation variant entre 30/50% en contradiction avec l’indice officiel de l’ONS non réactualisé depuis 2011, le besoin étant historiquement daté. Cette dévaluation qui ne dit pas son nom permet d’augmenter artificiellement la fiscalité hydrocarbures (reconversion des exportations hydrocarbures en dinars) et la fiscalité ordinaire (via les importations tant en dollars qu’en euros convertis en dinar dévalué), cette dernière accentuant l’inflation des produits importés (équipements, matières premières, biens finaux, montant accentué par la taxe à la douane s’appliquant à la valeur dinar, étant supportée en fin de parcours, par le consommateur comme un impôt indirect, l’entreprise ne pouvant supporter ces mesures que si elle améliore sa productivité).
En cas de baisse drastique des réserves de change à 10/12 milliards de dollars, qui tiennent la cotation du dinar algérien à plus de 70%, la Banque d’Algérie sera contrainte de dévaluer le dinar officiel à environ 200/220 dinars un euro avec une envolée du cours sur le marché parallèle qui fluctue en fonction du taux d’inflation d’environ 300 dinars un euro minimum, surtout en cas d’ouverture des frontières. Il sera difficile de combler l’écart avec le marché parallèle pour la simple raison que l’allocation de devises pour les ménages est dérisoire, la sphère informelle suppléant à la faiblesse de l’offre et par ailleurs bon nombre d’entreprises du fait de la faiblesse de l’allocation devises pour éviter la rupture d’approvisionnement iront au niveau de cette sphère.
En résumé, c’est en regardant la réalité en face et par un discours de vérité que l’Algérie trouvera les solutions à la crise actuelle qui touche tous les pays avec l’impact de l’épidémie du coronavirus. La fuite en avant étant suicidaire. Selon les dernières données de la Banque d’Algérie, l’augmentation de la masse monétaire M2 est de 17 682,7 milliards de dinars à fin 2020 contre 16 506,6 milliards de dinars à fin 2019. Soit 9,05% hors dépôts des hydrocarbures contre 6,03% à fin décembre 2019, alors que la circulation fiduciaire hors banques est de 12,93%, soit 9 437,6 milliards de dinars à fin 2020 contre 6 140,7 milliards de dinars en 2019, 34,73% de la masse monétaire M2 à fin 2020 contre 32,94% à fin 2019.
Cela explique que toutes les mesures, tant des chèques que de l’obligation de déposer l’argent de la sphère informelle obligatoirement au niveau des banques algériennes qui sont actuellement de simples guichets administratifs, ignorant le fonctionnement de la société algérienne, ont eu un impact très limité renvoyant toujours à la confiance.
Avec la pression démographique (plus de 50 millions d’habitants en 2030, l’on devra créer au minimum 300 000/400 000 postes de travail nouveaux par an, nécessitant un taux de croissance annuel sur plusieurs années de 8/9% en termes réels. Pourtant, l’économie algérienne possède des potentialités mais a besoin d’une cohérence dans sa politique socio-économique. L’Algérie étant confrontée à des défis importants, les défis futurs, pour se projeter sur l’avenir, loin de tout populisme dévastateur, impose une nouvelle gouvernance, un langage de vérité et la moralité des gouvernants.
L’Algérie devra s’adapter au nouveau monde, de rétablir la confiance pour sécuriser son avenir, de s’éloigner des aléas de la mentalité rentière, de réhabiliter le travail et l’intelligence, de rassembler tous ses enfants et toutes les forces politiques, économiques et sociales, évitant la division sur des sujets secondaires. Il y va de la sécurité nationale.
A. M.
Expert international, professeur des universités
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