Palestine et Sahara Occidental seront-ils oubliés dans l’Amérique de Joe Biden ?
Par Ali Akika – Au moment où Joe Biden s’installe à la Maison-Blanche, il n’est pas inutile de tenter de flairer les possibles rectifications des Etats-Unis sur les marchandages dont ont été victimes la Palestine et le Sahara Occidental. Avoir en tête cependant que toute prise de position de tout Etat se base sur les rapports de force dans l’arène internationale et les intérêts du pays en question. Ne pas oublier aussi que les Etats-Unis, du fait de leur histoire et de leur puissance, ont à la fois abusé de leur force et méprisé les intérêts des peuples et des Etats moins puissants.
Y a-t-il une lueur d’espoir que l’Amérique abuse moins de sa force et de son arrogance avec l’arrivée de Biden ? Pour évaluer ce souhait sans tomber dans la naïveté, un regard sans œillères sur la carte politique américaine actuelle peut révéler des dessous de cartes intéressantes. Tenons-nous-en à la matérialité des faits pour pouvoir avancer quelques hypothèses.
Primo, Biden a hérité d’une société qui était au bord de la guerre civile à la suite de l’invasion du Congrès américain. Il a conscience de la gravité de la situation au regard de la fragilité de sa victoire (il n’a pas de majorité automatique au Sénat) et que Trump n’est pas mort politiquement. C’est pourquoi Biden va réserver beaucoup de temps et d’énergie à consacrer son pays.
Secundo, il a déclaré avec un brin d’arrogance que «America is back» et que son pays va retrouver le statut de leadership (guide du monde). A partir de cette vision des choses, il risque de renouer avec les démons de l’Amérique avec ses chars dans quelque pays, et peut-être bafouer le droit international. Mais quand on regarde de plus près et qu’on scrute l’horizon, les choses sur le terrain peuvent lui réserver des surprises.
Car la marge de manœuvre de l’Amérique s’est quelque peu restreinte. Rien qu’avec les amis et alliés européens, ça grince. Les Etats-Unis sont furieux contre l’Allemagne qui a osé construire un gazoduc pour s’approvisionner en gaz russe et qui refuse de payer de supplément pour l’entretien des troupes de l’OTAN. Ils empêchent l’Europe de commercer avec l’Iran par le biais de leur embargo et la domination du dollar. Ils sortent de l’accord international de Paris sur le climat. Ils soumettent la Russie à un embargo et déchire un accord sur les armes atomiques conclu avec le président Reagan (1981-89) qui n’était pourtant pas un mou.
Quant à l’Iran, ils sont avec leur ami Israël au bord de la guerre car ce pays leur tient tête. Israël, gagné par le doute et empêtré dans une crise politique (1), est en train de créer aux Etats-Unis de vrais problèmes. Israël s’oppose mordicus à un quelconque retour à l’accord international onusien de 2015. Non seulement il ne veut pas du nucléaire iranien mais il exige que ce pays soit désarmé au sens propre du terme. Il ne veut pas entendre parler ni de missiles ni de l’armée iranienne en Syrie.
Et, cerise sur le gâteau, le 5 mars, Netanyahou et son ministre de la Défense, Gantz, ont fait du chantage aux Américains. Où nous bombardons l’Iran ensemble, disent-ils, ou nous le ferons seuls sans vous. Immédiatement après cette scabreuse sortie médiatique à l’encontre des Américains, la Maison-Blanche publie sur son site une sèche réponse disant : «Nous ne pensons pas que la force militaire soit la réponse aux défis de la région, et nous ne donnerons pas à nos partenaires du Moyen-Orient un chèque en blanc pour poursuivre des politiques en contradiction avec les intérêts et les valeurs américaines.» «Nous ne donnons pas de chèques en blanc à nos partenaires.» En gros, ça veut dire, on ne va pas vous permettre de faire ce que vous voulez au risque de mettre en danger nos propres intérêts.
On le voit, la grande Amérique a des soucis à se faire avec ses alliés ingrats. On se demande comment Joe Biden va défendre les intérêts de son pays ayant sur le dos le binôme Europe/Israël d’autant qu’il a besoin de toutes ses forces. Force nécessaire face à la puissante et coriace Russie qui lui dame déjà les pions dans les Balkans et au Moyen-Orient. Sans compter le cauchemar de la Chine dont les Etats-Unis s’échinent, depuis une vingtaine d’années, à stopper la marche vers le podium de première économie du monde doublée d’une très sérieuse armée de millions d’hommes avec des équipements qui n’ont rien à envier à celui des Etats-Unis.
Les stratèges américains, depuis belle lurette, ne voient de solutions pour arrêter la Chine que le transfert de la puissance américaine vers le Pacifique. Les Etats-Unis avaient donc planifié un monde «pacifié» avec leurs amis européens et israéliens. Ils leur restaient à neutraliser la Corée du Nord. Clinton, Obama et Trump (avec son cinéma de biznessman) pensaient «détacher» la Corée du Nord de la Chine. Ils ont récolté un fiasco. Leurs plans «géniaux» sont tombés à l’eau. La Corée du Nord a sa bombe atomique et ses missiles. Les Etats-Unis ont fait choux blanc aussi avec la Chine dans leur guerre commerciale et leur féroce campagne d’accusation d’espionnage et dans la diffusion du Codiv-19.
Ainsi, occupés et préoccupés par des problèmes internes et extérieurs d’une extrême gravité et complexité, Joe Biden aura-t-il le temps et l’envie de s’intéresser aux problèmes palestinien et sahraoui.
Comme les Etats-Unis ont besoin de concentrer leurs forces pour endiguer la «menace» chinoise, ils vont tenter de calmer le jeu avec l’Iran et tourner le dos à l’arrogance et la brutalité de Trump. Leur éventuelle souplesse expliquerait la colère d’Israël et les déclarations de Netanyahou citées plus haut. Les Etats-Unis mettraient de l’eau dans leur vin en jouant sur le temps. Ils enverraient le problème du «désarmement» à plus tard et trouveront une formule pour contourner la présence de l’Iran en Syrie. Ils sont, du reste, mal placés pour exiger quoi que ce soit alors qu’ils occupent le nord de la Syrie et l’Irak. Ils demanderaient à l’Iran en contrepartie d’apaiser les angoisses de leurs alliés féodaux du Golfe et d’Israël. On saura les possibilités de compromis quand on connaîtra les modalités de la reprise des négociations de l’accord de 2015.
De toute façon s’ils décidaient de jouer le scénario de l’apaisement, il faudra qu’ils calment ses remuants alliés. Etre souple avec l’Iran et calmer les alliés, c’est la quadrature du cercle que seules les ressources de la diplomatie conjuguées au bâton de la force peuvent résoudre. Comment faire ? Les Américains ont lancé des pistes par le biais de déclarations officielles. Joe Biden a humilié le petit futur roi d’Arabie et l’a sommé de mettre fin aux massacres au Yémen.(2)
Quant à Israël, Bilkin, ministre des Affaires étrangères américain, a, sans ambages, dit : «Nous sommes pour deux Etats en Palestine, et le Golan est juridiquement syrien en droit international.» Ces deux points ne sont pas entendables par tout l’establishment israélien. En langage codé, ces deux points et la réaction furieuse de la Maison-Blanche signifient : «Nos intérêts sous le pavillon America first et America is back sont les deux faces du dollar.»
Quant au Sahara Occidental, il faut dire que les Etats-Unis ne sont pas sous la même et double pression de leurs alliés et adversaires. Cependant, les Américains ne peuvent se désintéresser de l’Afrique, et notamment de l’Afrique du Nord. Les côtes sud de la Méditerranée sont occupées par de nombreux pays dont l’Europe pour mille et une raisons ne peut pas ne pas s’y intéresser. Les Etats-Unis eux-mêmes y séjournent en permanence par le biais de leur 6e flotte et leurs bases de l’OTAN (Italie, Chypre, Espagne). La situation au Sahel, en Libye et au Sahara Occidental où la guerre a repris ne peut les laisser indifférents. Surtout que l’Algérie ne peut fermer les yeux quand la guerre est à ses portes. Pays qui a un balcon de 1 200 km sur la Méditerranée, des frontières de plus de 6 000 km avec six pays dont les frontières plongent dans les profondeurs du continent africain, l’Algérie a les moyens de se faire entendre de l’Oncle Sam.
Outre ces atouts de géostratégie, l’Algérie peut y joindre ses bonnes relations avec les voisins malmenés par la misère et la guerre. Et si la guerre qui a repris au Sahara Occidental s’intensifie et met en danger le régime marocain, leur allié américain dans la région, ne voudra pas avoir un énième feu à éteindre. C’est pourquoi Joe Biden aura à cœur de se démarquer de Trump en respectant le droit international tout en calmant les inquiétudes dans la région, et notamment l’Algérie. Son geste déplaira au roi Mohammed VI mais que pèse le poids d’un pays qui n’est menacé par personne, excepté par son propre peuple ?
Ainsi, l’annulation de la reconnaissance du Sahara comme territoire marocain est tout bénéfice pour les Etats-Unis. Ils effacent l’image de la violation du droit international par Trump, un geste bénéfique en politique intérieure car le Congrès américain a manifesté sa désapprobation de l’acte de Trump. Reste que la reprise de la guerre par le Polisario a été un acte politique judicieux qui a attiré le regard du monde sur cette colonisation marocaine et sur un roi qui courbe l’échine devant un Etat qui occupe El-Qods. Rappelons que le roi marocain, ô la honte, est soi-disant président du Comité El-Qods des pays musulmans pour la protection du troisième Lieu saint de l’islam.
Un dernier mot pour conclure, toutes les guerres et les viles manipulations sur la Palestine n’ont pas réussi à effacer la question palestinienne, ni détourner la résistance de son peuple. Espérons que le Polisario avec le poker menteur de petit roi saura lui faire comprendre que cette fois le feu de la guerre s’arrêtera avec le départ du dernier soldat marocain de leur pays.
A. A.
1- Vers fin mars 2021, il y aura une quatrième élection en deux ans. Les résultats d’après les sondages seront pareils aux quatre précédents. Une cinquième élection montrera au monde entier les profonds facteurs multiformes des crises de cet Etat fondé, comme on le sait, sur la négation du droit du peuple palestinien.
2- Les Yéménites sont sur le point de mettre dehors les Saoudiens avec la prochaine libération de la ville Maarib. La résistance a ciblé les raffineries d’Aramco saoudiennes (d’où la hausse de pétrole actuelle). La guerre fait rage dans les eaux du Golfe, d’où l’empressement des Etats-Unis à pousser le roitelet saoudien à arrêter sa guerre d’extermination.
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