Quand le président sénégalais Macky Sall marche sur les pas de Bouteflika
Par Kamel M. – Le Sénégal chemine vers une crise à l’algérienne. Macky Sall veut amender la Constitution pour briguer un énième mandat, s’autoproclamant ainsi implicitement président à vie. Les émeutes qui ont éclaté il y a plusieurs jours vont crescendo et les Sénégalais sont plus décidés que jamais à empêcher un scénario semblable à celui qui perdure en Algérie depuis plus de deux années.
Le journal français L’Opinion internationale, qui évoque une «révolution civile en marche à Dakar», relève que «malgré quelques articles dans la presse internationale, aucune réaction n’est venue du côté des dirigeants français, européens ou autres». «Alors que, pourtant, il s’agit bien dans ce cas de parler de droits de l’Homme», souligne le média qui ironise : «Ah oui, c’est vrai, il faut avoir des valeurs morales pour pouvoir faire valoir le devoir d’ingérence, cette notion forgée par le philosophe Jean-François Revel en 1979, popularisée dans les années 1980 par le fondateur de Médecins sans frontières, Bernard Kouchner, et le juriste Mario Bettati.»
Le Sénégal est parti pour plusieurs mois d’instabilité, conséquence de deux facteurs qui font qu’aussi bien ce pays de l’Afrique de l’Ouest que l’Algérie sont liés par le même destin, celui de la soif dévorante de pouvoir des dirigeants politiques et de l’assujettissement d’une certaine opposition à des officines étrangères. Deux ingrédients qui, réunis, deviennent explosifs.
Dans un éditorial signé Michel Taube, L’Opinion internationale aboutit à ce postulat : «Le talon d’Achille de l’Afrique a plusieurs noms en Afrique noire : Patrice Talon au Bénin, Denis Sassou Nguesso au Congo-Brazzaville, Alpha Condé en Guinée, Ali Bongo au Gabon, Paul Biya au Cameroun», auxquels s’ajoute Macky Sall qui «cède à son tour à cette tentation autocratique et souhaite manifestement rejoindre ce club très fermé des potentats africains qui empêchent toute dynamique démocratique et font que l’Afrique noire francophone est si mal partie».
«Le chef d’Etat sénégalais est manifestement frappé par le démon du pouvoir qui maintient des jeunesses désespérées sous une chape de plomb qui les pousse à la tentation du djihadisme ou de l’exil vers l’Europe, et menacent d’allumer des incendies comme le Sénégal les vit ces jours-ci à son tour», avertit l’éditorialiste, qui signale, au passage, que «quand un président a l’audace de céder sa place, c’est généralement son poulain désigné qui s’assure de son élection».
La similarité avec le cas algérien est frappante : «L’instrument principal de ces mises au pas de la démocratie et de la soumission de toute opposition, c’est la judiciarisation outrancière de la vie politique de ces pays africains, à savoir l’usage systématique de la justice pour écarter, éliminer les adversaires politiques. Les juges du droit électoral, les juges constitutionnels sont manifestement aux ordres des pouvoirs en place.» «En Afrique, plutôt que d’éliminer physiquement les opposants, on les emprisonne ou on les exile. D’aucuns diront cyniquement qu’il y a un progrès», écrit-il, un tantinet sarcastique, en estimant que «la parfaite illustration de cette perversion démocratique réside dans la récente crise sénégalaise». Et algérienne, oserions-nous ajouter.
Macky Sall avait déjà fait taire un premier rival en 2016, le maire socialiste de Dakar, Khalifa Sall, en le faisant emprisonner avant l’élection présidentielle pour «détournement de fonds» et a récidivé avec le leader de l’opposition Ousmane Sonko. En Algérie, Ali Ghediri a connu le même sort lorsque le courageux général à la retraite a décidé de tenir tête à l’ancien vice-ministre de la Défense lors des élections présidentielles qui étaient prévues trois mois après la déchéance de Bouteflika, avant d’être reportées suite à leur rejet par le mouvement de contestation populaire. En 2014, le rival de Bouteflika Ali Benflis subissait une attaque en règle par médias interposés, accusé des pires ignominies.
«Quelle ironie de l’histoire : Macky Sall avait été porté au pouvoir par un peuple sénégalais qui, en 2012, avait su écarter Abdoulaye Wade qui, à l’époque, se rêvait en président à vie. Le même peuple sénégalais qui aura la lourde tâche, car la route est longue jusqu’à l’élection présidentielle de 2024, d’expliquer à Macky Sall qu’il ne sera pas le fourvoyeur de la démocratie au pays de la Teranga», commente Michel Taube.
Macky Sall finira-t-il sa carrière politique comme son homologue algérien, sorti par la petite porte après vingt ans de règne sans partage ? N’a-t-il pas retenu la leçon ? Ne voit-il pas dans quel état se retrouve l’Algérie deux ans après le début du soulèvement pacifique ? Est-il capable, lui, de maintenir le caractère pacifique des manifestations ?
K. M.
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