Le professeur Mebtoul au ministre des Finances : «Vous vivez sur une autre planète !»
Par Mohamed K. – «L’affirmation de la maîtrise de l’inflation et de l’appréciation du dinar par le ministre des Finances est déconnectée des réalités nationales», a affirmé l’expert international Abderrahmane Mebtoul dans un commentaire adressé à notre rédaction. «Je laisse le soin aux ménages algériens, aux journalistes de terrain et aux opérateurs économiques le soin de juger cette déclaration qui ignore fondamentalement le fonctionnement de la société et montre que certains responsables vivent sur une autre planète.»
«En économie, il existe une dynamique, un lien dialectique entre toutes les sphères de l’activité économique. Nous avons, depuis décembre 2020, avec une amplification entre janvier et mars 2021, une envolée de la majorité des prix, tant des matières premières que des biens d’équipement et de consommation, comme par exemple les produits des pauvres, les pâtes, les lentilles et les haricots, entre 30 et 50%, et beaucoup plus pour les produits informatiques et les fruits, malgré leur disponibilité», a-t-il expliqué.
«S’agissant d’un problème aussi complexe que l’inflation, il me semble utile de rappeler qu’il faut tenir compte de la structure et des particularités de l’économie à laquelle il s’applique, des aspects structurels de l’économie internationale, de l’économie interne résultant de l’option de la stratégie de développement économique, ainsi que des schémas de consommation générés en son sein pour des raisons historiques, des influences socioculturelles ainsi que des différentes forces sociales pour s’approprier une fraction du revenu national», a souligné l’économiste.
«Concernant l’indice global de l’inflation, il doit être régulièrement réactualisé, celui de l’Algérie ne l’a pas été depuis 2011», a-t-il indiqué, en faisant remarquer que «le taux d’inflation officiel est biaisé» car il est «comprimé artificiellement par les subventions non ciblées, source d’injustice sociale et de gaspillage». «Un agrégat global, comme le revenu national par tête d’habitant, peut voiler d’importantes disparités entre les différentes couches sociales, une analyse pertinente devant lier le processus d’accumulation, la répartition du revenu et le modèle de consommation par couches sociales», a précisé Abderrahmane Mebtoul.
«Le niveau d’inflation, t-il enchaîné, autant que le chômage, maladies apparentes du corps social, est fonction de plusieurs facteurs interdépendants.» Il cite des «facteurs externes, dont le prix international des produits importés», en relevant que «contrairement à ce qu’affirme le ministre des Finances, la majorité de pays connaissent non pas une inflation mais une déflation avec des taux d’intérêt presque nuls». Il cite également «la faiblesse de la production et de la productivité internes, la non-proportionnalité entre les dépenses monétaires et leur impact renvoyant à la corruption via les surfacturations» et «la déthésaurisation des ménages qui mettent face à la détérioration de leur pouvoir d’achat des montants importants sur le marché, alimentant l’inflation, plaçant leur capital-argent dans l’immobilier, l’achat d’or ou de devises fortes pour se prémunir contre l’inflation».
Le professeur Mebtoul alerte sur la «dévaluation rampante» du dinar. Il pointe un doigt accusateur en direction de la Banque d’Algérie qui, note-t-il, «procède au dérapage du dinar par rapport au dollar et à l’euro, ce qui permet d’augmenter artificiellement la fiscalité des hydrocarbures et la fiscalité ordinaire via les importations, tant en dollars qu’en euros convertis en dinar dévalué» et en direction de la sphère parallèle «qui produit des dysfonctionnements des appareils de l’Etat», en ce sens qu’«il existe des liens dialectiques entre cette sphère et la logique rentière, avec des situations monopolistiques et oligopolistiques de rente».
Pour lui, «le gouvernement ne peut mettre en place une bonne politique et mobiliser la population – consciente des enjeux internes et géostratégiques à l’ère d’Internet et des réseaux sociaux – en énonçant des contre-vérités».
M. K.
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