Le Tunisien Chahed avec des Israéliens à Dubaï : prémices de normalisation ?
Par Mohamed K. – L’affaire fait grand bruit en Tunisie et son écho a dépassé la frontière tunisienne. La présence de l’ex-Premier ministre Youssef Chahed à une rencontre organisée par les Emirats arabes unis et à laquelle ont été conviés des responsables israéliens est loin d’être passée inaperçue. L’ancien responsable politique tunisien essuie de vives critiques dans son pays où on subodore les prémices d’une normalisation avec Israël, d’autant que des observateurs estiment qu’il n’aurait pas pu prendre part à une telle conférence sans l’accord des autorités tunisiennes. «Ce geste de Chahed entre-t-il dans le cadre d’un début de rapprochement avec l’entité sioniste ?» s’interroge-t-on, en effet, chez nos voisins de l’Est.
Le concerné a tenté de justifier en amont cette «escapade» en expliquant les raisons de sa participation au sommet mondial sur les rapports de force mondiaux après la pandémie du Covid-19 et que Youssef Chahed présente comme une «tribune au profit des faiseurs d’opinion, des hauts responsables politiques et des activistes en faveur de la démocratie et la liberté, pour anticiper les grands changements géopolitiques dans le monde». C’est en voulant se justifier que l’ancien Premier ministre tunisien a, au contraire, semé davantage le doute sur des raisons inavouées qui pourraient sous-tendre cette participation controversée.
En effet, le rendez-vous de Dubaï étant éminemment politique, c’est bien de changements géostratégiques qu’il est question. Et la présence d’une délégation israélienne ne fait que renforcer l’idée selon laquelle Tunis aurait délégué un «négociateur en catimini» chez les Al-Nahyane pour rallier le camp des normalisateurs, en dépit du discours aussi bien du président Kaïs Saïed que du chef de file du parti islamiste Ennahdha et néanmoins président du Parlement, Rached Ghannouchi, foncièrement opposés à tout pacte avec l’Etat hébreu.
Un des thèmes de cette conférence n’est pas fait pour dissiper les soupçons, encore moins pour éteindre la controverse : «La pandémie ouvrira-t-elle les portes devant de nouvelles alliances et de nouvelles opportunités ?» Youcef Chahed voit dans son invitation une «reconnaissance de la vision tunisienne du monde post-pandémie», dans lequel, explique-t-il, «l’intelligence, la numérisation et la volonté collective des peuples seront les clés d’une relance économique». Et de répondre à ceux qui disent le contraire : «A part cela, tout le reste n’est que purs ragots et surenchère.»
Mais ses concitoyens ne l’entendent pas de cette oreille. Les médias tunisiens regorgent de commentaires dont l’acerbité est à la hauteur de la qualité des Israéliens que Chahed a côtoyés à Dubaï : l’ancien ministre de l’Intérieur Sylvan Shalom et l’actuel maire-adjoint d’Al-Qods occupée. Deux fonctions suffisamment provocantes pour susciter l’ire des Tunisiens. Des médias ont été jusqu’à se demander si l’ancien Premier ministre sous Béji Caïd Essebsi ne serait pas «l’homme d’Israël en Tunisie», tandis que des militants antisionistes tunisiens l’accusent ouvertement de «conduire le camp des normalisateurs avec l’Internationale sioniste sur la scène politique tunisienne».
Les opposants à la démarche de Youssef Chahed lient cet événement au «soutien des Emirats au projet du siècle et son choix de personnalités locales qu’elle gave» en dollars sonnants et trébuchants. Pour eux, «sa complicité dans le processus de normalisation a commencé dès qu’il a été désigné à la tête du gouvernement» et celle-ci «se poursuit à ce jour, d’autant qu’il a échappé à toute reddition de comptes après qu’il eut noyé l’Etat tunisien dans des dettes qui ont conduit le pays à la situation financière et sociale périlleuse actuelle».
M. K.
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