Aussaresses, Bigeard, Mitterrand, Macron : Drifa Ben M’hidi crève l’abcès
Par Abdelkader S. – «Si le président Macron veut reconnaître ces crimes de guerre perpétrés en Algérie, la reconnaissance ne devrait pas concerner un seul individu ou deux individus ; celle-ci devrait concerner tout le peuple algérien, y compris, évidemment, Larbi Ben M’hidi. Il ne s’agit donc pas de reconnaître le crime contre deux personnes. Lors de la guerre, il n’y avait pas uniquement ces deux personnes», a affirmé Drifa Ben M’hidi en réponse à une question sur la reconnaissance par Macron de l’assassinat d’Ali Boumendjel et, avant lui, de celui de Maurice Audin.
Pour la sœur du martyr arrêté le 23 février 1957, torturé et assassiné dans la nuit du 3 au 4 mars de la même année, il n’est pas raisonnable de ne reconnaître que deux assassinats, auxquels pourraient s’ajouter celui de Larbi Ben M’hidi. «Est-ce qu’entre 1830 et 1962 la France n’a tué que deux martyrs ? Ceci n’est pas raisonnable. La France est arrivée en Algérie et a été à l’origine d’un génocide ; elle a occupé l’Algérie, elle a pillé, elle a assassiné, comment peut-elle ne reconnaître que l’assassinat de ces deux personnes ?» a-t-elle objecté.
«Est-ce que Macron est disposé à effacer cet affront fait au peuple algérien et, également, ces crimes qui ont été commis par l’armée française ? Macron ne reconnaît que deux assassinats, alors qu’il s’agit d’un peuple dans sa totalité. On ne peut pas dire qu’il y avait deux crimes seulement, cette reconnaissance [de deux assassinats uniquement] n’est absolument pas acceptable», a-t-elle déclaré.
Décrivant la France coloniale comme un pays qui a tué, pillé et commis des actes impensables, Drifa Ben M’hidi a fait savoir qu’«aucun pays n’a commis des actes similaires». «La France n’a pas fait une guerre propre. C’est une guerre très sale. Elle a malmené le peuple algérien d’une façon inhumaine. La France prétendait défendre les droits de l’Homme et la démocratie ; or, c’étaient des mensonges. La France n’a jamais été un pays démocratique et n’a jamais défendu les droits de l’Homme. Elle a tué une grande partie de la population [algérienne], elle a utilisé le napalm, envoyé les gens en prison, elle a sévi partout», a-t-elle dit. «Comment voulez-vous que le peuple algérien puisse pardonner aujourd’hui ?» s’est-elle interrogée, en précisant que «c’est la France qui nous doit des excuses et non pas l’inverse».
Au sujet de sa rencontre avec Marcel Bigeard, Drifa Ben M’hidi a confirmé avoir eu une discussion avec lui dans les années 1980. «Lorsque j’ai rencontré Bigeard, je lui ai posé deux questions seulement, je lui ai demandé si Larbi [Ben M’hidi] s’est vraiment suicidé ou s’il a été tué. Bigeard m’a répondu en rigolant et m’a dit : connaissez-vous vraiment votre frère ? Est-ce que Larbi Ben M’hidi, l’homme courageux, peut se suicider ? Non, je ne l’ai pas tué mais je l’ai livré aux services spéciaux, c’est-à-dire à Aussaresses.»
«Lorsqu’il a été livré à Aussaresses, il savait très bien ce que ce dernier allait faire ; c’est un homme sanguinaire, c’est un assassin, c’est quelqu’un qui peut tuer d’une façon impitoyable, il a torturé mon frère d’une façon horrible, au même titre qu’il a fait avec les autres Algériens», a regretté la sœur du martyr selon laquelle le général Bigeard «a donc reconnu que la France a tué [mon] frère». «Nous savions pertinemment que Larbi Ben M’hidi ne s’est pas donné la mort car il était un bon musulman, et l’islam prohibe le suicide. Mon frère était courageux. C’est le colonialisme qui l’a tué», a-t-elle insisté.
Interrogée sur les regrets que Bigeard lui aurait exprimés, Drifa Ben M’hidi a indiqué que ce dernier voulait se rendre en Algérie pour s’incliner devant la tombe de Larbi Ben M’hidi et demander pardon. «Je n’ai pas accepté, parce que son excuse n’était pas valable. Il était déjà à la retraite et il ne pouvait donc parler ni au nom de la France ni au nom de l’armée», a-t-elle expliqué, en ajoutant : «Je lui ai dit qu’il fallait faire cela quand il était à la tête de l’armée.» Pour elle, pardonner «pour tourner cette page douloureuse» – dixit le journaliste de France 24 – est impossible. «Comment pardonner à un criminel, cet homme qui est un sanguinaire et qui a torturé mon frère d’une façon horrible ?» a-t-elle insisté.
«Si la France avait été un pays démocratique comme elle le prétend, vu que la corde a cédé à deux reprises [au moment de la pendaison], normalement, l’exécution de mon frère aurait dû être annulée. Comment voulez-vous que je pardonne à cet homme ? Je ne lui pardonnerai jamais, que ce soit par rapport à mon frère ou à tous les autres martyrs qui ont été assassinés par le colonialisme», a-t-elle renchéri, en accusant l’ancien président socialiste français d’avoir donné l’ordre de tuer Larbi Ben M’hidi. «François Mitterrand, qui était à l’époque ministre de l’Intérieur, s’il était vraiment un homme démocrate, comment aurait-il pu donner l’ordre d’assassiner Larbi Ben M’hidi ?» a-t-elle demandé.
«François Mitterrand est tout aussi criminel qu’Aussaresses et les autres. Il aurait pu donner l’opportunité à Larbi Ben M’hidi de se présenter devant la justice qui aurait, à ce moment-là, tranché. Aussi Mitterrand, Aussaresses et Bigeard sont-ils au même niveau, ce sont tous les trois des criminels», a-t-elle déclaré, en estimant que «tourner la page, ce serait trop dire».
«Est-ce que le président français a le courage de reconnaître tous les crimes de guerre perpétrés par la France en Algérie et présenter ses excuses ? S’il fait cela, peut-être que nous pourrons procéder à des négociations, par la suite, mais tourner la page, ce n’est pas facile», a conclu Drifa Ben M’hidi.
A. S.
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