La mondialisation, les Etats-Unis, la Russie, la Chine et l’Iran (II)

Biden mondialisation
Quel rôle fera jouer Joe Biden aux Etats-Unis face à tant de défis mondiaux ? D. R.

Contribution d’Ali Akika – La mondialisation est une «invention» made in Etats-Unis. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, leur formidable machine économique et financière sous la protection de bases militaires un peu partout dans le monde, les Américains ont imposé leur hégémonie politique à l’Europe qu’ils ont inondée de dollars avec le plan Marshall pour sa reconstruction. Grâce à leur dollar, ils contrôlent le système financier international (1) et deviennent les banquiers du monde. A partir de ces bases solides vinrent ensuite les révolutions dans les transports et les innovations technologiques des communications qui ont favorisé les conditions de passage de capitalisme classique («ordinaire») au capitalisme financier qui circule librement par-dessus les frontières, le jour comme la nuit. Ce «nouveau paradis» dont ils étaient les maîtres, ils l’ont chéri et un de leurs idéologues (2) les a rassurés et confortés en leur disant que leur système libéral était indépassable. Hélas ! pour ce sociologue, il pensait immobiliser l’histoire, celle-ci se vengea en le ridiculisant, le ramenant à son statut de citoyen anonyme.

Le XXIe siècle voit alors l’émergence de grandes puissances économique et militaires. L’Union européenne (années 1950), grand marché économique, devient une rivale mais pas tout à fait rebelle. Elle est plutôt facile à neutraliser par l’imbrication et la dépendance des économies européennes à l’égard de l’Oncle Sam. Ramener aussi à la raison, grâce au parapluie atomique américain qui protège l’Europe de la «méchante» URSS/Russie. Mais quand deux autres puissances, l’URSS devenue ensuite la Russie et la Chine se sont construites hors de leur périmètre de domination, elles devinrent des rivales et adversaires difficile à canaliser et à manœuvrer aussi bien sur le plan militaire (pour la Russie) et économique (la Chine).

Aujourd’hui, pour les Américains, ces deux pays ont sauté du simple statut de la rivalité à celui de la menace de leur hégémonie. La guerre politique, commerciale ouverte ou clandestine, a commencé il y a bien longtemps, en 1972 quand le couple Nixon/Kissinger comprit qu’il valait mieux reconnaître la Chine continentale plutôt que de plaire à la minuscule île de Taïwan. Aujourd’hui, cette guerre commerciale et de sanctions a atteint un niveau dangereux avec Trump et Biden. La tension a atteint un degré volcanique avec la Russie, le Chine et l’Iran. Les Etats-Unis se voient obligés de partir d’Afghanistan, doivent revenir aux accords nucléaires avec l’Iran de 2015 aux conditions du droit international et s’aperçoivent de leur impuissance devant la Chine qui répond du tac au tac à leurs sanctions.

Tout ça explique la fureur de Biden qui est sorti des salons feutrés de la diplomatie pour glisser sur la pente savonneuse d’accusation de crime à l’encontre de Poutine. Et son ministre des Affaires étrangères, Antony Blinkin, a fait de même à la conférence de l’Alaska en accusant la Chine de violer les droits de l’Homme à l’égard des Ouighours. Ce cinéma est joué pour des besoins de politique intérieure pour réfuter les dires de Trump qui fait passer les démocrates pour des mous contrairement à lui qui traita les Chinois de coronavirus. En vérité, Biden et les démocrates veulent continuer la guerre contre leurs rivaux avec des moyens plus «rationnels» pour que les Etats-Unis ne soient pas détrônés du premier de la classe de «leur» mondialisation. Ils s’aperçoivent qu’ils peuvent un jour se retrouver à courir derrière la Chine. Pour rester les premiers de la classe, il faut «neutraliser» la Russie sur le plan politique et militaire, empêcher la Chine de tracer sa route de la soie et rendre ainsi son commerce et ses approvisionnements difficiles. Quant à l’Iran, lui refuser l’accès à la bombe atomique coûte que coûte pour apaiser sa clientèle au Moyen-Orient et garder le contrôle de la navigation maritime du Golfe où passe le tiers du pétrole dans le monde. Ont-ils les moyens d’atteindre leur objectif face à ces trois pays ?

– La Russie. Sur le plan militaire, les Etats-Unis ont abandonné leur rêve d’établir une quelconque supériorité. Ils concentrent leurs forces sur le plan politique. Avec l’Europe, ils utilisent l’OTAN à la fois pour se rendre indispensables pour la protection de l’Europe et titiller la Russie en se rapprochant de ses frontières par le biais des ex-pays socialistes. Mais ils ont quelques difficultés car l’Europe a ses propres intérêts économiques avec la Russie qui leur livre du gaz (voir le gazoduc Russie/Allemagne en construction). Ils trouvent aussi la Russie sur leur chemin au Moyen-Orient et, dans leur arrière-cour, à Cuba et Venezuela. Au Moyen-Orient, la Russie a tendance à devenir leur cauchemar car elle s’installe chaque jour un peu plus pour ses propres intérêts et devient un allié de l’Iran, pays du Golfe, pièce maîtresse dans les voies maritimes du pétrole.

– La Chine. «L’originalité» de ce grand pays millénaire (invention de la boussole, de la poudre et même des pâtes et de la pizza) est d’être arrivée à damer le pion aux Etats-Unis, premier pays capitaliste rappelons-le ! N’est-ce pas là un paradoxe ? Pas le moins du monde car les Chinois ont étudié, analysé et, surtout, compris «le Capital», œuvre monumentale de Marx qui a percé le secret de la richesse, le travail humain et non le profit sacralisé par la cupidité des marchands du Temple. Cette maîtrise par les Chinois des règles de l’économie moderne (capitalisme) s’est ajoutée à une culture qui vient de loin, et qui s’est débarrassée des archaïsmes pour s’instruire et apprendre deux choses devenues aujourd’hui des évidences, produire la richesse en comptant sur ces propres forces internes et apprendre et assimiler les expériences et découvertes scientifiques d’ailleurs. Une dernière chose aussi, connue depuis Aristote, la primauté du politique. La Chine l’a mis en application contrairement à l’ex-URSS de Gorbatchev qui a donné la primauté à l’économie et, au final, livrer le pays à Eltsine qui l’a offert à la mafia russe. Ceci pour dire que les Etats-Unis ont compris que la Chine a fait un parcours sans faute sur le terrain strictement économique, là où ils se prenaient pour les maîtres de l’économie moderne. Ils prennent conscience que le «sans-faute» chinois met en danger leur suprématie économique. Nous verrons plus loin les secrets et les armes en formation de la Chine pour malmener la mondialisation à l’américaine. Comme nous verrons les armes de l’agitation et la fureur des Etats-Unis pour contrer «l’offensive» chinoise.

– L’Iran. Le troisième pays qui constitue un obstacle devant les Etats-Unis est l’Iran. Non pas sur le plan économique évidemment. C’est l’émergence de ce pays comme puissance régionale dans une contrée d’un grand intérêt géostratégique (pétrole et route maritime) qui fait de ce pays, lui aussi millénaire, un acteur clé dans une région où des alliances arabes et israélienne étaient impensables il y a peu de temps. En passant, ça devrait réfléchir les naïfs pour qu’ils découvrent que la religion pour les féodaux de cette région occupe une place secondaire pour défendre leurs intérêts économiques.

La «mondialisation» américaine face à des adversaires coriaces. Les Américains montrent leur agressivité à travers des propos peu habituels dans les relations diplomatiques contre trois pays qui leur tiennent la dragée haute avec sang-froid. A l’évidence, la Russie, la Chine, l’Iran, pays de grande culture politique font tout pour éviter que la situation ne dégénère en conflit armé. L’histoire témoigne qu’il arrive que la puissance puisse faire perdre la raison et entraîne certains esprits dans l’aventurisme. En plus de cette agressivité, signe de faiblesse, ces trois pays subissent directement ou indirectement embargo et sanction américains.

Les Etats-Unis pensaient ainsi les ramener à leur «raison». Leurs calculs se sont avérés faux. C’est le contraire qui s’est produit. Les sanctions ont obligé ces pays à fabriquer chez eux des choses dont ils ont besoin. De plus, ils ont appris à détourner les sanctions par des pratiques politiques et économiques grâce à leurs amitiés dans le monde et à leur endurance. Pareils pays avec leur grande histoire et une base industrielle conséquente sont en train de gagner leur pari. Ils ont d’abord créé le Brics, un groupe d’Etats (3).

Ensuite, la Chine et l’Iran ont signé un accord économique qui pèse 25 milliards de dollars. Idem entre la Russie et la Chine, et Russie et Iran. Tous ces accords économiques vont peser lourd sur le marché mondial, autant de richesses qui vont échapper au circuit financier aux mains des Américains. Avec ce dernier coup de griffe au circuit financier, le dollar qui assure la suprématie de la monnaie américaine ne pourra plus faire aussi allégrement marcher la planche à billets qui se déverse ensuite en inflation sur le marché international.

Oui, d’ores et déjà, ces pays commercent entre eux avec leurs propres monnaies. Comme cela n’est pas toujours possible pour l’instant avec tous les pays en monnaie locale, ils sont en train de créer un mécanisme à l’image du SWIF (américain), un circuit financier d’échange entre banques. L’éventuelle mise en cause de la suprématie du dollar est une chose insupportable pour les Américains. Pour moins que ça, ils ont déjà lancé leurs troupes dans des aventures guerrières. Accords économiques entre ces trois puissances, échanges économiques payés avec leur propre SWIF, mise en place de la route de la soie dans différents ports dans tous les continents par la Chine, autant de faits concrets qui dessinent une nouvelle forme de la mondialisation.

Pour l’heure, les Etats-Unis veulent consolider leurs relations avec l’Europe mise à mal par Trump, d’où la participation de Biden par vidéoconférence avec la réunion des chefs d’Etat européens. Sans oublier la visite de son ministre Blinkin à la réunion de l’OTAN pour rassurer les Européens. Ne pas oublier les pays du Pacifique (Australie, Nouvelle-Zélande, Corée du Sud, etc.) que les Etats-Unis veulent à tout prix qu’ils ne cèdent pas aux avances et séductions de la Chine, grand marché pour lesdits pays. On voit que la tâche n’est pas aisée, même pour le grand Oncle Sam pris entre des adversaires pas faciles et des alliés qui trouvent pesante la pression du grand frère.

Restent les deux continents l’Afrique et l’Amérique du Sud qui n’ont pas bénéficié de la mondialisation à l’américaine. Bien au contraire, ils n’ont connu que les plans d’ajustement structurel du FMI qui a tué leur nourriture de base, l’agriculture. Ces deux continents avec leurs immenses ressources minières sont dans les radars des grandes puissances. Les ex-colonisateurs et les Etats-Unis sont présents militairement dans certains pays d’Afrique et dominent leurs économies. Mais les Russes et le Chinois sont aussi présents ici et là en Afrique. Il faut s’attendre à ce que le continent africain soit l’objet de «séduction» et plus sérieusement de pression pour les attirer dans un camp donné. L’histoire des relations de l’Afrique avec les ex-colonisateurs sera un des facteurs qui pèsera dans la balance de la nouvelle mondialisation. C’est le couple histoire et qualité de la coopération débarrassée des relents colonialistes qui donnera des indications sur la place et le futur de l’Afrique. Les peuples du continent, victimes à l’heure actuelle de la misère et de massacres, sauront identifier en profondeur les facteurs intérieurs et extérieurs qui leur font vivre leur calvaire.

L’ex-président Obama a exprimé ses regrets pour l’agression de la Libye. Le président français vient de le faire aussi. Au regard de ce qui se passe au Moyen-Orient, au Venezuela et ailleurs, la mondialisation «heureuse» est bonne tant qu’elle profite toujours aux mêmes. Avec la crise du Codiv-19, l’Europe découvre sa «nudité» et le chacun-pour-soi. Même avec tristes vérités mises à jour par la crise sanitaire, les perroquets des médias continuent de cracher sur des pays qui leur fournissent les masques et qui aident des pays démunis en leur envoyant des vaccins. Il est à craindre que la superposition des questions politiques et géostratégiques qui s’ajoutent au déclin économique de pays jusque-là prospères ne fasse glisser le monde dans des confrontations armées. Leur demander de sortir du cocon confortable dans lequel ils baignent et découvrir ce qui cloche dans le fonctionnement du système économique et l’idéologie qui le soutient, c’en est trop pour eux.

A. A.

1- Création du système monétaire international à Bretton Wood en juillet 1944 dont le pilier est le dollar, monnaie d’échange convertible en or.

2- Sociologue Fukuyama «sort» de sa tête et décrète la fin de l’histoire grâce au triomphe de la démocratie libérale.

3- Brics, organisation comprenant Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud pour des échanges entre ces pays sans passer par la case dollar.

Comment (4)

    Amin99
    28 mars 2021 - 11 h 47 min

    Très bon article. Merci Mr Akika.
    En effet, il est à craindre que la superposition des questions politiques et géostratégiques qui s’ajoutent au déclin économique de pays jusque-là prospères ne fasse glisser le monde dans des affrontements armés (inutiles) terriblement destructeurs et impliquant beaucoup de pays à cause des jeux d’alliances.

    Cela a malheureusement été le cas pour la 1ère et la 2e guerre mondiale qui se sont soldées par plusieurs dizaines de millions de morts (1ere – 20millions et 2e – 60millions).
    Malheureusement l’homme reste amnésique face à l’histoire qui se répète.
    A bon entendeur

    Amar MECHROUH
    28 mars 2021 - 7 h 43 min

    bonjour ,vous avez oubliè UN PAYS VOISIN DES EU.CUBA.

    Algeristan 2021
    26 mars 2021 - 18 h 41 min

    Alors que la Chine américainisait ses écoles l’ Algérie islamisait ses citoyens à travers ses « écoles ». Résultats: jonchée démographique bazar import/import et monarchisation des  » institutions « , la mosquée vaut plus que les urnes.

    Kahina-DZ
    26 mars 2021 - 14 h 29 min

    Les USA ont mondialisé, la Chine a su tirer les dividendes.
    Ceux qui ont imposé la mondialisation sont tombés dans leur propre piège.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.