Du génie de l’enfant amazigh Juba II
Contribution d’Abdelaziz Boucherit – L’histoire lointaine de l’Afrique du Nord, au regard des horizons éloignés de son passé, malgré les heurts et les coups portés pour sa destruction, avait survécu aux aléas et les vicissitudes du périple, lors de sa traversée temporelle jusqu’à nous. Elle reste vivante, visible et accrochée à son amazighité, pour le bonheur des générations futures qui, sans doute, prendront le relais pour mettre en œuvre une politique adaptée afin de consolider, dans la joie, sa véritable personnalité algérienne. Les sédiments coriaces et indélébiles des racines d’une culture amazighe qui résiste à l’usure du temps et les frasques meurtrières des invasions successives renseigne sur la résistance et la ténacité du combat de nos aïeux pour préserver leur modèle de vie, forgé autour de l’idéal naturel de la liberté.
L’histoire de l’Algérie ne débuta pas au VIIe siècle, et encore moins en novembre 1954. Les enfants de l’Algérie amazighe participèrent, allégrement, à l’édification des grandes civilisations qui forgèrent la pensée supérieure de l’homme moderne. Nous avons évoqué, dans un récent article, pour retirer de l’oubli le génie de Saint-Augustin, l’Amazigh chrétien, dont l’impact philosophique fut à l’origine de la pensée universelle qui encadre le monde d’aujourd’hui. Sa philosophie des lumières fut, pourtant, destinée à enrichir et éclairer, avant tout, son peuple d’Afrique du Nord. Le monde occidental chrétien saisit l’opportunité de cette aubaine unique pour faire évoluer la pensée de ses peuples et vulgariser, au profit de l’humanité, en faisant sienne la nouvelle richesse du génie amazigh avec ses bienfaits conceptuels de la pensée, comme une évidence, pour étendre son influence sur le reste de l’humanité.
Nous allons déroger, une fois de plus, aux méthodes impassibles de la civilisation arabe pour mettre en lumière et faire connaître les illustres enfants amazighs qui avaient essayé, vainement, de forcer le destin pour créer, en Afrique du Nord, le centre névralgique de la connaissance et de la recherche scientifique.
Mais la pesanteur de la civilisation islamique, à partir du VIIe siècle, vint neutraliser cette volonté, pleine d’entrain, des Berbères portés par l’esprit créateur et animés par le goût d’entreprendre, d’inventer et d’élucider les mystères de la nature et de l’environnement alentour.
L’héritage d’un islam politique étriqué, et loin des préceptes d’origine de l’islam des lumières, avec ses contraintes idéologiques, s’imposa en semant, tous azimuts, la malédiction de la pauvreté dans tous les territoires berbères. Avec des dogmes, dans leurs positions dominantes, forgés comme un socle, de nature intrinsèquement sûre et versée dans une outrecuidance éhontée ; l’islam politique avait toujours écarté de son passage tout ce qui n’est pas conforme ou issu de sa propre philosophie. En d’autres termes, il reste fidèle à l’origine de sa pensée insipide, inspirée par les grands espaces du vide et la profondeur du néant qui caractérise l’opacité des mirages du désert. Une inspiration issue de la horde des Béni Hilal qui achevèrent tout espoir de modernité depuis leur invasion au XIe siècle de notre ère.
En outre, la civilisation arabe avait, néanmoins, un penchant singulier de toujours détruire, écrabouiller, effacer et piétiner, avec une cécité morbide, toute autre civilisation qui lui tient tête et lui fait concurrence. Les concepts d’une pauvreté intellectuelle immuable prennent, alors, place et entravent l’éveil à la raison et l’esprit critique qui conforte la liberté de la pensée. Cet aveuglement, illustré par une pensée statique et indigente, méthodiquement insufflée par les esprits chagrins pour pousser à la haine envers la culture millénaire des aïeux. Par ce comportement, sciemment réfléchi, ils interrompirent la lancée enthousiaste de toute activité intellectuelle riche et fertile du peuple amazigh, affable de liberté et aguerri aux défis de la découverte.
Afin de nous distinguer de cette philosophie défaitiste, nous apportons les histoires glorieuses, hélas, oubliées des enfants de l’Algérie antique, qui avaient l’amour de leur pays et l’ambition de construire ses fondements avec des réalisations pérennes et un savoir envié par tous les peuples de la péninsule méditerranéenne.
L’Afrique du Nord, à travers les Amazighs, avait été pionnière des philosophies qui élevèrent la pensée vers le progrès et la modernité. Une pensée qui naquit sur la terre amazighe et qui, paradoxalement, bénéficia pour les autres nations. Notre fierté avait été érodée, infantilisée et influencée par des slogans nauséabonds qui dénigrent nos ancêtres, en les traitant de mécréants pour nous détourner de leurs lumières.
Nous devons éclairer nos enfants, à défaut de leur apprendre à l’école, qu’ils avaient une histoire et une civilisation derrière eux. Une épopée de laquelle il faut s’inspirer en prenant le modèle comme exemple pour construire leur univers de demain. Notre but serait atteint si notre contribution fait bouger les idées, en suscitant un intérêt quelconque sur le patrimoine culturel, dans son ensemble, de notre pays chez le lecteur algérien.
Nous allons aborder, aujourd’hui, en faisant une approche simplifiée du parcours de Juba II, le plus éclairé et le plus savant des rois. Un autre Amazigh qui marqua son temps par des gigantesques réalisations architecturales et ses immenses innovations et découvertes pour le bienfait de l’humanité et de son pays. Il érigea des infrastructures grandioses, à l’image de sa vision éclairée et moderne pour ouvrir son peuple à l’ère de la marche inexorable vers le progrès. Il fit de sa capitale Césarée (Cherchell, Algérie actuelle) une petite Alexandrie, d’autres lui prêtent l’ambition de vouloir construire sa capitale, à l’image de Rome. Chaque vestige à Cherchell d’aujourd’hui évoque le règne de Juba II.
Parler de Juba II, un vaste sujet où la légende dépasse le simple statut d’un roi numide, pour le situer au cœur de la synthèse de toutes les grandes civilisations qui forgèrent les règles sociétales modernes de notre temps. Le règne de Juba II, avec la déesse Séléné, illustra la synthèse de toutes les civilisations humanitaires, en occurrence, la romaine, l’amazighe et l’égyptienne pour en faire, dans la terre amazighe, la civilisation universelle des hommes.
Juba II est d’une descendance directe de Massinissa. Il fut roi amazigh de la Maurétanie. Fils de Juba Ier, né vers 52 av. J.-C. à Hippone en Numidie (dans l’actuelle Annaba en Algérie) et mort en 23 après J.-C. à Tipaza en Algérie. Mais avant l’avènement de son sacre, il connut les méandres d’un parcours hasardeux, loin de sa terre natale, qui mena sa miraculeuse destinée de Rome jusqu’au royaume de la Maurétanie. César en voulait à Juba Ier qui combattit aux côtés de Pompée (brillant général de Rome qui partagea le pouvoir avec César et qui a été aussi son beau-père), l’ennemi juré de César.
Pompée vaincu, Juba Ier se donna la mort pour éviter les affres d’une mort humiliante orchestrée par César lui-même. Alors, Juba II, âgé de cinq ans, fut élevé à Rome dans une captivité heureuse par Octavia, la sœur d’Octave ; le futur empereur Auguste et fils adoptif de César. Octavia était la première épouse répudiée de Marc Antoine (amant de Cléopâtre VII, reine et dernière pharaon d’Egypte). Juba II et Cléopâtre Séléné reçurent une excellente éducation à la cour d’Auguste. Juba II fut marié par Auguste à Cléopâtre Séléné orpheline (la fille de la grande Cléopâtre VII et Marc Antoine). Il régna avec sa femme Séléné à partir de 25 av. J.-C. sous la protection romaine dans sa capitale Cherchell, appelée à l’époque Césarée de Maurétanie (actuelle Cherchell, située dans la wilaya de Tipaza, en Algérie). Ils eurent un garçon et une fille.
Son fils Ptolémée lui succéda après sa mort et fut assassiné par son cousin, l’empereur Caligula, à Rome. L’empereur Auguste apprécia beaucoup la fidélité et l’adresse de Juba II. Il lui octroya le territoire de son père : la Numidie. Le territoire sous le commandement de Juba II s’étendit de l’océan Atlantique, à l’ouest-sud de l’Afrique du Nord jusqu’aux confins de l’ouest de la Tunisie actuelle. Il couvrit le sud jusqu’à la région de Sétif. Un grand territoire qui dépassa l’étendue du royaume de son ancêtre Massinissa.
Juba II mena, conjointement, avec sa femme Cléopâtre Séléné une politique florissante qui favorisa les arts et la culture en construisant des cirques, des théâtres, des musées, des écoles et des bibliothèques. Ils mirent en valeur la recherche, en encourageant, la recherche scientifique, médecine, métrique, linguistique, mathématiques et l’histoire naturelle. Le couple royal développa des échanges et du commerce avec les pays d’Europe. Ils apportèrent la prospérité et le bien-être dans leur royaume, sous l’œil intéressé de Rome. Le roi de la Numidie envoya des expéditions sur les mers à la découverte des continents. Les flottes des expéditions découvrirent cinq îles dont les îles Canaries et l’île Tenerife, entre autres. Juba II attribua lui-même les noms à ces dernières.
Juba Il rédigea dix-sept ouvrages en grec et en latin. Il avait écrit sur l’histoire naturelle, la géographie, la grammaire du latin, du grec et la grammaire berbère. Il rédigea des fascicules sur la peinture, le théâtre, la danse et le chant lyrique. Seuls quelques fragments de son œuvre ont survécu. La plupart des traités scientifiques, de ses propres ouvrages et ceux de son immense bibliothèque, avaient tous disparu.
Juba II construisit le Mausolée royal de Maurétanie, connu sous le nom du tombeau de la chrétienne, à l’image des pyramides d’Egypte, pour enterrer sa femme Cléopâtre Séléné, selon la tradition des Pharaons. Il édifia le Mausolée en hommage à son rang royal, de sa femme, issue de la lignée pharaonique égyptienne. Le Mausolée fut construit dans la commune Sidi Rached (commune actuelle en Algérie), à une soixantaine de kilomètres à l’ouest d’Alger. D’autres experts affirment, cependant, que l’existence du Mausolée fut antérieure au règne de Juba II.
Après la mort de sa première femme Séléné, Juba II prit comme seconde épouse une jeune princesse anatolienne : Glaphyra. Glaphyra survécut à Juba II et devint épouse d’Hérode Archélaos (gouverneur de la Judée et Samarie en Palestine), en secondes noces.
Juba II mourut en 23 après J.-C. à Tipaza et fut enterré avec sa première femme au Mausolée royal de Maurétanie.
Juba II posséda une intelligence inégalable à son époque, un lecteur assidu, curieux de tout, s’intéresse à tous les thèmes. Il associa l’Algérie à l’histoire romaine et égyptienne par ses liens de mariage avec Cléopâtre Séléné (la fille de Cléopâtre et Marc Antoine). Il donna un nouvel élan pour l’Afrique du Nord, en la plaçant au centre du savoir et de la liberté de la pensée et l’effort intellectuel.
Quel gâchis ! Quelles occasions manquées ! Et nous continuons d’être contre nous-mêmes, en nous entêtant à regarder en masse en direction du modèle de l’Orient, qui, sans cesse, efface, inexorablement, de notre mémoire la culture du style des grands faits et des épopées ambitieuses qui ouvrent l’esprit et qui agrandissent les hommes dans la liberté.
A. B.
Comment (66)