Sellek rassek ya’ba(*)
Par Karim B. – Ils n’en pouvaient plus. Ils étaient au bout du rouleau. L’ulcère leur perforait l’estomac, la glycémie enregistrait des pics, la tension artérielle montait en flèche. Eux, c’étaient les ministres, les secrétaires généraux, les chefs de cabinet, les walis, les directeurs généraux d’institutions publiques, etc., qui attendaient, en se mordant les lèvres, que le Président daignât enfin changer le gouvernement vivotant.
Il y avait les ministres qui souhaitaient quitter l’Exécutif et se retrouver dans une capitale étrangère à la tête d’une mission diplomatique loin du tumulte d’Alger. Il y avait les cadres supérieurs de l’Etat qui rêvaient d’occuper le fauteuil du chef et qui savaient qu’ils ne seraient ni meilleurs ni pires que lui. Il y avait les walis qui aspiraient à prendre la place des chefs de cabinet qui seraient promus ministres. Il y avait les chefs de daïra et autres secrétaires généraux de wilaya qui trépidaient d’impatience que le wali partît pour céder la place au suivant. Puis, il y avait le citoyen qui attendait que tout ce beau monde, cette «élite», s’entendît sur les postes à pourvoir pour qu’un semblant de vie normale reprît cahin-caha, en attendant d’autres remaniements, d’autres auto-élections.
On était déjà loin des premiers espoirs suscités par l’avènement de Bouteflika au pouvoir, après des années d’instabilité politique et d’insécurité. Les Algériens avaient saisi au vol le fameux slogan ressassé par le candidat providentiel durant tous ses meetings populaires : «Erfaâ rassek ya’ba !» (Sois digne !). Différemment interprété, le cri de l’ancien ministre des Affaires étrangères sous Boumediene résonnait presque comme le célèbre «hagrouna !» de Ben Bella en 1963. Ils y virent un appel au soulèvement collectif, dans une sorte de communion avec le futur président, contre tous les maux hérités de près de quarante ans de dérive.
Ils croyaient en un président qui allait enfin moraliser la vie politique, s’attaquer à la corruption, mettre un terme à l’injustice, rétablir l’équité entre les citoyens, corriger les erreurs du passé, abolir le régionalisme et le népotisme. Il n’en fut rien. Vingt longues années plus tard, le pays est revenu à la case de départ, chacun, l’égoïsme aidant, voulant sauver sa peau. «Sellek rassek ya’ba !» semblent, aujourd’hui encore, rétorquer en chœur tous ces éphémères que la providence a momentanément admis au sérail.
K. B.
(*) Sauve qui peut !
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