Razika Adnani : «Etat civil et non militaire est synonyme d’Etat islamiste»
Par Mohamed K. – «Un Etat civil n’est pas synonyme d’un Etat démocratique, ni moderne», estime la philosophe Razika Adnani dans une tribune parue dans Econostrum. «Dans la majorité des systèmes totalitaires et tyranniques, explique-t-elle, le pouvoir est également civil» et «c’est pour cela que beaucoup de questions se posent au sujet de cet Etat civil et non militaire», selon elle. «Comment doit-il être ? Quelles sont ses positions politiques ? Quelle est sa vision concernant l’éducation, le travail, le citoyen ? Quelles seront ses politiques économique et extérieure ? Quelle place accordera-t-il aux libertés, à l’égalité entre tous les citoyens et notamment entre les hommes et les femmes ? Que réserve-t-il aux jeunes pour leur permettre de prospérer et de s’épanouir dans leur pays ?» s’interroge l’islamologue, qui fait remarquer qu’«un slogan ne suffit pas pour répondre à ces questions, ce qui appelle une analyse sérieuse du concept Etat civil et non militaire».
Razika Adnani précise qu’«Etat civil et non militaire tire son origine du concept d’Etat civil forgé par les islamistes, tel le prédicateur Mohamed El-Ghazali, et revendiqué par les mouvements islamistes en Algérie, mais aussi dans tous les pays musulmans et notamment en Egypte où le pouvoir est dans les mains des militaires». «Ainsi, le mouvement populaire algérien scande dans sa majorité un slogan islamiste, étant donné que ceux qui réclament encore une Algérie libre et démocratique ne sont plus nombreux dans les marches populaires ou que leur voix se fait moins entendre», souligne-t-elle.
«Les islamistes définissent cet Etat civil auquel ils appellent comme étant un Etat qui n’est ni militaire ni théocratique et ajoutent qu’il s’agit d’un Etat qui aura des références islamiques», affirme la philosophe, qui indique que les islamistes «expliquent qu’un Etat non théocratique signifie que le gouvernant n’est pas le représentant de Dieu sur terre». «Une revendication anachronique étant donné que ce système est révolu depuis des siècles, en tout cas en Algérie et en Egypte», poursuit-elle. Pour Razika Adnani, «bien que l’Etat ne soit pas parfait, l’Algérie est une République depuis 1962». «L’idée d’un chef d’Etat qui représente Dieu sur terre n’existe pas dans la conception des Algériens de l’Etat depuis la période française et davantage après l’abolition du système califal en 1924», écrit-elle.
Relevant l’hypocrisie des islamistes, la conférencière franco-algérienne note que «les islamistes racontent que l’Etat pour lequel ils militent n’est pas théocratique et, de ce fait, n’est pas religieux, mais seules ses références sont islamiques. Or, un Etat islamique est un Etat religieux, car administré par la religion». Aussi «le concept d’Etat civil et non militaire revendiqué par beaucoup d’Algériens est donc l’équivalent ou synonyme d’un Etat islamique», relève-t-elle, en expliquant que «dans ce système islamique, si le chef d’Etat ne représente pas Dieu sur terre, ce sont les religieux, qui se veulent détenir la vérité divine et parler au nom de Dieu, qui le représentent». «Bien que les lois de la charia, qui sont considérées comme des lois divines, fassent partie aujourd’hui du système législatif algérien, l’Etat civil des islamistes veut renvoyer l’Algérie des siècles encore en arrière», avertit-elle.
Selon l’islamologue qui estime qu’un Etat islamique «n’est pas la solution», «il est absurde de croire que les islamistes revendiquant un Etat civil et non militaire portent un projet moderne comme le pensent certains». «Bien au contraire, l’analyse de leurs propos montre qu’ils sont aux antipodes de la modernité», fait-elle savoir, en relevant encore une fois la dualité des islamistes qui «usent de la terminologie de la modernité comme l’égalité, la liberté et la démocratie mais ils n’y croient pas».
«L’utilisation de cette terminologie par les islamistes, insiste-t-elle, a pour seul objectif d’influencer le maximum d’individus pour arriver au pouvoir», leur objectif étant de «soumettre la société algérienne à des lois de l’islam qui sont conçues pour la culture arabique du VIIe siècle», en «niant l’histoire et les particularités du peuple et de la société».
«Les Algériens ne s’en sortiront pas en remplaçant une dictature par une autre», met en garde Razika Adnani, convaincue qu’un tel système (islamiste) «accentuera leur misère sociale, politique, culturelle et humaine». Les islamistes, écrit-elle, «ne construiront pas une Algérie apaisée, en piétinant les souffrances que les Algériens ont endurées pendant les années noires et qu’ils portent encore au fond d’eux-mêmes». «Si les Algériens veulent une Algérie nouvelle, ils sont obligés de réfléchir à un système politique et social où l’Algérie et les Algériens prospèrent et non à un système qui ne leur laisse comme solution que de se consoler en rêvant à un bonheur dans l’au-delà pour supporter leur misère dans ce monde», conclut la penseuse qui s’inscrit dans la lignée de grand érudit Mohamed Arkoun.
M. K.
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