Ce qu’un physicien américano-canadien a dit de la condamnation de Djabelkhir
Par Mohamed K. – «C’est ce genre de choses qui arrivent dans les sociétés où les questionnements qui ouvrent [l’esprit] sont punis, comme cela s’est produit dans le domaine religieux depuis des millénaires. Apprenons de cette erreur. Rien n’est sacré. Tout peut être remis en question.» C’est en ces termes que le physicien américano-canadien Lawrence Maxwell Krauss a apporté son soutien à l’islamologue algérien Saïd Djabelkhir, condamné à trois ans de prison pour avoir donné un point de vue scientifique différent des exégèses établies depuis des siècles et imposées à l’ensemble des musulmans comme des règles inaliénables. Ce professeur à l’université d’Etat de l’Arizona, aux Etats-Unis, est décrit comme «un ardent défenseur du scepticisme rationnel, des sciences de l’éducation et des sciences de la morale». Il est détenteur de plusieurs prix internationaux pour ses nombreux travaux.
Avant lui, des intellectuels algériens, des islamologues et des responsables du culte musulman d’origine algérienne en France, connus pour leur érudition et leur combat pour la défense de l’islam, ont apporté leur soutien au théologien algérien.
Dans une pétition adressée au président Tebboune, universitaires, des moudjahidine, des journalistes, des écrivains et des scientifiques ont dénoncé la condamnation de l’islamologue à trois ans de prison. «Ce que nous craignions est arrivé : Djabelkhir a été jugé sur des énoncés où la justice n’est pas supposée interférer tant ils dépassent ses compétences car il ne s’agit pas, là, d’une offense par un citoyen lambda mais d’une réflexion d’un penseur dont le but n’est pas d’offenser, ni de nuire à l’islam ni aux musulmans mais, au contraire, de les servir, éclairer, promouvoir et faire évoluer», ont souligné les auteurs du texte.
«Djabelkhir, ont-ils ajouté, connaît parfaitement son domaine d’étude, l’islam, et c’est en tant que chercheur qu’il veut le faire avancer. L’Etat a payé ses études pour qu’il produise et non pas pour qu’il ressasse le connu. La théologie est une discipline où les musulmans ont excellé ; or, aujourd’hui, on condamne un chercheur dont le but unique est de faire avancer l’islam, comme si on voulait que l’islam reste une religion sans pensée novatrice, donc figée et stagnante en Algérie.»
De son côté, le président de la Fondation islam de France, Ghaleb Bencheikh, a estimé que la condamnation de l’islamologue algérien «a été possible parce qu’il y a un article, le fameux article 144 bis du code pénal, qui criminalise les atteintes aux principes, aux préceptes de l’islam». «Il faudrait revoir ce point. A mon avis, nous gagnerions tous en intelligence en séparant les deux ordres, l’ordre religieux de l’ordre politique», a-t-il dit.
Le théologien, qui a qualifié la peine prononcée contre Saïd Djabelkhir de «scandaleuse», a affirmé que «la justice algérienne aurait pu ne pas se donner en spectacle comme ça, dans le monde». «Ce n’est pas bon de judiciariser les débats, notamment les débats intellectuels et théologiques, ça ne se passe pas dans les prétoires, les débats doivent être sereins, calmes, sérieux, exigeants et avec des connaissances», a-t-il fait remarquer.
La philosophe Razika Adnani a, elle aussi, dénoncé la peine de trois ans dont a écopé le penseur algérien. «En Algérie, a-t-elle écrit, on juge la pensée dans les tribunaux et on y décide ce qui est vrai et ce qui est faux dans le domaine des idées, renvoyant le pays des siècles en arrière.» «Ce verdict condamnant la pensée libre révèle à quel point l’Algérie est menacée par la montée de l’obscurantisme et du totalitarisme islamiques qui veulent imposer une seule vérité, une seule vision de la société et du monde, et un seul système d’idées, le leur», s’est-elle indignée, en estimant que «si les islamistes ont réussi à déposer une plainte contre la pensée, au nom de la religion, et porter atteinte à la liberté de conscience et d’expression, c’est parce qu’ils ont réussi à avoir les textes juridiques qui leur ont permis de le faire».
Razika Adnani a également regretté que les Algériens «qui se sont dit choqués» par un tel verdict n’aient pas réagi pour «défendre la liberté de conscience et les droits de l’Homme lorsqu’ils ont été supprimés de la Constitution lors de la dernière révision en novembre dernier». «Les islamistes qui agissent sur les textes juridiques savent ce qu’ils font», a-t-elle affirmé, en ajoutant que «les Algériens qui se sont mobilisés pour soutenir Saïd Djabelkhir […] ne l’ont pas fait pour la liberté de conscience en tant que droit, valeur et concept».
Pour sa part, le président de l’Observatoire conte l’islamophobie, Abdallah Zekri, a salué le courage de l’académicien Saïd Djabelkhir qui, a-t-il affirmé, «loin d’être intimidé, a fait part de sa résolution à persévérer dans sa quête du savoir, comme nous l’enseigne l’islam de la tolérance et du juste milieu». Pour lui, la condamnation de l’islamologue algérien est «inquiétante» car «c’est une grave atteinte à la liberté de pensée». «M. Djabelkhir est issu de l’Université islamique d’Alger, c’est un brillant chercheur. Il n’a rien transgressé en exposant ses connaissances, n’a jamais mis en cause le Coran, il apporte, au contraire, des éclairages», a-t-il indiqué, par ailleurs, en rendant hommage à «son courage face aux salafistes» dont il estime qu’ils «tentent absolument d’étouffer toute pensée de progrès».
M. K.
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