Pour quel secret révélé sur la Guerre d’Algérie un historien français est jugé ?
Par Nabil D. – «Dénoncé par l’armée, un officier historien est visé depuis la fin 2019 par une enquête judiciaire pour violation du secret-défense au sujet d’un simple document d’archive de la Guerre d’Algérie», indique le média français en ligne Mediapart. «Une procédure engagée juste avant que le gouvernement ne verrouille subitement les archives, déclenchant une fronde des historiens», ajoute-t-il. Mediapart explique que l’officier de l’armée de terre, au grade de commandant et historien militaire, mais dont l’identité n’a pas été dévoilée, est désormais considéré comme un délinquant par l’armée. Il est visé par une enquête judiciaire pour «compromission du secret de la défense nationale», délit passible de cinq ans de prison.
Le dossier de la mémoire liant l’Algérie et la France est sujet à d’intenses polémiques depuis l’indépendance, une polémique ravivée après l’annonce des présidents des deux pays de créer une commission commune chargée d’un travail mémoriel et confiée à Benjamin Stora, côté français, et Abdelmadjid Chikhi, côté algérien. C’est, cependant, la première fois que l’armée française s’estime lésée par un historien pour avoir révélé, dans le cadre de ses recherches académiques, des faits qui semblent déranger les autorités françaises au plus haut point.
Le président français avait admis que la colonisation était un crime contre l’humanité, mais il n’est pas allé plus loin, alors que les Algériens avaient cru qu’Emmanuel Macron allait faire un pas supplémentaire dans une sorte de geste de repentance rejetée massivement en France, alors que les récentes décisions du pensionnaire de l’Elysée qui ont consisté à reconnaître l’assassinat de l’avocat Ali Boumendjel par l’armée française et la restitution d’ossements mortuaires de résistants algériens entreposés au Musée de Paris sont insuffisantes aux yeux des Algériens qui exigent de la France officielle qu’elle présente ses excuses pour ses exactions commises durant la colonisation.
Le rapport de Benjamin Stora a été accueilli avec circonspection aussi bien en France qu’en Algérie. Dans son propre pays, l’historien de la réconciliation a reçu une salve de critiques pour ce qui est considéré comme des «concessions» faites à l’Algérie où le travail de l’universitaire natif de Constantine a été considéré comme une affaire «franco-française». En réaction à ces critiques émanant des deux rives de la Méditerranée, Benjamin Stora a mis en garde contre une «fragmentation» que font courir «les retards pris par le fait de ne pas assumer certains pans de l’histoire» de la France, en affirmant craindre que cela conduise au développement de «mémoires dangereuses, qui finissent par fabriquer des identités meurtries, voire meurtrières».
«Il y a là un gros problème : on va directement aux disputes idéologiques sans réfléchir au socle de savoir sur lequel le rapport est bâti», avait-il objecté, en estimant que cette façon de voir «est dans l’air du temps», dans la mesure où «on cherche le choc des émotions plutôt que la réflexion».
Cette fois-ci, c’est la justice qui est saisie dans le cadre d’un travail de mémoire sur cet épisode peu glorieux de l’histoire de la France. Qu’a donc révélé l’historien militaire français qui ne devait pas sortir des rayonnages blindés et hermétiquement fermés des archives françaises ?
N. D.
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