Palestine, la victoire sur l’arrogance et le mensonge
Contribution d’Ali Akika – Le mensonge s’épuise et les perroquets la croyaient morte et enterrée. Elle a surgi par surprise, cette étoile filante qui a pour nom Palestine pour ébranler un monde qui assurait sa tranquillité par le mensonge et la force brute. Ces deux piliers étaient en vérité dans leur essence vermoulue et il suffisait de s’allier avec le temps pour signifier à ce monde-là qu’on ne badine pas avec l’histoire. Cette leçon leur a été donné onze jours durant où la résistance d’un peuple vaillant a bravé l’occupation, avec courage et intelligence.
En face, l’ennemi, pris et surpris dans son bunker des certitudes, pataugea et à chacune de ses réactions, il s’enfonçait un peu plus comme le naïf qui s’engage dans des sables mouvants. Et l’ennemi pendant onze jours de déluge de feu et de fer ne put éviter à ses populations les affres de la peur et de l’angoisse qui étaient le lot des Palestiniens depuis des lustres. Et chaque jour de ce déluge était accompagné par une pluie de mensonge qui annonçait que l’ennemi allait lever le drapeau blanc.
Mais les observateurs qui suivaient la guerre en direct à la télé avaient une autre lecture des événements. Les mensonges proférés par les politiques, généraux et autres commentateurs en service commandé, avaient une seule vertu de révéler une réalité qui se lisait sur les visages et la violence de leurs propos. Le château de cartes des mensonges a été trahi par deux événements confirmés aujourd’hui par un général à la retraite dans le journal Haaretz (21 mai 2021).
Le premier fait, c’est la lamentable opération du communiqué de presse annonçant l’entrée terrestre des troupes d’Israël à Gaza. Le décalage de deux heures entre deux communiqués de presse a aujourd’hui une explication. Il ne fallait évidemment pas deux heures pour réparer une erreur de communication. Les deux heures, en revanche, étaient suffisantes pour que l’arroseur s’aperçoive qu’il est arrosé. En effet, l’armée israélienne, voulant piéger la résistance, fut prise dans le piège de l’adversaire. Les commandos palestiniens utilisèrent une vieille tactique militaire, mettre à profit la nuit pour se rapprocher au plus près de l’ennemi pour neutraliser son aviation. La farouche résistance des combattants a fait reculer l’ennemi tétanisé par la hantise de voir ses soldats prisonniers comme ce fut le cas en 2014.
Le second qui fit craquer la toile du mensonge, c’est la visite du Premier ministre Netanyahou dans une base militaire dans le Néguev. Pourquoi quitter le quartier général de l’armée en pleine bataille pour aller perdre des heures précieuses à une centaine de kilomètres de là ? La raison ? La veille, la base des F16 et F35 avait été ciblée par des roquettes de la résistance. Il fallait continuer de faire croire à l’opinion que la résistance s’attaque uniquement aux civils. Le même Netanyahou, à la surprise générale, présenta à ses hôtes tchèques un débris d’un drone iranien pour mettre l’accent sur la main étrangère dans le conflit. Ces secrets d’aujourd’hui n’épuisent évidemment pas le stock d’autres secrets qui vont finir par émerger. D’ores et déjà, onze jours ont montré l’impasse stratégique d’Israël dans trois domaines qui vont s’autonourrir : le politique, le militaire, l’image médiatique.
Le politique : la crise interne des élections va s’accentuer. On veut faire croire qu’elle peut se résoudre par de simples élections, en changeant la technique du mode de désignation des députés. L’entrée foudroyante et spectaculaire des Palestiniens de l’intérieur a lézardé le tableau d’Israël «démocratique», et néanmoins juif, voté il y a un an par le Parlement. Enfin, aux yeux du monde, la solution du déni des réalités historiques ne peut s’effacer par l’arrogance et le déni des réalités.
Le militaire : l’échec des services secrets (1) et la posture défensive reconnue par le chef d’état-major Kokhavi ont révélé les limites de cette armée d’occupation. Cette impasse stratégique a de multiples causes. D’abord, une résistance coriace qui ne sous-estime pas ni ne surestime l’adversaire, qui s’adapte tactiquement aux contraintes de la stratégie. C’est le contraire de l’ennemi incapable de résoudre ses contraintes stratégiques. Absence de profondeurs stratégiques de l’espace qui mettent en danger sa population et ses infrastructures (ports, aéroports, usines). De plus, les contraintes militaires et politiques dans une bataille terrestre sont un casse-tête pour une armée formée à la tactique de l’attaque et son arme de prédilection, l’aviation. C’est du reste, non pas le nombre de ses morts mais son incapacité à protéger ses infrastructures et la paralysie de l’économie qui ont pesé dans sa défaite.
L’image médiatique. L’image du petit pays entouré de barbares et qui a le droit de se défendre a été emportée par les vents et les tempêtes d’événements qui ne sont plus aisément maîtrisables au jour d’aujourd’hui. Notre époque qui impose des ratés même au gendarme du monde a ouvert d’autres perspectives aux peuples en lutte. Ses petits soldats médiatiques n’ont plus la maîtrise du champ de bataille de l’information, les réseaux sociaux leur compliquent leur travail. Ils tentent de tirer leur dernière cartouche sur les fake news mais ils risquent de perdre cette bataille. Or, ces petits soldats pratiquent les fake news comme le personnage de Molière qui fait de la prose sans le savoir. Cette prose se veut intelligente, subtile mais elle est truffée de mots, d’images, de lieux communs que les lecteurs ou spectateurs décodent facilement et tournent le dos pour s’informer ailleurs.
Avant même le cessez-le feu, les tonnerres de la propagande se sont mis à fonctionner pour minimiser la victoire des Palestiniens. Mais des voix s’élèvent en Israël même pour dire ouvertement que c’est une défaite d’Israël. Je ne peux, hélas, reproduire les analyses d’anciens officiers de l’armée et des services secrets qui ont prononcé à la télé israélienne un réquisitoire sur l’échec stratégique de leur Etat. Les commentateurs attitrés avec leurs lunettes embuées continuaient à raconter leurs sornettes. Leur bilan de la bataille se résume au nombre de morts, de ruines. Les pauvres, ils ne savent pas que cette vision les a déjà entraînés dans une impasse. Ils considèrent que tuer des chefs va décapiter le mouvement, comme si le peuple est une addition de gens et non une catégorie politique et une histoire qui engendre des têtes pensantes comme celles que l’on vient d’assassiner.
Nous autres Algériens connaissons leur bla-bla débité après l’arrestation des dirigeants de la Révolution en 1956, victimes du détournement de leur avion par les pirates des services secrets français. Ces commentateurs ont du mal à analyser la confrontation entre la Palestine et Israël. Ils ignorent ou feignent ignorer que la création d’Israël est un phénomène politique lié à une époque historique. La transformation du sionisme religieux en mouvement politique facilité par le phénomène colonial du XIXe siècle.
Le projet sioniste trouva les moyens de se concrétiser au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Une fois Israël créé, il sautait sur l’occasion pour s’agrandir en 1956 avec la guerre anglo-française contre l’Egypte. Ensuite, en 1965, il attaqua à nouveau l’Egypte, la Syrie et la Jordanie. Il commença à connaître des petits problèmes avec les Palestiniens à la bataille de Karameh, en 1973. Plus tard, les Israéliens, en 2006, face au Hezbollah, connurent l’amère goût de la défaite. En 2014, à Gaza, ils osèrent avancer de quelques kilomètres, et quelques morts et des prisonniers ont suffi pour arrêter la guerre.
Aujourd’hui, c’est une grande défaite, grande parce qu’elle combine le politique, le militaire et le médiatique. Finies les petites aides humanitaires et les petites trahisons des féodaux pour enterrer un peuple. Tout le monde a compris, Biden compris, qu’une injustice historique se répare par le politique qui l’a créé. Ce petit pas des alliés vers la solution politique, il ne faut pas la chercher dans un «humanisme» retrouvé mais dans des rapports de force dans le monde, et les Palestiniens y contribuaient et comment ? Avec quelle ténacité et quel panache !
Ce n’est pas la première fois dans l’histoire que les conquérants ont fait sienne «la devise du monde nous appartient» et que leur devoir est d’apporter la «lumière» aux autres. Pour l’heure, Gaza vit dans la nuit noire, faute d’électricité mais la joie dans toute la Palestine a éclaté, et une lumière éclatante qui se lit sur les visages de ce peuple. Et ça c’est la plus belle des victoires que le monde a intérêt d’entendre.
A. A.
1- L’échec des services secrets qui se vantent d’être les meilleurs du monde est flagrant. En 1973, l’armée égyptienne a préparé la traversée du Canal de Suez et balayé la fameuse Ligne Bar Lev pour reconquérir le Sinaï. Une telle entreprise sous les yeux d’une armée d’occupation séparée par quelques centaines de mètres de ses adversaires.
PS : les «intellectuels» de chez nous, qui invitaient hier les Palestiniens à courber l’échine comme le firent les féodaux du Golfe, ont changé de veste. J’ai lu quelque part qu’ils sont aux premières loges pour louer la victoire de la résistance.
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