La femme algérienne : un commerce rentable des adeptes de l’obscurantisme
Contribution du Dr Abderrahmane Cherfouh – Les actes de violence dont furent victimes neuf de nos enseignantes durant la nuit du lundi au mardi 17 mai à Bordj Badji Mokhtar et qui ont eu un retentissement aux quatre coins du pays, surtout parmi le corps enseignant, ont tristement projeté sur le devant de la scène une grave affaire barbare indigne des valeurs que doit véhiculer tout être humain normal doté de toutes ses facultés mentales. Ils ont aussi permis de mettre à nu et de dévoiler au grand jour l’incapacité des autorités locales de Bordj Badji Mokhtar à défendre et à protéger ces enseignantes venues de loin et qui ont quitté leurs familles pour choisir de travailler dans ce coin perdu, situé à l’extrême limite de nos frontières du sud, et dont certains citoyens du nord évitent même de citer le nom tellement il est loin d’offrir toutes les commodités pour y vivre. Il faut le dire crûment pour ne pas «laisser le couvercle sur le puits», accepter de vivre et d’enseigner dans cette contrée est un grand sacrifice personnel et fait de ces femmes des héroïnes à part entière, qu’on le veuille ou non.
La question que l’on doit se poser est la suivante : pourquoi les viols et les agressions contre nos femmes sont-ils devenus si banals et n’émeuvent qu’une infime partie de notre population ? D’ordinaire si prompte à se saisir de la moindre occasion qui touche la société pour se mettre en valeur et vendre leur marchandise bon marché, la quasi-majorité des partis politiques est restée muette et n’a soufflé mot sur cette agression dont furent victimes nos valeureuses enseignantes, et qui doit interpeller toutes les forces vives de la nation et toute la population dans son ensemble.
De l’assassinat des onze enseignantes à Sfisef par un groupe terroriste le 27 septembre 1997 à la tragédie du 13 juillet 2001 à Hassi Messaoud, où des centaines de femmes furent violées, torturées, lynchées, dont une, malheureusement, fut enterrée vivante par une horde de sauvages de plus d’une centaine d’hommes sans foi ni loi qui n’ont d’êtres humains que le nom, cagoulés et armés de couteaux et de haches jusqu’aux dents, sous l’instigation d’un pseudo-imam qui a mis sciemment le feu, un vrai criminel, jusqu’à ce qui vient de se passer récemment à Bordj Badji Mokhtar où on n’arrive pas à trouver les mots pour qualifier cette énième tragédie.
Toutes ces histoires tragiques qui se succèdent malheureusement se ressemblent la plupart du temps. Au départ, il y a quelque part un agitateur, souvent irresponsable, pour provoquer l’irréparable, un discours enflammé par exemple d’un pseudo-imam ciblant des femmes, et le tour est joué. C’est ce qui est arrivé à Hassi Messaoud en 2001. Vingt-quatre ans après, ces tragiques événements sont toujours vivaces dans nos esprits et ne peuvent s’effacer de nos mémoires pour avoir laissé en nous des traces indélébiles et de par les retentissements qu’ils ont eus aux quatre coins de l’Algérie et de la planète. Ce qui s’est passé dernièrement à Bordj Badji Mokhtar, c’est une autre affaire très grave qui doit interpeller nos consciences sur cette autre tragédie provoquée par la folie des hommes et dont la barbarie a dépassé nos frontières et en a fait les manchettes des médias partout dans le monde. Il ne faut pas hésiter à le dire : une société qui n’arrive pas à protéger ses femmes ne peut aspirer au progrès. De tout temps, les violences que subissent nos femmes ont été minimisées et, parfois, encouragées par certains pseudo-hommes politiques qui tendent eux-mêmes de ne pas voir ces violences comme un problème.
Dans toute société qui se respecte, la femme a le droit de s’instruire, de voyager, de choisir son mari, de vivre sa vie, de s’épanouir, de se faire belle, de se faire coquette, de faire du jogging, du sport, de se parfumer, n’en déplaise à l’imam d’Oran qui prône un autre discours et qui est contre les femmes qui se parfument. Pour lui, la femme qui se parfume, c’est elle la source du mal. Son parfum réveille les pulsions sexuelles de l’homme et l’excite. Avoir une pensée pareille au XXIe siècle, cela provoque le dégout et donne envie de gerber. Ces gens-là qui véhiculent ces discours d’un autre âge doivent certainement relever de la psychiatrie et être internés quelque part dans un asile pour personnes dangereuses. La femme a le droit de se mouvoir dans une société qui ne doit pas la considérer comme une intruse mais comme une partenaire à part entière et doit pouvoir jouir d’un environnement qui favorise l’égalité des deux sexes, et c’est au plus méritant d’occuper une position dans la hiérarchie. Une femme doit mériter autant de respect et de dignité que n’importe quel homme.
Continuer à entretenir le mythe de l’homme fort dominateur et pourvoyeur de fonds pour illustrer les vieux fantasmes selon lesquels la valeur du couple doit se reposer sur la force de l’homme ne doit pas avoir sa raison d’être de nos jours. Les Algériens jaloux de leur pays, qui se revendiquent du Hirak et qui regardent l’avenir avec beaucoup d’espoir, doivent combattre les préjugés, la stigmatisation, la misogynie, la haine, la sexualisation à l’égard des femmes et doivent promouvoir l’égalité homme-femme auprès de notre population et dénoncer cette gangrène mentale qui prône la supériorité de l’homme sur la femme.
Plus rien n’est acquis. Il faut défendre cette égalité homme-femme et s’éloigner des immondices qui pullulent à travers les réseaux sociaux de certains soi-disant hommes politiques qui se revendiquent de l’islamisme et en font leur terrain de prédilection, et des différentes chaînes de télévision qui, elles aussi, puent l’obscurantisme et qui encouragent les anciens mythes ravageurs et veulent les faire perdurer, des mythes qui ont fait tant de mal à la femme et à la société, en général, et qui nous ont tellement retardés.
L’Algérie doit se réconcilier avec elle-même et se tourner vers l’avenir pour construire, développer et promouvoir une société juste et équitable, basée sur le mérite, loin du sexisme, loin des mentalités rétrogrades qui avilissent, marginalisent ses femmes. Une société qui n’arrive pas à protéger ses citoyennes ne peut aspirer au progrès et est vouée à l’échec. L’un des objectifs du Hirak, c’est d’arriver à faire changer les mentalités d’une partie de la société algérienne qui reste ancrée sur des pensées révolues, dans l’intérêt de nous tous et pour le bien collectif, n’est-ce pas ?
C’est inadmissible que, de nos jours, certaines franges de la société continuent à fantasmer sur les femmes par jalousie, par haine, par méchanceté, encouragée par une culture rétrograde et une impunité flagrante. Avec l’apparition et le développement des réseaux sociaux, c’est pire que jamais, nos femmes sont devenues la cible d’attaques lâches en-ligne où tout est permis, souvent sous couvert d’anonymat. Face à leur ordinateur, le lâche et le misogyne ne se retiennent pas, ils déversent leur haine, leur mépris et leur misogynie jusqu’à satiété, sans qu’ils soient inquiétés. Pour eux, c’est la femme qui est la source du problème.
Les violences et le sexisme visant les femmes qui cherchent à occuper le devant de la scène et à disputer légalement leur place dans la société, vu leurs diplômes parfois de loin supérieurs à ceux des hommes, sont devenues monnaie courante, banales et presque une fatalité. Pour ces hurluberlus et ces énergumènes, ces femmes sont coupables d’avoir occupé les places qui, d’après eux, doivent leur revenir de droit. Pour eux, la femme doit procréer, s’occuper des enfants, de sa cuisine et se mettre au service de l’homme. Toutes ces lâches attaques et ces violences visent à réduire au silence les femmes, les affaiblir et à les priver de leurs droits les plus élémentaires et les plus légitimes. Les discours des islamistes, des extrémistes, des misogynes, souvent relayés par des internautes malveillants, trouvent des oreilles attentives auprès des incultes et des arriérés. Cibler les femmes est devenu un commerce rentable auprès des colporteurs de la haine et des adeptes de l’obscurantisme.
Les événements de Bordj Badji Mokhtar, n’en déplaise à certains, ne concernent pas uniquement les femmes, ni le corps enseignant. Ils nous interpellent nous tous car ils sont révélateurs d’un passé récent, peu glorieux, où la femme devait obéissance et soumission à l’homme. Il ne faut plus se taire et, au contraire, il faut pointer du doigt cette culture et cette mentalité moyenâgeuse qui considère la femme comme un moins que rien. Les réseaux sociaux font partie des raisons pour lesquelles certaines femmes ne veulent pas s’afficher en politique alors que, parfois, elles ont des compétences mais ne veulent pas les exploiter. Elles s’effacent parce qu’elles veulent se protéger et protéger leur famille.
Cette façon d’agir, c’est-à-dire les violences orchestrées contre les femmes, il va falloir qu’on l’arrête un jour et que la justice doit sévir pour punir les récalcitrants. Personne n’est au-dessus de la loi. Il faut refuser de laisser croire que la femme, chez nous, ne peut aspirer à jouer un rôle de leadership et à guider des hommes. L’Histoire est là pour affirmer le contraire. L’Algérie a de tout temps enfanté des héroïnes, et les exemples sont légion. Hier, il y avait Lalla Fatma N’soumer et puis notre icone, toujours en vie, Djamila Bouhired et aussi Ourida Meddad ; Ighilahriz ; Djamila Boupacha ; Hassiba Ben Bouali ; Nouria Merah-Bénida ; Ouarda El-Djazairia ; Fadila Dziria ; Assia Djebbar, qui a flirté à un moment donné avec le prix Nobel de la littérature ; Taous Amrouche ; Keltoum, la jeune lycéenne ; Katia Bengana, assassinée lâchement par les intégristes pour avoir refusé de porter le voile et dont l’assassinat n’a pas eu l’écho escompté. Pour moins que cela, Malala, la Pakistanaise, a eu le Nobel de la paix, et beaucoup, beaucoup d’autres femmes qu’on ne peut pas toutes citer. Elles sont des milliers en Algérie.
Toutes ces héroïnes incarnent la résistance, le combat, la lutte contre les préjugés et sont le symbole des femmes qui ne s’agenouillent devant personne et sont l’illustration parfaite des Algériennes qui savent se sacrifier pour être les égales de l’homme sur le terrain du combat et dans la vie de tous les jours. Parmi elles, certaines ont combattu l’ennemi les armes à la main, d’autres ont combattu l’obscurantisme, d’autres encore se sont illustrées dans le domaine de la musique ou dans le sport.
Toutes, sans distinction, ont porté haut les couleurs de l’Algérie dans tous les domaines, sans courber l’échine et sans se plier à quiconque. En fin de compte, qui faut-il incriminer ? Ces émissions, bidons, médiocres, ridicules qui déversent la haine, le mépris, qui ne cadrent pas avec les valeurs ancestrales de nos parents ou bien le public qui accepte n’importe quoi ? Ces émissions sont, il est clair, le pur produit d’un système rétrograde qui a décidé un jour de nous mener droit dans le mur et de détruire tout ce qu’on avait de plus noble, à savoir notre propre culture et notre propre identité.
Ces forces obscurantistes ont trouvé leur terrain de prédilection durant les dernières décennies où les colporteurs de la haine ont continué à déverser leur venin. Ils ont pu se développer et étendre leurs tentacules dévastatrices aux quatre coins du pays. Il faut les combattre et les pousser dans leurs derniers retranchements pour qu’ils ne puissent plus nuire et contaminer la société.
A. C.
(Canada)
Comment (39)