Pour un sursaut patriotique !
Contribution de Bachir Mebarki(*) – En juillet 1962, la liberté triomphait dans notre pays mais cela n’était que le début de l’histoire. D’Ahmed Ben Bella à Bouteflika, tous les chefs d’Etat successifs algériens furent choisis par l’Armée et, sauf pour ceux décédés alors qu’ils étaient en fonction (Boumediene et Boudiaf) et pour Zeroual, qui avait démissionné, ils ont quitté le pouvoir pour en céder les clés à l’éternelle gardienne du temple.
Le système de pouvoir mis en place, dès l’époque du GPRA, a résisté au temps et à l’usure. Un système que les Algériennes et les Algériens, comme l’a montré clairement le Hirak, veulent moderniser et faire évoluer.
Le président Tebboune, arrivé au pouvoir en ce moment important de l’histoire de notre pays, s’est engagé à parachever la mission qui lui a été confiée. Avec lui, le système politique algérien devait trouver une voie plus moderne, avec un corpus politique civil et une plus grande participation des partis politiques à la prise de décision.
Et pour que la Constitution soit bien opérante, il faut rappeler que le Conseil constitutionnel s’était révélé incapable d’assumer ses prérogatives constitutionnelles au terme du mandat de l’ancien président Bouteflika et, ce faisant, a apporté la preuve irréfutable que l’édifice institutionnel algérien a besoin d’un renouveau dans son essence même.
Et après un peu plus d’une année d’exercice du pouvoir, l’autoritarisme exacerbé, inévitablement source d’injustice et de dérive, a cédé la place à de l’expectative aggravée par la paralysie déterminée par le Covid-19, ce qui ne peut pas du tout être rassurant pour le citoyen lambda en ce qui concerne tant son avenir que celui de la nation dont la destinée est au cœur de ce projet de l’Algérie nouvelle.
Aujourd’hui, le pays est engagé dans une aventure des plus importantes avec l’organisation d’élections législatives anticipées qui sont porteuses de grands espoirs et autant de risques politiques, tout particulièrement celui de ramener l’Algérie à la case départ de 1991.
Le défi est à la mesure de l’énorme chantier en cours ; de fait la nouvelle Algérie a promis de dénicher les femmes et les hommes les plus talentueux, les plus honnêtes et les plus probes et les mettre à contribution pour relever les titanesques défis auxquels notre cher pays est confronté.
Car une chose est sûre, les Algériens aspirent à une Algérie véritablement nouvelle dont la nouveauté ne se décrète pas, mais se construit avec des dirigeants, choisis librement et dans la transparence, qui s’attacheraient à rendre son indépendance à la justice, à défendre l’unité nationale et à minimiser la symbolique d’un emblème culturel, à affermir les institutions de la République, à œuvrer au passage de la démocratie de façade, simple exercice périodique factice, à des formes plus participatives de démocratie, à réformer la fiscalité pour une plus grande justice (revenus, dépenses et capital) et à une participation plus équitable de tous à son rendement au bénéfice du pays tout entier.
Le pays a besoin d’hommes ayant une grande capacité d’anticipation et une volonté d’agir vite et vigoureusement.
L’Algérie n’est pas un gâteau à partager, ni une rente à distribuer pour acheter une paix sociale artificielle qui ne repose pas sur un véritable pacte engageant gouvernants et gouvernés.
Aujourd’hui, il est temps de se ressaisir, de bousculer la maison pour rétablir la confiance gouvernants-gouvernés et la confiance des gouvernants en eux-mêmes, et mettre en place une véritable stratégie de redressement, tous domaines confondus, basée sur une vision qui ambitionne de faire de l’Algérie un pays de son époque, c’est-à-dire du XXIe siècle, avec tout ce que cela sous-entend.
Cela commence par une équipe de cadres, se distinguant par leurs valeurs intrinsèques, sur tous les plans, et qui soit dévouée, disponible et généreuse en termes de don de soi pour le pays.
Ces gestionnaires d’une autre race auront à relever le défi majeur de sortir définitivement l’Algérie de la pensée unique et du «zaïmisme» qui, hélas, constituent toujours les modes de gouvernance. Ces femmes et ces hommes doivent être capables d’innover, d’inventer, de surprendre par leurs performances et d’apporter les réponses appropriées au besoin de renouveau qui se manifeste, chaque vendredi et chaque mardi, depuis le 22 février 2019, à travers les manifestations réellement citoyennes exprimant une volonté de faire évoluer le système et revendiquant l’avènement d’un nouveau cadre politique, d’une nouvelle manière de concevoir et conduire la politique et d’un nouveau modèle de société.
Toutefois, il est devenu parfaitement clair que le mouvement populaire de contestation du système, qui a été dévoyé par les islamistes extrémistes (les résidus du FIS dissous, dont Larbi Zitout, Mourad Dhina, l’organisation terroriste Rachad et tout le bataillon de traîtres confortablement installés à Londres et ailleurs en Europe et gavés de pétrodollars par les monarchies archaïques du Golfe), n’est pas la voie pour réaliser le changement revendiqué de façon pacifique. Le slogan vindicatif «Etat civil et non Etat militaire» porte la signature des islamistes terroristes, dont les mains sont encore tachées du sang de dizaines de milliers d’innocents algériennes et algériens, et qui considèrent avoir une revanche à prendre et un compte à régler avec l’Algérie et, surtout, son armée qu’ils savent être le véritable rempart protégeant le pays.
L’islamisme archaïque dans lequel l’Algérie semble avoir définitivement sombré, face à l’absence de toute volonté politique de remettre les choses à leur juste place, est à la source de bien des dysfonctionnements politiques, économiques et sociaux.
A titre d’exemple, l’Algérie des années 1970 et 1980, qui avait connu le planning des naissances pour la maîtrise de la croissance démographique, n’a plus les ressorts nécessaires pour, seulement oser évoquer cette question pourtant fondamentale dans la prise en charge des graves problèmes économiques auxquels le pays est confronté. Il ne s’agit pourtant de rien d’autre que d’agir, dans le respect des libertés individuelles, des croyances et de la culture, par l’information, l’éducation, la sensibilisation et les aides médicales. Les structures d’aide à la maternité et à l’enfance sont devenues des structures vides, limitant leur plan de charge à l’assistance à l’accouchement. Il ne peut en être autrement lorsque le pays revient à des pratiques du moyen-âge pour laisser les zaouïas se substituer aux institutions.
Les freins au changement sont puissants et les changements à réaliser sont gigantesques et urgents. L’Algérie a besoin de toutes ses énergies pour la conduire avec courage et confiance vers de nouveaux horizons. Même si son passage à la tête du pays n’a duré, comme pour les fleurs annonciatrices du printemps, que l’espace d’un matin, pour paraphraser François de Malherbe, Boudiaf nous manque ; tout comme l’immense Boumediene dont la gouvernance n’a, pourtant, pas été indemne d’erreurs.
La jeunesse a le fort sentiment de n’être ni comprise, ni entendue depuis qu’elle a décidé de faire de la rue son terrain d’expression. Un immense fossé s’est creusé entre les gouvernés et les gouvernants. Cette fracture entre la vie politique nationale et les citoyens conduit la plus grande majorité du peuple à vivre en exil dans leur propre pays, tant elle se sent spoliée de ses droits les plus élémentaires, pourtant inscrits dans la Constitution. Beaucoup n’y voient de remèdes que dans les pires des scénarii que leur suggèrent le populisme et l’extrémisme.
Depuis l’indépendance, on ne cesse de reposer, à l’envi, la fameuse question posée, dès 1963, par feu Mohamed Boudiaf, en l’occurrence, «où va l’Algérie» ? En fait, poser une telle question est déjà, en soi, une erreur fondamentale. En effet, les Algériens devraient plutôt s’interroger sur ce qu’ils devraient faire pour aller vers le changement radical salvateur pour le pays tout entier. Le but devrait être de construire une Algérie où chaque citoyen devrait se sentir partie prenante à la vie de la nation et agir comme tel.
Cette quête n’a jamais pu être réalisée depuis l’indépendance, ce qui a traduit une difficulté à trouver et apporter des réponses aux aspirations du peuple algérien et à tenir les innombrables promesses qui se sont transformées en autant de désillusions, à travers toutes les périodes, et avec tous les dirigeants successifs.
Croire ou vouloir faire croire que rien n’a été réalisé durant plus d’un demi-siècle serait, évidemment, faux. Mais ce qui a été fait est trop insuffisant et d’un prix trop élevé et douloureux.
La jeunesse qui se révolte, aujourd’hui, n’est pas celle dorée, éduquée à l’étranger et en phase avec son époque. Non. C’est celle marginalisée qui rêve de se construire un autre monde où la misère et le besoin de défier la mort en traversant la Méditerranée, avec des embarcations de fortune, pour fuir la mal-vie et le mal-être seraient étrangers.
Déstabilisée par l’accumulation des gigantesques défis du pays, la jeunesse algérienne est devenue perméable aux discours catastrophistes, qu’ils viennent des séparatistes, des extrémistes et fanatiques religieux effrayants ou d’ailleurs. Devant l’absence de perspectives claires dans son pays, la jeunesse algérienne a fait de la migration illégale un projet de vie. Du reste, les jeunes ne sont pas les seuls à être dans cette situation.
En effet, faute de pouvoir jouir des conditions de son épanouissement dans son pays, l’élite algérienne est de plus en plus nombreuse à prendre le large, à la recherche de meilleures opportunités. Or, l’Algérie, qui a besoin de ses élites pour la tirer vers le haut, dans tous les domaines d’activité humaine où l’intelligence et le génie créateur peuvent librement s’exprimer et s’épanouir, se voit de plus en plus privée d’une ressource vitale pour son développement, dans tous les domaines.
Les défis sont nombreux, les moyens de les relever limités et le temps nous est compté. La prochaine rentrée sociale, les conditions nécessaires qui doivent être mises en place, à la faveur de l’inauguration d’une nouvelle législature sont pour l’Algérie, qui se trouve à un tournant crucial, des marqueurs qui devraient l’amener à amorcer enfin le tant attendu sursaut patriotique salvateur.
B. M.
(*) Chercheur établi aux Pays-Bas
Comment (16)