Les chimères d’Israël accouchent d’un gouvernement de bric et de broc
Contribution d’Ali Akika – Ce mois de mai 2021 a vu les chimères d’Israël voler en éclats sous la pression de l’histoire qui a remis en marche l’horloge du temps, un moment bloquée. Bloquée par les digues de la force brute et les complicités de la couardise internationale. Bloquée aussi par l’illusion d’un monde «nouveau» à créer sur une terre où vivait, et vit encore, un peuple (1). La pression est celle de ce peuple qui ne courbe pas l’échine et n’abandonne pas son rôle d’acteur de son histoire. Les illusions d’un nouveau monde dont les idéologues pensaient se débarrasser d’un peuple sur sa terre et y façonner un autre à sa place. Une illusion qui, au jour d’aujourd’hui, présente une image d’une société déchirée et d’un gouvernement de bric et de broc, qui plus est fruit d’un accouchement par césarienne après quatre élections en moins d’un an. Dans cet article, je m’intéresse au peuple palestinien qui, dans sa Palestine des tunnels, a défié les F16 et les dômes de fer financés par les Etats-Unis d’Amérique.
Il est des déclarations de responsables ou acteurs politiques qui passent inaperçues, pourtant porteuses de précieuses informations sur la guerre de 11 jours du mois de mai. Ainsi, le président américain, Biden, en pleine confrontation Palestine/Israël fit une déclaration, confirmée par son ministre des Affaires étrangères, Antony Blinken, débarquant en Israël le lendemain du cesse-le feu. Qu’avait-il dit le président américain ? Qu’il s’engageait sur une aide pour renouveler les stocks des missiles des bombardiers et du fameux «Dôme de fer».
Pour les experts militaires, un stock de munitions qui se vide en une dizaine de jours indique qu’il y a péril en la demeure. Ces stocks qui se vident rappellent l’épisode de la guerre d’Octobre 73 quand Kissinger organisa un pont aérien pour ravitailler l’armée israélienne en contrepartie, un peu plus tard, de l’évacuation du Sinaï (2). Qu’avait donc obtenu Biden en contrepartie de l’approvisionnement des stocks israéliens ? Un cessez-le-feu sans conditions, cesser d’expulser des familles de Sheikh Jarrash et la résolution des deux Etats votée par le Conseil de sécurité de l’ONU.
Voilà pourquoi le jour du cessez-le-feu, Netanyahou, furieux, s’étranglait dans ces discours et les populations israéliennes des villes frontières protestaient. Pendant ce temps, en dépit des morts et des destructions, les Palestiniens manifestaient leur joie, et le chef de la résistance à Ghaza rendait visite en plein jour aux familles des combattants morts. Voilà pourquoi ces jours de guerre sont incontestablement une victoire des Palestiniens sur le long chemin parcouru, et celui qui reste à parcourir, pour que les occupants comprennent que leurs rêves messianiques ne peuvent effacer l’Histoire.
Ainsi, ces 11 jours de mai 2021 ont révélé à la fois l’impuissance guerrière et l’impasse politico-idéologique d’un Etat qui se croyait invincible militairement et intouchable politiquement. La preuve a été fournie par les 160 avions F16 qui déversaient des milliers de tonnes de bombes mais qui n’ont nullement empêché la résistance de répliquer avec des missiles à partir des tunnels de la «nouvelle» ville sous-terraine palestinienne.
Ce fait remarqué et remarquable renseigne sur les adversaires, la nature et la stratégie de la guerre, le résultat de la confrontation. L’agressé chez lui et dans son bon droit puise sa force dans la légitimité politique de sa cause. L’agresseur, baignant dans des chimères, se croit protégé et invincible par la «grâce» de sa puissance militaire. Dans cette guerre asymétrique, la stratégie de défense a montré sa supériorité sur l’attaque. Ce n’est pas une nouveauté, la défense dans son propre territoire confirmée par l’histoire militaire est une évidence. Cette guerre de 11 jours a ainsi mis à nu les limites de l’utilisation de la puissance militaire. Et ces limites sont aussi de nature politique et idéologique, facteurs qui imposent à Israël une stratégie d’attaque laquelle est indissociable de son statut d’occupant.
Ces vérités n’ont pas surgi d’un seul coup mais au fur et à mesure des guerres qu’Israël a menées. Les premières guerres gagnées avec le soutien et la sympathie de l’Occident contre des régimes arabes féodaux et dominés ou dépendants de puissances étrangères (armement). Le mythe du petit David contre le Goliath va s’inverser quand Israël s’attaqua aux Palestiniens réfugiés dans les pays voisins de la Palestine.
Et ce sont précisément des réfugiés palestiniens en Jordanie qui vont donner un coup de griffe au Goliath israélien. Le 1er janvier 1965, les fida’yine du Fatah inaugurent leur lutte de libération. Les Palestiniens avaient compris qu’ils ne pouvaient compter que sur eux-mêmes. Compris aussi que les régimes arabes nationalistes minés par des contradictions internes n’avaient pas une réelle stratégie face à Israël. Ne restait aux Palestiniens que la guerre populaire prolongée qui avait triomphé d’abord en Chine en 1949, au Vietnam en 1954 (Dien Bien Phu), en Algérie, à Cuba etc.
Les stratèges israéliens comprenant vite la menace d’une guerre de guérilla décidèrent de tuer la résistance dans l’œuf. En mars 1968, plusieurs milliers de soldats israéliens soutenus par des blindés entrent en Jordanie. Yasser Arafat comprit le profit politique et médiatique qu’il pouvait tirer dans une confrontation directe avec l’ennemi. Quelques centaines de fida’yine se lancèrent à l’assaut, pratiquèrent une tactique de guérilla de mouvement, harcelant l’adversaire et provoquant le corps à corps pour empêcher l’aviation ennemi d’intervenir. La nuit tombant en pays ennemi, les Israéliens n’avaient que la retraite comme porte de sortie. Cette bataille qui se déroula au camp de réfugiés de Karameh le 20 mars 1968 entra dans l’histoire de la révolution palestinienne.
Cette leçon de résistance allait donner ses fruits. Au Liban d’abord où les fida’yine, à leur tête Yasser Arafat, retranchés dans Beyrouth, résistèrent à l’enfer israélien qui tombait du ciel. Impuissant et amer, Sharon, avant de se replier, se vengea sur les camps de réfugiés de Sabra et Chatillah. Et aujourd’hui, en ce doux mois de mai, les Palestiniens encerclés et enfermés dans une étroite bande de terre montrent au monde leur résistance alimentée par une bravoure et une intelligence militaire qui provoquent l’admiration. Leur guerre des missiles menée avec une habilité tactique a ébranlé les défenses de l’ennemi. Ils ont démasqué la fragilité stratégique d’Israël, handicapé par l’inexistence de profondeur du territoire, pièce maîtresse dans une stratégie de défense. L’étroitesse du territoire a mis à la portée de la résistance ses sites stratégiques (usines, ports et aéroport et bases militaires (3).
Cette situation n’a pas échappé aux stratèges militaires et observateurs qui ont vu les effets désastreux sur la population israélienne et l’arrêt des transports aériens et ferroviaires. Ces observateurs ont en déduit que lesdits effets étaient la cause du changement d’attitude de Netanyahou en dépit de ses discours spartiates. Ses sorties médiatiques laissaient plutôt transparaître un énervement car il était demandeur d’un cessez-le-feu (l’éloge adressé à l’Egypte n’est pas gratuit). D’autant que le protecteur américain, occupé ailleurs, ne voulait pas s’encombrer du problème d’un Netanyahou aux abois.
Pendant ce temps, la machine médiatique de propagande se lâchait et les commentateurs rêvaient tout bêtement et débilement au lever du drapeau blanc par les Palestiniens «vaincus». Une fois le cessez-le feu annoncé en premier par Israël (acte qui a son importance), les rêveries et autres illusions ressemblaient aux volutes de fumée qui s’évaporent au moindre souffle du vent.
Avant de voir les effets politiques de la victoire des Palestiniens, il n’est pas inutile de jeter un regard sur le double mythe entretenu autour de l’armée israélienne et de ses services de renseignement. En vérité, ledit mythe s’effritait déjà au fil du temps comme l’ont révélé les exemples suivants. Rappelons le double échec de l’armée israélienne et des services des renseignements pendant la guerre d’Octobre 73. L’armée égyptienne a bousculé la fameuse ligne Bar Lev, en traversant le Canal de Suez sans que les services secrets, tous corps confondus, n’aient rien vu de la préparation minutieuse d’une armée égyptienne qui réalisa alors un tour de force de la logistique et de protection de ses secrets.
L’échec également du Shin-Beth et du Mossad qui n’ont rien vu dans la construction et des tunnels et de la fabrication des missiles palestiniens. Quant à l’invincibilité de l’armée, on a légitimement des doutes quand on sait que, depuis 2006, elle n’a pas mis les pieds au Liban. Quant au lamentable scénario médiatique qui faisait croire à une entrée à Gaza trois jours après le début de la guerre des 11 jours, c’est la preuve que l’affrontement terrestre n’est pas le fort de cette armée.
Voyons les effets politiques de la défaite de mai 2021. Il est des choses que la plus habile des propagandes ne peut cacher, c’est quand un peuple occupe la rue. C’est ce qu’a fait le peuple palestinien dans l’ensemble de la Palestine. D’un seul coup, le monde apprend que dans cet Etat dit démocratique, il y a une minorité dite arabe qui ne jouit pas de tous ses droits. Au point qu’un ministre français parla de risque d’apartheid, reprenant ce concept déjà utilisé par une ONG internationale. Un autre effet aussi volcanique, pour la première fois, Tel-Aviv, la ville qui ne dort jamais, passa ses nuits dans les bunkers. Continuons la liste des effets.
C’est la mort et l’enterrement dans le silence de la bêtise du Deal du siècle trumpien et des accords avec la cohorte de féodaux du Golfe qui doivent se faire du mouron (souci) pour le futur. Toute cette architecture de plan et d’accord bidon n’était en fait que des châteaux en Espagne car ce beau monde, à l’esprit gavé de métaphysique, pense que l’univers fonctionne selon leurs dogmes moisis. Et l’effet politique qui va donner de l’urticaire et des cauchemars à tous les arrogants et benêts réunis de la région, c’est la mise sur la table de la formule de deux Etats en Palestine (4). Oui, adieu les chimères d’Israël du Nil à l’Euphrate.
Ces 11 jours de guerre ont fait comprendre que le protecteur américain, mais néanmoins soucieux avant tout de ses intérêts, va leur faire comprendre que son pouvoir ne se partage pas. Et pour l’heure, les Américains ont le pouvoir, et entendent s’en servir, pour empêcher quiconque de leur mettre des bâtons dans les roues dans leur confrontation avec la Chine, la Russie et l’Iran. L’ami américain est en train de payer les effets de la longue histoire de l’esclavage des Noirs. Ils voient, aujourd’hui, une nouvelle communauté (arabe et/ou musulmane) dans les rues de leurs villes et même au Congrès réclamer un changement de politique à l’égard d’Israël. Oui, Biden est pressé et sous pression. Et ce sont ces contraintes de politique intérieure qui vont pousser Biden à dire quelques vérités à Israël et tenter de calmer les Palestiniens.
Trois jours après le cessez-le-feu, le parrain américain a débarqué avec des millions de dollars pour «reconstruire» Gaza, réparer les dégâts de son poulain Netanyahou. Mais au-delà de ce geste «humanitaire», il y a la décision du président américain qui rouvre le consulat américain à Jérusalem pour les Palestiniens. Toute cette agitation est faite pour gagner du temps et réparer l’image de l’Amérique de Trump. Hélas, pour l’ami américain, il n’est pas sûr qu’il calme la situation. Le triste spectacle d’un Etat israélien sans gouvernement après quatre élections permet de douter qu’il fera tomber la fièvre dans cette région du monde. Une cinquième élection ou un gouvernement fait de bric et de broc ne changera pas les données du problème. Il est temps que le monde entier admette que le problème de la Palestine relève d’un fait colonial. Toutes autres rêveries ou inepties se fracasseront contre le mystérieux et invisible temps, rempart contre l’oubli et forteresse de l’histoire.
A. A.
1- Il est intéressant de rappeler que Théodore Herzl, fondateur du sionisme politique, a déclaré que l’établissement d’un Etat juif en Palestine rencontrerait l’opposition des Palestiniens. Ben Gourion, le premier président de l’Etat d’Israël a carrément dit : «Si j’étais Palestinien, je lutterais contre l’occupation de mon pays.» Tout est dit dans ces deux prises de position où la réalité et l’histoire ont été bousculées par le messianisme.
2- Le rusé Kissinger avait négocié la paix entre l’Egypte et Israël. L’Egypte récupère le Sinaï et Israël signa le premier traité de paix avec un pays arabe. C’est l’application de la fameuse théorie du «chaos créateur».
3- La propagande a évidemment caché ces faits et ne montrait que les maisons des civils.
4- Les arrogants pensent que la solution du problème se fera à leurs conditions.
Comment (6)