Le sionisme et l’islamophobie : ce couple funeste
Contribution de Mourad Benachenhou – «Dans la Bible… les ennemis d’Israël sont dépeints comme des criminels qui méritent d’être punis, et ils sont souvent diabolisés. Ils sont qualifiés de violents, oppresseurs, et sans pitié, et sont méprisés parce qu’ils adorent d’autres dieux. En bref, ils sont décrits précisément comme le genre de peuple qui doit être tué. A cause de cela, les lecteurs modernes de la Bible développent souvent des stéréotypes négatifs des ennemis d’Israël, sur la seule base de ce que la Bible dit d’eux. Malheureusement, ces stéréotypés sont difficiles à faire disparaître» (Erci A. Seibert : La violence de la Bible, dépasser l’héritage troublant de l’Ancien Testament, Chapitre 8 : «Empêcher l’utilisation de l’Ancien Testament pour justifier les guerres», Fortress Press, Minneapolis, 2012» p. 119.
«Exagérez chaque trait jusqu’à ce que l’homme soit transformé en bête, vermine, insecte, remplissez l’arrière-fond de visages méchants venant de vieux cauchemars – diables, démons, mirmidons du mal. Quand votre image de l’ennemi est complétée, vous serez capable de tuer sans remords, massacrer sans honte.» (Sam Keen : Visages de l’ennemi, 1986.)
Les seuls à subir collectivement les affres de l’antisémitisme sont les Palestiniens qui, au nom de la lutte contre cette idéologie inventée par des cerveaux occidentaux et mise en œuvre jusqu’à ses conséquences extrêmes par des leaders politiques dans des pays exclusivement européens, doivent payer le prix de ces entreprises barbares.
L’antisémitisme confine actuellement au fait divers
Pourtant, et selon même ceux qui sont supposés en être les victimes, l’antisémitisme, dans ses manifestations actuelles, ressortit plus de la chronique des faits divers ou des cancans titillant l’esprit de groupe que chacun porte en lui, que d’une idéologie animant des groupes politiques puissants.
Cette idéologie, spécifiquement occidentale dans sa conception comme dans sa mise en œuvre, n’interpelle que les nations qui, au cours de leur histoire contemporaine, l’ont utilisé pour faire subir à leurs citoyens juifs les pires des actes de barbarie, en opposition totale avec les enseignements de l’Evangile, dont la devise centrale «aimez-vous les uns les autres» à laquelle s’ajoute l’appel à «la paix entre les hommes de bonne volonté».
Ce qui se passe en Palestine historique n’a rien à voir avec la lutte contre l’antisémitisme mais tout avec une entreprise coloniale occidentale se couvrant de l’interprétation littérale du livre saint partagé par les deux religions occidentales les plus répandues.
Shlomo Sand, dans son livre intitulé Comment j’ai cessé d’être juif, ouvrage dont la traduction française a été éditée par Flammarion, dans sa collection «Café Voltaire» en 2013, rappelle ce fait historique et résume à la fois non seulement la distinction entre judaïsme et sionisme, mais également la dérive raciste totalitaire qui constitue le fonds de ce qui est appelé couramment «le conflit israélo-palestinien».
Le peuple palestinien n’a aucune responsabilité dans l’interprétation littérale
des enseignements de la Bible juive
Voici ce qui constitue probablement la partie la plus importante de ce livre, car elle vaut plus que les développements les plus sophistiqués qui ont, par ailleurs, été exposés par les «spécialistes des questions moyen-orientales : «Il faut se garder d’assimiler le judaïsme au sionisme !»
Le judaïsme s’est fermement opposé au nationalisme juif, jusqu’au XXe siècle, et même jusqu’à l’arrivée d’Hitler. Les organisations et les institutions juives, avec le soutien massif de leurs membres, récusaient l’idée de la colonisation en Terre sainte, et a fortiori la création d’un Etat qui serait dit «Etat juif». Précisons que cette opposition ne résultait pas d’une identification humaniste avec les habitants locaux, peu à peu déracinés de leur terre par le processus. Les grands rabbins n’étaient pas guidés par des impératifs moraux universels. Ils avaient tout simplement compris que le sionisme représentait, en fin de compte, une assimilation collective dans la modernité, et que le culte rendu au sol national, exprimé dans une nouvelle foi laïque, venait en fait supplanter la dévotion divine.
«La création de l’Etat d’Israël, ses triomphes militaires et son expansion territoriale finirent par emporter la grande majorité du camp religieux qui a connu une nationalisation radicale accélérée. De larges pans des nationaux religieux, tout comme des orthodoxes-nationaux, font aujourd’hui partie des courants les plus ethnocentristes de la société israélienne. Ils n’ont pas été conduits dans cette voie par la Bible ou le Talmud. Mais les messages principaux du Livre sacré et de ses commentaires ne les ont pas prémunis contre ce glissement vers un racisme brutal, un désir effréné de territoires et une absence criante de prise en considération des habitants natifs de la Palestine.
«Autrement dit, les dimensions égocentristes qui caractérisent la morale juive traditionnelle n’ont peut-être pas de responsabilité directe dans l’effondrement antilibéral et antidémocratique auquel on assiste aujourd’hui en Israël, mais elles l’ont incontestablement rendu possible et elles continuent de l’autoriser. Quand une tradition d’éthique intracommunautaire s’unit à un pouvoir religieux, national ou au pouvoir d’un parti, elle engendre toujours de terribles injustices contre ceux qui ne font pas partie de la communauté.» (P. 69.)
Ce texte place de manière claire et sans réserve la responsabilité de ce «conflit» qui n’en finit pas d’alimenter l’actualité, non sur les Palestiniens, mais sur une interprétation exclusiviste, pour ne pas dire raciste, des Livres saints du judaïsme, interprétation qui ne coïncide nullement avec les enseignements de cette religion, et donc dont la critique, si acerbe soit-elle, ne peut être considérée comme une forme sournoise d’antisémitisme, bien au contraire ! Car Sand la présente comme une dérive contraire au cœur des enseignements du judaïsme et non comme une réponse à une situation de péril extrême pour la communauté en cause sur le territoire de la Palestine historique.
La montée en puissance de l’islamophobie
Alors que l’antisémitisme, par lequel les occupants actuels de la Palestine historique justifient leur politique d’apartheid, disparaît à l’échelle mondiale comme mouvement politique, et s’est transformé, sur le plan des faits, en actes d’agression individuels ressortissant du fait divers, l’islamophobie est devenue un phénomène politique ayant ses théoriciens, ses partis politiques et ses hommes d’Etat incitant à la haine contre l’islam pour gagner les élections et prendre le pouvoir, et justifier des mesures discriminatoires contre les musulmans, jusqu’à leur interdire l’entrée sur les territoires nationaux. Comme le décrit Amineh Hoti, parlant des émigrés musulmans en Europe : «L’islamophobie, sensationnalisée dans les médias, a victimisé les musulmans dans l’Occident et a sans doute conduit à la montée de la droite de l’Amérique à l’Europe. Il y a une atmosphère anti-émigrés vicieuse et cauchemardesque en Europe. Les Hongrois ont emprisonné par la force les émigrés dans des prisons et leur ont donné une drogue appelée Rivotril (Clonazepam) qui vous transforme en zombie. Les prisonniers deviennent habitués à cette drogue et tentent de se suicider. Les émigrés qui tombent malades et doivent être examinés par un médecin sont conduits à travers la ville, attachés à une laisse et menottés. Les messages de médias sociaux et les articles de journaux en Tchéquie demandent que tous les réfugiés, les noirauds soient exécutés, noyés ou envoyés aux chambres à gaz… Les médias ont aidé à l’expansion de l’islamophobie en ne donnant pas d’informations objectives sur les réfugiés, les musulmans et le monde musulman.» (Richard Burridge, Jonathan Sacks, éditeurs : Confronter la violence religieuse, une contre-narration», Baylor University Press, 2018, p. 94.)
«Islamophobes de tous les pays, unissez-vous !»
Le courant islamophobe envahit le monde entier et justifie l’indifférence devant le génocide de la minorité birmane Rohingya, comme la politique antimusulmane de la «plus grande démocratie du monde», et encourage la répression contre les musulmans dans différents pays asiatiques, y compris dans le «pays le plus peuplé du monde», où l’islam a pénétré quasiment depuis la période du Prophète. Mais cette banalisation n’a rien de spontané et n’a que des liens tenus avec le «terrorisme islamique».
Le noyau de cette haine systémique, habilement entretenue, se trouve dans l’entreprise sioniste de génocide du peuple palestinien, de «délégitimation» du combat de ce peuple pour sa survie, car c’est lui qui est menacé de disparaître, pas les indus occupants de la Palestine historique qui donnent à leur occupation une base religieuse, transformant donc le conflit en guerre de religion s’étendant au monde entier, et poussant à une alliance mondiale contre l’islam, présenté comme une menace civilisationnelle qui doit être combattue partout et en toutes circonstances.
L’alliance entre sionistes et islamophobes n’a rien de fortuit ou de conséquence d’une série d’évènements ayant abouti à cette atmosphère de confrontation. C’est le champ de bataille que les sionistes ont choisi pour justifier et légitimer la violence anti-palestinienne. D’ailleurs, le livre de Hutington Le Choc des civilisations tourne autour de ce thème, au point d’être devenu le Mein Kampf des islamophobes de tout bord, cité même, étrangement, par le ministère québécois de la Coopération comme ouvrage de référence.
L’islamophobie, une industrie soutenue et financée par les sionistes
Comme l’explique Nathan Léan dans son livre intitulé L’industrie de l’islamophobie, comment la droite a fabriqué la haine des musulmans (Pluto Press, 2017), et se référant spécifiquement au cas américain, qui peut être généralisé, car les animateurs américains de ce mouvement haineux trouvent leurs équivalents, par exemple en France, les Eric Zemmour, les Henry Emmanuel Levy et autre Alain Finckelkraut, «bouffeurs de musulmans», matin, midi et soir, au point de perdre toute pudeur intellectuelle, et devenus les nouveaux «dieux de la haine raciale et religieuse antimusulmane», au nom de «la défense des valeurs occidentales» (ils ne sont pas à une incohérence près, évidemment) et violemment pris à partie par Shlomo Sand dans son livre intitulé La Fin des intellectuels français (Paris, Editions La Découverte, 2016).
Voici ce qu’écrit Léan : «La promotion des sentiments antimusulmans est une méthode indispensable pour l’emporter dans une guerre cosmique qui se déroule des milliers de kilomètres plus loin, sur le territoire de la Palestine historique. Les partisans durs d’Israël et de ses visées expansionnistes dans les territoires palestiniens sont souvent ceux qui financent principalement le pugilisme pseudo-intellectuel que déploie l’industrie de l’islamophobie. Pour eux, mettre l’accent sur ce qu’ils considèrent comme la menace islamique et les musulmans crée une atmosphère de moindre résistance pour la politique israélienne anti-palestinienne. Leur argent – et beaucoup de leur argent – a subventionné des campagnes massives de propagande contre l’islam et pris en charge le travail des détracteurs des musulmans. Ce n’est pas une coïncidence que les personnages qui font saigner le nez des musulmans sont ceux-là mêmes qui soutiennent l’expansionnisme israélien» (pp. 15-16).
En conclusion
Certains pourraient reprocher l’excès d’intérêt porté au drame palestinien car chacun ne devrait se mêler que de ce qui touche immédiatement à sa société, à sa tribu, à son ethnie et à ses problèmes. Si ce raisonnement devenait «principe catégorique», à la façon d’Emmanuel Kant, jamais le peuple algérien n’aurait gagné son indépendance, aucun peuple n’ayant suffisamment de proximité avec lui pour défendre sa cause, y compris les peuples maghrébins arabo-berbères. Ni la Tunisie ni le Maroc indépendants, encore moins la Libye, l’Egypte, la Syrie, etc. et même les ex-pays socialistes, y compris l’Union soviétique, n’auraient eu aucune raison valable de soutenir notre lutte, dans ce monde de «chacun-pour-soi» que certains veulent défendre ou justifier le silence devant les injustices commises contre le peuple palestinien. Pourquoi même des intellectuels français ont-ils pris position contre leur propre gouvernement et se sont-ils mis à la disposition du peuple algérien dans sa lutte pour son indépendance et sa dignité ? S’il n’y a d’autre solidarité qui compte que celle de la proximité et du sang, jamais le peuple algérien n’aurait gagné sa liberté, quel qu’ait été son courage, quels qu’aient été les sacrifices qu’il aurait consentis.
Le «villagisme» n’a jamais mené nulle part, et le temps du splendide isolement dans son douar d’origine est mort depuis longtemps. Ceux qui veulent ramener notre pays à ce qui a causé ses malheurs prêchent, même s’ils ne le comprennent pas, contre leur propre cause !
Il faut d’autant plus parler souvent de la cause palestinienne que ceux qui lui sont opposés possèdent une puissance qui, non seulement écrase militairement le peuple palestinien, mais une présence médiatique qui étouffe toute information en faveur de ce peuple et dénonçant ses bourreaux qui l’agressent en continu, 24 heures sur 24, sept jours par semaine et 365 jours un quart, sans répit et sans pitié.
La lutte contre l’antisémitisme, œuvre entièrement occidentale, ne justifie nullement l’utilisation de la Bible pour faire disparaître le peuple palestinien de sa terre ancestrale.
La mobilisation de l’islamophobie à l’échelle universelle, au profit du projet sioniste de génocide du peuple palestinien, souligne le caractère religieux de l’entreprise sioniste et transforme un problème politique en guerre de religion sans merci, et cette voie a été choisie, non par les musulmans, ni d’ailleurs par les chrétiens palestiniens, mais par les sionistes et leurs alliés.
Où est donc la laïcité dans cette union entre sionisme et islamophobie ? Où sont donc les «valeurs laïques» et «la tolérance religieuse», supposées constituer les spécificités des sociétés occidentales qui auraient dépassé, si ce n’est transcendé définitivement, la fameuse «ère théologique» d’Emile Comte.
Le sionisme a pour projet de redonner vie à l’antiquité en exploitant les moyens modernes de la science et de la technologie ; pour assurer la réussite de ses desseins, il veut que l’Occident revienne au Moyen-Age et au temps des Croisades ! Tel est le grand paradoxe du «post-modernisme».
M. B.
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