Le droit à la barbarie : privilège exclusif des «démocraties avancées»
Contribution de Mourad Benachenhou – «Les manœuvres diplomatiques et les campagnes militaires de la guerre de 1948 sont bien gravées dans l’historiographie juive israélienne. Ce qui manque est le chapitre traitant du nettoyage ethnique exécuté par les juifs en 1948. Comme résultat de cette campagne, cinq cent villages et onze quartiers urbains palestiniens ont été détruits, sept cent mille Palestiniens ont été expulsés, et plusieurs milliers d’entre eux massacrés. Même aujourd’hui, il est difficile de trouver un résumé succinct de l’exécution de ce plan de nettoyage et les répercussions de ces résultats tragiques.» (Noam Chomski et Illan Pappé, Gaza en crise : réflexions sur la guerre d’Israël contre les Palestiniens, Haymarket Books, Chicago, Illinois, p. 63.)
Nos dirigeants «éclairés, infaillibles, impeccables, omniscients, militants, révolutionnaires, nationalistes» ont choisi, à l’indépendance, de mettre de côté le problème central de la «décolonisation», dans le sens le plus total du terme, et de se battre les uns contre les autres pour le monopole de la jouissance des privilèges matériels et du prestige associés au monopole du pouvoir politique.
Ce mauvais départ, qui continue à empoisonner la vie du peuple algérien, a abouti à des conséquences qui mettent en danger l’existence même de la nation et qui justifient amplement cet élan de résurrection qu’est le Hirak, preuve de la vitalité de ce peuple, pourtant longtemps marginalisé et réduit à la passivité par des dirigeants vaniteux et égoïstes qui ont mis leurs intérêts personnels bien au-dessus des intérêts de ce peuple.
Rejeter toute ingérence étrangère dans la gestion de la crise multidimensionnelle
Cependant, dans cette phase difficile où est remis en cause le système de gouvernance né de la lutte pour le pouvoir à la veille de l’indépendance, il n’y a aucune justification pour que les problèmes algéro-algériens soient sous-traités à des officines étrangères, qui ne cherchent ni la rédemption linguistique de telle ou telle partie de la population algérienne, ni la sérénité et la stabilité qui suivraient le dépassement de la crise multidimensionnelle actuelle.
Dans ce monde où l’agression militaire armée se substitue de manière routinière à la diplomatie et où s’est effondré quasi-totalement l’ordre institutionnel international établi par les Alliés victorieux et «vertueux», à partir de 1944, pour éviter les conflagrations du type de la Seconde Guerre mondiale, il arrive souvent que l’amitié soit synonyme d’inimitié mortelle et que «l’ennemi de mon ennemi» soit également «le pire de mes ennemis».
On constate quotidiennement que les seuls principes moraux qui comptent dans les relations internationales sont ceux dictés par les rapports de force du moment et que l’attachement exprimé à ces principes n’a d’autre objectif que de justifier leur violation.
Il ne faut certainement pas se fier à l’aspect bonhomme de certains représentants diplomatiques. Leur mission essentielle est de cacher les sinistres desseins des pays qu’ils représentent et dont les proclamations pleines de nobles principes humanistes et humanitaires et d’appels grandiloquents à la démocratie, à la liberté et au respect des droits de l’Homme, ne sont que des paroles trompeuses totalement contraires aux ressorts et aux formes de leurs interventions. Utiliser les bombes comme moyen de livrer des messages de liberté ne constitue pas la forme appropriée pour délivrer les peuples de leurs «oppresseurs».
La leçon est apprise, les masques sont tombés et ne prétendent être «trompés» que les complices des agressions extérieures prenant prétexte d’aider les peuples «opprimés» à œuvrer pour l’effondrement de la légitimité de leurs gouvernements «despotiques». On ne transforme pas un pays en champ de ruines et en vaste cimetière, ou en mouroir à ciel ouvert, sous le couvert de faire avancer la démocratie ou de mettre un terme à la violation des droits de l’Homme !
La violence guerrière unilatérale pour changer les régimes politiques récalcitrants
En fait, la règle de base dans les relations internationales contemporaines est de provoquer, avec des complicités intérieures, l’effondrement des Etats récalcitrants à l’ordre mondial, imposé par une poignée de grandes puissances, baptisée faussement et pompeusement «Communauté internationale» et, une fois cet objectif atteint, de laisser les morceaux qui en restent se débrouiller tout seuls.
Tous les acteurs étrangers qui ont créé le désordre dans les pays voués à la destruction sur décisions de ces puissances disparaissent une fois leurs objectifs de dislocation atteints brusquement de la scène de la tragédie dont ils ont écrit et exécuté le scénario, choisi les acteurs principaux tout comme les dialogues. Et les exemples tirés de l’actualité ne manquent pas pour illustrer le cynisme des grands «moralisateurs» de ce monde chaotique.
Les sirènes de la démocratie ne sont que des requins assoiffés de sang déguisés
Le Soudan du Sud est-il moins misérable, indépendant que sous administration de Khartoum ? Il a même disparu des médias, comme par enchantement. Il n’est remis à l’ordre du jour international, et de temps à autre, que pour de prouver combien sont raisonnables et généreux les pays mêmes qui ont concocté la tragédie que vivent ses populations. L’anthropophagie y est même retournée.
L’Irak démocratique, débarrassé de Saddam Hussein, est-il plus heureux, plus prospère, plus sûr ? Le règne brutal de ce dictateur a moins causé de morts innocents et de destruction que l’intervention étrangère violente, qui ne cesse d’inventer de nouveaux prétextes pour entretenir le désordre au nom de principes que contredisent les moyens que les «donneurs de leçons morales armés» utilisent. Et le redressement de ce pays, jadis sur la route du progrès, est loin d’être assuré. Les minorités religieuses qui faisaient de ce pays un musée des religions moyen-orientales ont été décimées et jamais le futur des minorités ethniques, qui y cohabitent depuis des millénaires, n’y a été aussi incertain.
Y a-t-il moins de tueries, de tortures, de souffrances, donc de barbarie dans la Libye débarrassée de Kadhafi ? Et l’Afrique sans lui est-elle plus assurée d’être sur la bonne voie ? La Méditerranée, grâce à la disparition de ce dictateur, si sanguinaire fût-il, est-elle enfin devenue la «mer paisible» qu’annonce son climat ?
La Syrie détruite se reconstruira-t-elle plus vite sans El-Assad ? Rien n’est moins certain, car ceux mêmes qui dépensent des centaines de milliards de dollars pour la faire disparaître de la carte politique seront les premiers à prendre la «poudre d’escampette» quand il s’agira de leur demander de mettre la main à la poche pour reconstruire ce qu’ils ont délibérément détruit directement, ou par comparses et complices interposés. Et que le peuple syrien ne prête pas créance à ceux qui lui promettent monts et merveilles, une fois qu’ils auront atteint leur objectif de contrôler chaque aspect de la vie politique de la Syrie ! Elle restera un grand champ de ruines, attirant de temps à autre, mais seulement quand ça rapporte, les pleurs et lamentations des âmes charitables qui se trouvent être celles qui l’ont détruite de fond en comble.
Où sont ces défenseurs des droits de l’Homme si prompts à pleurer sur le sort des peuples opprimés par leurs dictateurs indigènes et si disposés à applaudir, si ce n’est à participer au massacre de ces peuples, lorsque leurs dirigeants, démocratiquement élus, en décident ainsi pour la défense de leurs «intérêts nationaux», intérêts jamais définis, et changeant avec les circonstances pour s’adapter aux décisions du moment ?
Les nations «démocratiques, qui se veulent les phares de la civilisation et les exemples de l’humanisme dans le sens le plus complet du terme, ont tué au nom de la démocratie, de la liberté d’expression et de la défense des droits de l’Homme encore plus de monde que les dictateurs, dont ils ont voulu débarrasser les peuples, qui ont eu le malheur d’attirer leur compassion meurtrière.
La banalisation du génocide pour régler les problèmes politiques internationaux
On sait maintenant que la démocratie est un autre mot pour le droit à la barbarie et que les sirènes de la démocratie ne sont que des requins sanguinaires déguisés pour attirer leurs victimes, que le printemps, qui symbolise le retour à la vie, est devenu le vestibule de l’Enfer sur terre, que la promotion de la liberté de la presse n’a d’autre visée que d’imposer à l’humanité entière un monopole unilatéral de l’information, que la défense des droits de l’Homme est un slogan destiné à camoufler la banalisation et la promotion du génocide comme solution finale aux différends internationaux et que, conséquence logique, la barbarie est maintenant la forme suprême de la civilisation.
Un dirigeant de cette «communauté internationale» n’a-t-il pas menacé, il y a encore peu de temps de cela, d’«effacer de la surface de la terre» un peuple auquel a été imposée de l’extérieur une situation de guerre totale qui dure depuis quarante années et qui n’est pas près de finir ?
La «banalisation du génocide» comme solution aux problèmes politiques internationaux n’est pas seulement une phrase choc dans un quotidien local. Seuls les simples d’esprit, quels que soient, par ailleurs, les titres et diplômes dont ils se parent, peuvent croire que le bourreau est l’ami de ses victimes.
Ajouter l’Algérie au tableau de chasse des «démocraties avancées»
Les grands apôtres de la «démocratie» rêvent d’ajouter à leur tableau de chasse l’Algérie qui leur semble mûre pour subir le même sort que les autres pays victimes de leur «amour sauvage et mortel» de l’idéal démocratique, qui est devenu synonyme de dévastation et de malheurs sans fin pour les peuples qui ont en été les victimes.
Que ces mains étrangères, mal intentionnées, tentent de tirer le maximum de profit du grand malaise politique dont souffre le pays n’a rien d’étonnant. Le carnassier, c’est connu, s’attaque toujours à la bête du troupeau la plus faible. L’Algérie traverse une phase de grande faiblesse, il faut en être conscient, et les carnassiers ne manquent pas autour d’elle pour accentuer et perpétuer cette faiblesse, dans la poursuite de leurs propres desseins et la défense de leurs propres intérêts.
Malheur à ceux qui sont tentés de prendre l’avion de l’intervention étrangère pour faire avancer leur programme de destruction de la nation algérienne, au nom d’une lutte identitaire, tirant son inspiration de la production intellectuelle conçue, il y a plus de cent cinquante années de cela, pour légitimer le système colonial et justifier l’entreprise ethnocidaire de ce système !
Nul ne peut prétendre sérieusement qu’il peut retrouver ses racines dans des œuvres destinées à justifier la domination coloniale, à donner des bases «pseudo-scientifiques» à l’ethnocide et à arracher les différentes composantes du peuple algérien à leur sol nourricier qui est la nation algérienne. Lorsque la victime place son espoir de survivre dans «l’humanité» de son bourreau, c’est qu’elle est devenue son complice dans son œuvre cruelle. C’est ce qui s’appelle, en psychiatrie, «le symptôme de Stockholm».
En conclusion
Nous avons eu l’expérience amère de la démocratie «coloniale.» Nous ne devons pas oublier que l’Algérie colonisée a été soumise à la loi de l’envahisseur, décidée par des représentants élus démocratiquement… du peuple français.
La domination coloniale totalitaire a été décidée, en toute démocratie, par les gouvernements et les parlementaires du colonisateur, élus démocratiquement, et qui ont pris sur eux, pendant cent trente-deux années, de décider du plus petit détail du sort de la population autochtone algérienne, de la répression de son droit à l’indépendance, des exécutions sommaires, du cantonnement du quart de sa population dans ces camps de concentration (qualifiés ainsi par Alister Horne, historien américain) qu’ont été les centres de regroupement, où étaient emprisonnés quelque deux millions et demi d’Algériennes et Algériens pendant toute la durée de la Guerre de libération, etc., sans jamais prendre la peine de la consulter.
La démocratisation, inspirée, manipulée, exécutée par des mains étrangères, est devenue synonyme de guerres unilatérales, de massacres et de destructions sans rémission.
Pourtant, il semblerait bien que nombre d’intellectuels appellent à la répétition d’un scénario maintenant devenu habituel et routinier. Ces intellectuels sont des adeptes fervents de la démocratie «importée et livrée par la voie aérienne armée» et dans le choix de laquelle ils voient la manifestation de leur liberté sans «entraves». Ils refusent de tirer les leçons des «campagnes de démocratisation» qui ont déjà détruit plusieurs pays proches historiquement et culturellement.
Malgré leurs prétentions à la libération de leurs entraves sociologiques, qui leur aurait fait épouser les idéaux de la démocratie, ils sont atteints de la forme extrême du «symptôme de Stockholm», ce déséquilibre psychique, qui les entretient dans l’illusion que leur servitude est la forme suprême de leur libération intellectuelle, alors qu’ils ne font que singer leurs oppresseurs et se livrer totalement à leur merci.
Les «contrebandiers de l’histoire» ne sont rien d’autres que des esclaves qui ne se rendent pas compte de leur enchaînement et qui refusent leur manumission quand elle leur est offerte par leur propre peuple !
Qu’ils expriment une haine et un mépris sans borne pour leur peuple et manifestent un penchant certain pour l’idéologie sioniste, génocidaire, raciste et fanatique, et son incarnation dans la dernière colonie de peuplement occidentale en terre palestinienne, colonie aussi «démocratique» que l’était «l’Algérie de papa» sous la domination des «Républiques» qui se sont succédé dans l’ex-métropole coloniale pendant 132 ans, n’ont rien de surprenant. La régression «infantile» ne fait-elle pas partie du symptôme de Stockholm ?
M. B.
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