Passage de l’Etat de «soutien» à l’Etat de justice : un pari politique majeur
Contribution d’Abderrahmane Mebtoul – L’économie est fondamentalement politique, comme nous l’ont enseigné ses fondateurs, notamment Adam Smith, David Ricardo, Karl Marx, Joseph Schumpeter et, plus près de nous, les prix Nobel de sciences économiques attribués aux institutionnalistes. La refondation de l’Etat, pour ne pas dire sa fondation comme entité civile, passe nécessairement par une mutation profonde de la fonction sociale de la politique. Le passage de l’Etat de «soutien» à l’Etat de justice est un pari politique majeur, car il implique tout simplement un nouveau contrat social et un nouveau contrat politique entre la nation et l’Etat.
L’Algérie ne peut revenir à elle-même que si les faux privilèges sont bannis et les critères de compétence, de loyauté et d’innovation sont réinstaurés comme passerelle de réussite et de promotion sociale. La refondation de l’Etat ne saurait se limiter à une réorganisation technique de l’autorité et des pouvoirs. La gouvernance est une question d’intelligence et de légitimité réelle et non fictive. Cela implique des réaménagements dans l’organisation du pouvoir devant poser la problématique stratégique du futur rôle de l’Etat largement influencé par les effets de la mondialisation dans le développement économique et social, notamment à travers une réelle décentralisation.
L’Algérie de demain devra progressivement s’éloigner du spectre de l’exclusion, de la marginalisation et de toutes les attitudes négatives qui hypothèquent la cohésion sociale. L’implication du citoyen dans le processus décisionnel qui engage l’avenir des générations futures est une manière pour l’Etat de marquer sa volonté de justice et de réhabilitation de sa crédibilité, en donnant un sens positif à son rôle de régulateur et d’arbitre de la demande sociale. Si l’on veut un développement durable, permettant l’adhésion des citoyens le retour à la confiance brisée est fondamental. En raison des crises internes qui les secouent périodiquement, du discrédit qui frappent la majorité d’entre elles, de la défiance nourrie à leur égard et à l’endroit du militantisme partisan, se pose la question de savoir si les formations politiques – pouvoir et opposition – sont dans la capacité aujourd’hui de faire un travail de mobilisation et d’encadrement efficient qui évite un affrontement direct entre citoyens et forces de sécurité et, donc, de contribuer significativement à la socialisation politique et d’apporter une contribution efficace à l’œuvre de redressement national.
Il existe une déconnexion par rapport à la vitalité de la société toujours en mouvement, d’où l’urgence de la restructuration de ces formations politiques. Quant à la société civile, force est de constater qu’elle est éclatée, y compris certaines confréries religieuses qui, avec la désintégration sociale et une jeunesse parabolée, ont de moins en moins d’impact. La confusion qui prévaut actuellement dans le mouvement associatif national rend urgent l’élaboration d’une stratégie visant à sa prise en charge et à sa mobilisation. Sa diversité, les courants politico-idéologiques qui la traversent et sa relation complexe à la société et à l’Etat ajoutent à cette confusion. On la voit se scinder en quatre sociétés civiles.
Le premier segment qui a été par le passé le plus gros segment, interlocuteur privilégié et souvent l’unique des pouvoirs publics, ce sont des sociétés civiles appendice du pouvoir qui se trouvent à la périphérie des partis du pouvoir où les responsables sont parfois députés, sénateurs, vivant en grande partie du transfert de la rente. Nous avons une société civile ancrée franchement dans la mouvance islamiste, certains segments étant l’appendice de partis islamiques légaux. Nous avons une société civile se réclamant de la mouvance démocratique, faiblement structurée, en dépit du nombre relativement important des associations qui la composent, et minée par des contradictions en rapport, entre autres, avec la question du leadership. Enfin, nous avons une société civile informelle, inorganisée, atomisée qui est de loin la plus active et la plus importante, formant un maillage dense. Mais, du fait de tendances idéologiques contradictoires, elles sont incapables de s’entendre sur un programme de gouvernement cohérent.
L’intégration intelligente de la sphère informelle, non pas par des mesures bureaucratiques autoritaires, mais par l’implication de la société elle-même, est indispensable pour sa dynamisation. Car, lorsqu’un Etat veut imposer ses propres règles déconnectées des pratiques sociales, la société enfante ses propres règles qui lui permettent de fonctionner. Aussi de profonds changements s’imposent, tout projet étant forcément porté par des forces sociales, souvent avec des intérêts différents.
La solution se trouve dans le dialogue productif avec des concessions réciproques qui privilégient uniquement l’avenir de l’Algérie. Dans le cas du retour au FMI en 2021-2022, il serait utopique tant pour le pouvoir que l’opposition de parler d’indépendance sécuritaire, politique et économique. Nous aurons alors des incidences géostratégiques négatives de déstabilisation de la région méditerranéenne et africaine que ne souhaite ni les Etats-Unis, ni l’Europe, ni d’ailleurs aucun algérien patriote.
Pour terminer, la Banque d’Algérie vient de décider, ce 30 juin, un programme spécial de refinancement de l’économie nationale d’une durée d’une année, s’élevant à 2 100 milliards de dinars. Avec un cours moyen de 130 dinars pour un dollar, cela donne le montant colossal de 16,15 milliards de dollars. Je ne saurai trop insister sur l’urgence de synchroniser la sphère réelle et la sphère financière, la dynamique économique et la dynamique sociale, la vision purement monétariste, la planche à billets – sans contrepartie productive. L’Algérie souffre de rigidités structurelles, la théorie néo-keynésienne étant inapplicable vu le manque de devises – et non pas de dinars – sous prétexte d’éviter l’endettement extérieur qui peut être positif s’il est ciblé et créateur de valeur ajoutée. Par contre, la dévaluation du dinar pour combler artificiellement le déficit budgétaire conduira inéluctablement au scénario vénézuélien avec une faillite de l’économie marquée par une hyperinflation et de vives tensions sociales avec un grave impact sécuritaire.
A. M.
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