Généralisation de la finance islamique : attrape-nigaud pour dindons de la farce
Contribution d’Ali Akika – La fonction de la finance est d’être à la fois le «reflet» et l’auxiliaire d’une économie. C’est un circuit qui permet les échanges par le biais de la monnaie. Le texte qui suit a pour but de voir ce qui passe derrière les rideaux de la finance dite islamique. C’est une façon de répondre à la question, le monde de cette finance est-il armé, capable de jouer un rôle dans la production de la richesse qui est l’alfa et l’oméga de toute économie digne de ce nom ? Sommes-nous dans la réalité ou bien dans un mirage derrière la dénomination de cette finance «spécifique» ?
Associer deux mots qui n’ont pas la même origine – métaphysique pour l’un et circulation de la monnaie pour l’autre –, ni la même fonction est pour le moins hasardeux. Les mots ont un sens précis et ont leur propre histoire. Ils sont une matière première des langues et les petits et soi-disant malins qui jouent à les manipuler le paient cher généralement. Quant à la finance, dont la matière première est la monnaie, elle est une simple technique pour faire circuler ladite monnaie. C’est pourquoi associer la finance à une religion dont l’ambition est autre, c’est prendre le risque de se faire traiter de marchands de rêves. Mettre la religion au service des marchands du temple s’est soldée par des mésaventures pour les marchands en question (1). Je fais cette petite parenthèse pour dire que le temple d’une religion est censé être un lieu de prière et ne doit pas être un souk pour les adorateurs du dollar. Le rapport entre la religion et la finance ne va donc pas de soi.
Rappelons que l’Eglise chrétienne a eu, entre autres, sa séquence de rapport mouvementé avec la finance. Cette guéguerre a été initiée par un moine franco-suisse qui s’opposa au pape qui interdisait alors le taux d’intérêt dans les transactions commerciales. Ce moine nommé Jean Calvin (1509-1564) se rebella contre le pape car il constata que les richesses s’amassaient et sommeillaient dans les coffres de l’église catholique. Cette thésaurisation (argent qui dort) était pour Calvin une aberration car la raison d’être de ce nouveau système économique (le capitalisme naissant) est de faire fructifier ces trésors en faisant des investissements. Ainsi, l’église catholique interdisait l’intérêt comme une certaine interprétation de l’islam interdit la ribâ (prêt usurier, intérêt) jusqu’à aujourd’hui.
Dans le monde musulman, il n’y a pas eu une sorte de Calvin pour faire l’éloge du taux d’intérêt. On contourna l’interdit par une sorte de lecture «libérale», pragmatique de la ribâ. L’interdit de la ribâ devait être «normale et facile» dans des sociétés tribales qui avaient des cultures spécifiques et une économie de type féodal. Avec la naissance du capitalisme et son extension dans les pays musulmans par le biais des dominations coloniales, la ribâ céda devant les exigences de la nouvelle économie capitaliste. C’est bien plus tard que l’on vit l’apparition de la finance et banque islamique. Les premières banques islamiques furent créées en Egypte dans les années 1960 et se développèrent après la guerre d’octobre 1973. Leur apparition à ces deux époques n’est pas le fait d’un hasard.
C’est sous l’Egypte de Nasser qui se débarrassa de la tutelle anglaise (Canal de Suez) et l’émergence des Frères musulmans qui sautèrent sur l’occasion, en créant des banques islamiques pour capter les devises du transit du Canal de Suez, que l’Egypte devenait la place financière pour le Moyen-Orient pétrolier. La hausse vertigineuse du prix du pétrole après la guerre de l’Egypte contre Israël en octobre 1973 a vu les banques islamiques fleurir dans la région pour accueillir des flux incessants de pétrodollars. Evidemment, les requins de la finance internationale n’allaient pas rester passifs devant un tel trésor. Ils créèrent alors des succursales de banques islamiques pour capter cet océan de pétrodollars. Voilà la grande et la petite histoire qui furent à l’origine de l’«épanouissement» de la finance islamique.
L’important est de comprendre comment fonctionnent les banques islamiques et si elles sont de véritables acteurs économiques ; en un mot comme en cent, sont-elles créatrices de richesses ? Contrairement aux banques classiques réglées par la loi sacrosainte du profit maximum, la banque islamique concentre ses activités dans un secteur particulier, l’immobilier. On devine facilement que l’acte d’achat et de vente de l’immobilier ressemble à n’importe quel acte commercial de magasins de vêtements ou d’alimentation. On vend des produits fabriqués par d’autres. Or, la définition de l’économie politique est la transformation de la matière brute par le travail. Et ce passage de la matière première au produit fini s’appelle le fruit du travail, socle de la richesse.
Non seulement la finance islamique n’est pas productrice de richesse mais la banque dite islamique collecte ses ressources auprès du public dont elle va utiliser les dépôts d’argent, sans payer un quelconque intérêt, au nom de l’interdit de la ribâ. Le public aurait droit à des miettes de bénéfice au cas où la banque ferait des profits. Ainsi, le pauvre quidam peut être doublement perdant. Car son argent ne rapporte pas d’intérêt et que le même argent va perdre de sa valeur avec l’érosion de l’inflation. Ainsi, notre quidam est le dindon de la farce car quand bien même des miettes lui seraient distribuées, elles ne peuvent compenser le non-paiement d’intérêt et le poison de l’inflation.
Après ce rapide portrait du banquier «islamique», on peut se poser la question : à quoi sert ce type de banquier ? Ne jetons pas la pierre au quidam qui veut sincèrement être en règle avec sa conscience, en restant fidèle à sa croyance religieuse. Il faut plutôt questionner les Etats des pays musulmans qui devraient savoir que ce type de finance ne concourt pas à la production de richesse et qui, plus est, sanctionne les citoyens doublement lésés par l’absence d’intérêt et par l’inflation (2).
Pour les Etats, le seul intérêt de l’existence de banques islamiques résiderait dans leur capacité à attirer les fonds qui sommeillent dans les matelas des commerçants du marché informel. Faire entrer l’argent de l’informel dans le circuit financier légal éviterait à l’Etat de faire marcher la planche à billets. Car la planche à billet est source d’inflation. L’Etat fait donc une bonne affaire ! Certes, mais ne faut-il pas plutôt défendre les intérêts de la population et obliger ces banques à investir leurs bénéfices dans la création de richesses et non de faire de l’import «clés en main» qui favorise l’émergence de toutes sortes de trafics (sans facture réelle) et donne naissance à une faune de la corruption par le biais des licences d’importation. Une dernière chose, l’argent de l’informel qui ne rentre pas dans le circuit financier légal, non seulement favorise l’inflation mais échappe aussi aux services des impôts, donc ne participe pas aux dépenses publiques (école, santé, aides sociales aux plus démunis), etc. Signalons qu’il y a d’autres formes et diverses techniques pour attirer l’épargne. Encore faut-il qu’il y ait un rapport de confiance Etat/société.
En guise de conclusion, par la simple analyse de la fonction de la finance islamique, on découvre ses limites, pour ne pas dire son inutilité, dans la véritable bataille de développement économique. Les banques islamiques ont servi de passerelles pour la finance internationale, qui a compris l’intérêt de créer des succursales dans les pays musulmans, pour capter les pétrodollars. Ce phénomène a été constaté avec le renchérissement du pétrole après 1973. On a remarqué que l’Occident payait le pétrole en dollars, lesquels dollars revenaient dans les banques occidentales. Et avec ces dollars, lesdites banques investissaient dans des marchés solides et non dans les gadgets.
Avec un peu d’imagination, on peut déduire que l’Occident achète «gratuitement» son pétrole puisque les dollars reviennent dans ses coffres-forts. Certes, ces dollars restent juridiquement la propriété de ces cheikhs pétroliers qui peuvent en faire ce qu’ils veulent. «Nos» cheikhs peuvent évidemment en disposer pour se prélasser dans des palais et jouer au casino, s’acheter de l’armement car ils ont l’assurance que leurs dollars ne seront jamais gelés. La raison, tout le monde la connaît : ils ne connaîtront jamais les foudres des Etats-Unis, maîtres des circuits financiers. Les représailles sont réservées contre ceux qui ne courbent pas l’échine, l’Iran, la Syrie et les organisations dites terroristes comme le Hezbollah libanais ou le Hamas palestinien.
Ainsi, en jetant un simple regard sur la finance islamique, on soulève quelques lièvres, le rapport entre l’Etat et les citoyens (manque de confiance), l’absence d’une politique véritable de développement économique et, enfin, révèle l’obscénité de la domination de la finance internationale. Il est temps d’en finir avec la méconnaissance des lois de l’économie politique. Il est temps d’en finir avec cette ignorance qui réduit l’économie politique à la vulgaire loi de l’offre et de la demande. Cette «loi» expliquerait, selon certains «spécialistes», tous les déboires du pays et serait la cause unique de toute pénurie qui apparaît sur le marché.
Et c’est cette vision réductrice qui pollue le paysage politique et culturel, qu’il s’agisse de l’économie, de la politique, de l’histoire, la violence sociale, etc. Il est pourtant possible de raisonner en dehors des clous du périmètre de dogmes entourés de murailles mais aussi penser en s’éloignant des sables mouvants de la modernité de pacotille qui ne sont que chimères. Comme le monde subit la loi implacable du capitalisme mondialisé, autant connaître ses «lois» et ses «secrets» pour ne pas se vassaliser. Et ce n’est certainement pas la finance dite islamique qui constituerait un vecteur de développement, pas plus qu’elle peut résister au bulldozer du dollar, monnaie qui régit le commerce international.
A. A.
1- Référence au prophète Aïssa (Jésus) qui expulsa les marchands du temple, lieu de prière des fidèles.
2- La finance islamique ne s’intéresse pas à la production de richesse et préfère se focaliser sur le consommateur. Remarquons que ce consommateur est «abstrait» et «éternel». Il ressemblerait à celui de l’époque de l’interdiction de la ribâ alors que celui de nos jours cherche à éviter que ses biens ne soient pas rongés par l’inflation. Chercher l’erreur pour identifier le dindon de la farce.
Ndlr : Le titre est de la rédaction.
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