Eau, incendies, accidents, Covid : les Algériens frôlent la dépression collective
Par Abdelkader S. – Jamais, depuis la fin de la décennie sanglante des années 1990, le moral des Algériens n’a atteint un tel niveau de déprime et d’angoisse. Aucune frange de la société n’est épargnée par ce blues qui tend à perdurer en raison de l’absence de solutions immédiates. La situation économique vacillante n’a pas permis au successeur de Bouteflika de colmater les brèches en distribuant la rente à droite et à gauche, comme le faisaient les décideurs non pas pour résoudre les problèmes qui s’accumulaient d’année en année, mais pour se maintenir au pouvoir.
L’Algérien paye aujourd’hui les erreurs du passé. Et ces erreurs ne remontent pas qu’au long règne d’Abdelaziz Bouteflika et son clan, mais au lendemain de l’indépendance. «Il serait presque cocasse – si la situation n’était pas grave – de rappeler que le congrès houleux de Tripoli n’a toujours pas été levé à ce jour et que, dès lors, la profonde discorde qui y était née persiste jusqu’à aujourd’hui. En sachant cela, il devient aisé de connaître l’origine des drames cycliques que vit l’Algérie», expliquent des observateurs avisés. «Aucun conflit ayant opposé les différents dirigeants algériens avant même le déclenchement de la lutte armée en 1954, pendant la Guerre de libération nationale et après le cessez-le-feu, n’a été résolu, les rancunes historiques sont tenaces et elles empêchent le pays d’aller de l’avant», soulignent-ils.
Abdelmadjid Tebboune a hérité d’un pays à la dérive, gangréné par la corruption et les nombreuses séquelles de la décennie noire – destruction des fondements de la société algérienne, instrumentalisation de l’école par les islamistes, baisse du niveau intellectuel général, etc. Son mandat présidentiel commence à peu près à l’identique de celui de son prédécesseur. En effet, au carrefour des années 1999 et 2000, les caisses de l’Etat étaient vides, les cours du pétrole étaient à leur plus bas niveau et, à cela, s’étaient ajoutées des calamités naturelles qui avaient endeuillé les Algériens qui ne s’étaient pas encore totalement remis des crimes commis par les groupes islamistes armés, bras armé du FIS. Les inondations de Bab El-Oued et le séisme de Boumerdès avaient fait de nombreuses victimes, et les citoyens étaient déjà très remontés contre le nouveau Président qui venait juste d’occuper le bureau de Liamine Zeroual après des élections controversées.
Deux décennies plus tard, le nouveau pensionnaire du palais d’El-Mouradia fait face à des calamités naturelles tout aussi complexes. La crise de l’eau a ressurgi d’une façon brutale, alors que nous croyions que cet épisode était derrière nous. Les stations de dessalement devaient éviter à l’Algérie de se préoccuper de ce problème et les barrages construits ces dernières années ont prouvé leur incapacité à éloigner les risques de soif. Les plus anciens sont envasés à des pourcentages élevés et les nouveaux s’avèrent insuffisants ou mal étudiés. Ceci, au moment où les dérèglements climatiques font grimper le thermomètre à des températures suffocantes dépassant 50 degrés au sud et 45 au nord. La crise sanitaire mondiale clôt cette série de cataclysmes induits par une grande sécheresse. Les hôpitaux se remplissent de nouveau et le système sanitaire algérien a montré ses limites, bien que les Algériens n’aient pas attendu la survenance du Covid-19 pour savoir à quel point nos établissements de santé sont malades.
C’est dans ce contexte morbide et cafardeux, fait d’incendies criminels ravageurs, d’accidents de la route mortels, de fermeture prolongée des frontières, de traversées maritimes continues de jeunes au péril de leur vie pour s’extraire du blasement, que les Algériens essayent de s’adapter non sans un volcan de colère qui grondait avant même que les «réalisations» illusoires et contrefaites du régime Bouteflika commencent à s’éfaufiler et à s’écrouler l’une après l’autre.
A. S.
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