Une contribution du Pr Sid-Ali Hassan – Les quémandeurs d’ingérence étrangère
Contribution du professeur Sid-Ali Hassan – Le lundi 21 juin, jour du solstice d’été et alors que plusieurs voix s’élevaient au Canada pour réclamer l’annulation pure et simple des festivités entourant la Fête nationale du Canada suite à l’épouvantable scandale des pensionnats autochtones, des Algériens ont organisé une manifestation sur la colline parlementaire à Ottawa pour demander au gouvernement de ce pays de faire pression sur le gouvernement algérien pour qu’il cesse «sa campagne de répression contre les manifestants».
Les mêmes manifestants, avec le même casting insipide, reviendront une vingtaine de jours plus tard pour nous offrir le même «show de boucane» devant le Monument canadien pour les droits de la personne cette fois-ci.
Bien évidemment, chaque fois avant de manifester, comme l’exige la loi, nos militants irréductibles sont allés chercher une autorisation en bonne et due forme auprès des autorités provinciale et fédérale. Cette même autorisation exigée par les autorités algériennes est, en revanche, considérée par ces mêmes personnes comme une atteinte aux libertés individuelles. Absurde !
Repoussant les limites de l’indécence vers des horizons jamais atteints, les organisateurs ont tenu à rassurer ceux qui s’opposaient à leur démarche, en arguant que la question des droits de l’Homme ne faisait pas partie de l’ingérence étrangère, inventant ainsi un nouveau concept, une nouvelle espèce d’ingérence à la carte qui permettrait à tout un chacun de choisir et de doser le type d’ingérence qu’il veut administrer à son pays sans conséquence aucune.
Attardons-nous un instant sur ce point précis, car c’est exactement là que les organisateurs de ces manifestations dans la capitale fédérale canadienne ont choisi de trancher le nœud gordien. Par le truchement d’une entourloupette digne des plus grands sophistes, l’imminence grise de ce donquichottisme juridique nous a donc expliqué que l’ingérence extérieure ne s’applique pas aux questions des droits de l’Homme ; or dans ce cas précis, force est de constater que lesdits pays, au demeurant bien informés et très au fait de la situation en Algérie et ailleurs, ne sont pas les initiateurs de cette démarche. Bien au contraire, ce sont plutôt des citoyens algériens qui sont allés les inviter et les encourager à venir s’immiscer dans les affaires internes de leur pays d’origine ; ce sont des citoyens algériens qui sont allés ameuter les ONG pour les liguer contre leur pays.
Les initiateurs de cette démarche sont donc, contrairement à ce qu’ils prétendent, venus sournoisement s’inscrire sur le registre des sous-traitants, ils sont venus offrir leurs services aux autorités canadiennes. C’est comme un homme à tout faire qui fait le tour du pâté de maisons en laissant sa carte de visite dans les boîtes aux lettres des voisins. Si vous avez besoin de moi, appelez-moi. Se vendre d’abord pour bien vendre son propre pays.
Mais, au-delà des apparences et du vernis embellissant de la défense des droits de l’Homme, quel est donc l’objectif véritable derrière cette démarche sensationnaliste de nos apprentis spin doctors ? La réponse est bien simple : en multipliant ces actions de militantisme-spectacle, ces militants souhaitent asseoir leur mainmise sur le Hirak. En imposant certains thèmes plutôt que d’autres, on s’offre le contrôle de l’agenda politique du Hirak et on réduit sensiblement la diversité première qui caractérisait ce mouvement à ses débuts.
Le deuxième objectif est de transférer par doses homéopathiques le centre de décision du Hirak vers l’étranger, où se trouvent justement les dirigeants de cette nébuleuse politique qui jouent déjà le rôle de dirigeants de facto du Hirak. Alors que dès les premières manifestations en Algérie, d’aucuns s’accordaient à dire que la primauté de l’intérieur sur l’extérieur ne faisait l’objet d’aucune discussion, ni contestation, nous assistons aujourd’hui à un mouvement des plaques tectoniques qui a déjà changé la disposition des strates du Hirak.
Le troisième objectif, et non des moindres, est celui de conditionner les Algériens à une intervention étrangère «full scale». En effet, c’est à travers des actions qui semblent banales et sans conséquences que l’on commence à préparer l’opinion nationale à accepter une présence étrangère dans le paysage politique algérien. Le subterfuge de la question des droits de l’Homme est le cheval de Troie par lequel toutes les invasions ont commencé durant ces dernières décennies.
L’arrivée des forces américaines en Afghanistan a été précédée par une formidable campagne menée par les dirigeants de l’Alliance du Nord, notamment sur CNN, Fox News et dans les couloirs du Congrès américain. Idem en Irak où les forces dites «démocratiques» ont sciemment menti au sujet de la situation des droits de l’Homme et au sujet du programme nucléaire de ce pays pour donner une couverture morale à l’invasion de leur propre pays par des forces étrangères. Ce modus operandi a été déployé également, toujours avec le même succès, en Libye, au Soudan et en Syrie. Les prophètes des droits de l’Homme et des libertés, qui ont sillonné ces pays tantôt sur un blindé tantôt sur les épaules des «freedom fighters», promettant monts et merveilles, n’ont malheureusement laissé derrière eux que chaos et désolation.
Le domaine humanitaire est aujourd’hui une industrie insatiable qui engloutit d’énormes fonds publics et privés et dont l’indépendance a été plusieurs fois mise en doute. La politisation de la question des droits de l’Homme fait partie des nouvelles techniques de guerre psychologique dont l’objectif premier est d’affaiblir le gouvernement central dans un pays afin de permettre à des forces bien structurées et clandestinement préparées de faire tomber ledit gouvernement et devenir ainsi la seule alternative qui s’offre à la population.
A titre d’exemple, à la naissance du groupe de Lima, cet organisme multilatéral qui cherchait une sortie de crise pacifique au Venezuela, la revendication première était la libération des détenus politiques suivie d’une aide humanitaire qui avait pour but d’alléger les souffrances des populations civiles. Le groupe fera par la suite ouvertement et officiellement d’énormes pressions sur l’armée vénézuélienne pour renverser le gouvernement légitime et ira jusqu’à déclarer le chef de l’opposition comme étant le seul représentant légitime du pays. Une dérive sans précédent où l’instrumentalisation de la question des droits de l’Homme a servi de couverture morale à un assaut caractérisé contre la souveraineté d’un pays.
Le plus grand danger qui menace aujourd’hui le Hirak se trouve à l’intérieur même du Hirak. C’est ce conglomérat composé de groupes de pression hétéroclites, domiciliés en majorité à l’étranger, qui s’est emparé des rênes du mouvement pour le soumettre à son propre diktat et pour l’orienter vers la réalisation de ses objectifs partisans étroits. Ces cliques qui se disputent aujourd’hui à qui mieux-mieux le devant de la scène et la visibilité sur la scène internationale savent fort bien que leur union incestueuse fondra comme neige au soleil dès lors qu’ils arriveront à leur but inavoué de démanteler l’Etat national.
Vouloir à tout prix internationaliser un débat politique algéro-algérien qui était fondamentalement national, voire nationaliste, c’est admettre candidement que ces mouvements servent aussi des intérêts étrangers et participent activement à des stratégies conçues par des officines étrangères.
S. H.
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