Quand Bourita s’interviewe lui-même dans l’organe du Makhzen Jeune Afrique
Par Kamel M. – Dire que Jeune Afrique est le porte-voix du Makhzen est un pléonasme. De tous les médias qui ont traité l’affaire du scandale d’espionnage via le logiciel israélien Pegasus impliquant le régime de Rabat, le magazine parisien était celui dont nous attendions le plus la réaction. Si elle a tardé, c’est pour mieux défendre l’indéfendable. Dans sa dernière livraison, on lit une interview du ministre marocain des Affaires étrangères, signée de son directeur de la rédaction mais, en vérité, reçue clé en main de Rabat où les services de Nasser Bourita se sont occupés et des questions et des réponses. Si bien, d’ailleurs, que les auteurs de la fausse interview s’emmêlent les pinceaux en posant des questions dans les réponses et en répondant à la place du chef de la diplomatie marocaine dans les supposées questions.
Jeune Afrique plante le décor dès le titre où, justement, questions et réponses s’enchevêtrent jusqu’à ne plus savoir qui interroge et qui réplique. «Qui a intérêt à ostraciser le Maroc ? C’est là la vraie question», demande et défend en même temps la revue financée en grande partie par le Makhzen et qui admet malgré elle, non sans une extase mal dissimulée, qu’elle se fait l’avocate de son bailleur de fonds qui «réagit aux révélations faites par Amnesty International et le consortium de journalistes Forbidden Stories, accusant les autorités du royaume d’utiliser le logiciel Pegasus pour espionner des journalistes, des militants mais aussi des personnalités de haut rang comme le président Macron ou même… le roi Mohammed VI» – les trois points de suspension font office de sarcasme.
Pour Jeune Afrique et son directeur de la rédaction, le Maroc n’est pas coupable d’espionnage mais est victime d’une «mauvaise presse» dont il «se serait bien passé». Pis, suit le plaidoyer sous forme interrogative pour tromper l’ennemi : «Que pensez-vous des révélations faites par Amnesty International et le consortium de journalistes Forbidden Stories concernant l’utilisation du logiciel Pegasus par le Maroc ?» «Maintenez-vous votre position déjà affirmée en 2019, selon laquelle le Maroc n’a pas acquis le logiciel Pegasus ?» «[…] En quoi les journalistes français peuvent-ils constituer un danger pour le royaume ?» «Le numéro personnel du roi Mohammed VI, ainsi que celui du président français Emmanuel Macron figureraient dans la liste de téléphones infiltrés par Pegasus. Cela vous semble-t-il plausible ?» «Au-delà de la surveillance classique, les services de renseignement marocains ont-ils recours à des logiciels de surveillance perfectionnés ?» «Au-delà des terroristes déjà connus, comment est déterminé le profil des individus à surveiller ?» «Selon certaines de ces révélations, des personnalités politiques, sécuritaires et militaires algériennes auraient été espionnées. Qu’en dites-vous ?» «En guise de réponse à l’enquête du consortium, les communiqués gouvernementaux dénoncent une campagne médiatique à l’œuvre contre le Maroc. Que voulez-vous dire par là ?»
Les «réponses» de Nasser Bourita et, par-delà sa personne, du régime marocain, se résument à la formule consacrée : «Le Maroc plaide non coupable» et «nie tout en bloc».
La mise en scène du binôme Bourita-Soudan a fait pschitt, puisque Le Monde vient, lui, de répondre que «face aux dénégations de NSO Group et du Maroc, [il] maintient ses informations».
K. M.
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