L’Algérie : ce pays aux trois référendums d’autodétermination
Contribution de Mourad Benachenhou – S’il y a un peuple qui connaît exactement le sens et le poids du mot «autodétermination», c’est bien le peuple algérien ; il est possible que la dynastie contrôlant le territoire voisin – oublieuse de l’histoire de notre nation et de notre peuple, dans sa diversité, ou en feignant l’oubli – tente, en complicité avec une colonie de peuplement, affectant de tenir sa légitimité de son adhésion à un monothéisme géographiquement déterminé, de faire un procès perdu d’avance contre notre pays.
Cette escalade dans l’hostilité a atteint un niveau dangereux car elle porte, directement et sans nuances, atteinte à l’unité de la nation algérienne, remet en question sa légitimité et l’unicité territoriale de l’Etat algérien. L’action diplomatique récente de la dynastie alaouite se situe à quelques microns de la déclaration directe de guerre.
Cette dynastie est-elle aux abois et se sent-elle menacée dans sa propre existence au point où elle a recours à la provocation ultime de mettre en question l’existence du peuple algérien et son intégrité territoriale ? Cette déclaration violente et non provoquée n’a rien qui ressortit de la diplomatie, mais représente une provocation qui peut être interprétée, sans excès aucun, comme justifiant et préparant une agression armée.
Dans ce contexte, il faut sang-froid garder mais, en même temps, faire quelques rappels utiles qui placent le problème des relations algéro-marocaines dans leur vrai contexte, c’est-à-dire essentiellement un différend entre le royaume du Maroc et la communauté internationale dont l’Algérie est un acteur actif et positif, ayant le droit d’exprimer et de défendre ses vues sur la scène internationale, différend portant sur le statut d’un territoire voisin, ressortissant du processus de décolonisation, et non une confrontation directe entre deux «puissances régionales», ayant des ambitions opposées, mais aux peuples proches historiquement, cultuellement et culturellement.
Un bref rappel de l’histoire de la lutte du peuple algérien pour son indépendance
Pour commencer cet exposé, il est indispensable de revenir sur l’histoire récente de notre pays. Il ne s’agit nullement ici de faire preuve d’originalité ni de révéler des faits jusqu’à présent peu connus de l’histoire contemporaine du peuple algérien, ni même de tenter de rappeler de manière rapide l’histoire de l’occupation étrangère brutale dans notre pays, occupation qui a duré cent trente-deux années, à quelques heures prés, mais seulement de souligner le rôle crucial du principe d’autodétermination dans cette histoire particulièrement violente, et qu’a caractérisé le triple référendum d’autodétermination ayant conduit à une indépendance chèrement payée, même si le souvenir des sacrifices consentis par plusieurs générations algériennes, tous sexes et toutes composantes sociales et culturelles inclus, s’estompe peu à peu.
Le référendum du sang : la lutte du peuple algérien pour son existence n’a jamais cessé au cours de la nuit coloniale mais la plus forte manifestation de sa volonté de reconquérir son indépendance a été la Guerre de libération nationale, qui a vu tout le peuple algérien se mobiliser pour chasser l’envahisseur et accepter de verser son sang sans mesure et de souffrir les affres d’une guerre violente et cruelle. Aucune souffrance n’a été épargnée à ce peuple au cours des sept années et sept mois qu’a duré cette guerre contre un ennemi qui se trouvait être non seulement la cinquième puissance mondiale, mais également un membre actif de la plus grande alliance militaire de l’histoire. Aucune partie de l’Algérie n’a manqué à l’appel, et la réussite de cette entreprise folle, malgré les tentatives de l’occupant de diviser le peuple, est d’abord et avant due à l’unité d’acier dont a fait preuve le peuple algérien dans cette épreuve quasi unique dans l’histoire de l’humanité.
Malgré ses imperfections, et ce n’était qu’une entreprise humaine, le leadership de la Guerre de libération nationale, sous le sigle entrelacé de l’ALN et du FLN, a conduit à bon port le peuple algérien uni. La résurrection de la nation algérienne s’est abreuvée du sang mélangé de toutes les composantes de notre peuple à multiples facettes, dont aucune ne peut manquer sans que les autres en souffrent et en pâtissent ; bien que la proclamation du 1er Novembre ait été exploitée honteusement à d’autres fins que l’avancement des intérêts supérieurs de la nation, elle demeure le référentiel majeur dans le refus de la présence étrangère et la déclaration d’autodétermination du peuple algérien par l’appel à la lutte armée en vue d’imposer ce principe à la puissance occupante.
Le référendum sur l’autodétermination de l’Algérie que les autorités coloniales ont finalement accepté d’organiser pour ouvrir la voie au processus d’indépendance retrouvée de la nation algérienne, ce «référendum sur l’autodétermination de l’Algérie a eu lieu le 8 janvier 1961».
La question posée aux Français était : «Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le président de la République et concernant l’autodétermination des populations algériennes et l’organisation des pouvoirs publics en Algérie avant l’autodétermination ?» (voir Wikipédia). Les résultats de ce référendum, qui peuvent être retrouvés sur différents sites internet, ont prouvé la massive adhésion de la population algérienne à l’autodétermination menant vers l’indépendance.
Finalement, le référendum sur l’indépendance de l’Algérie fut «un référendum d’autodétermination organisé en Algérie le 1er juillet 1962 afin de proposer à la population de se prononcer sur l’indépendance de l’Algérie par rapport à la France. Le référendum a lieu dans le cadre des accords d’Evian, qui ont mis un terme au conflit armé entre les deux principaux belligérants de la guerre d’Algérie le 19 mars 1962, et prévoyaient son organisation dans un délai compris entre trois et six mois» (voir l’article sur Wikipédia). L’écrasante majorité des votants algériens a choisi de soutenir l’indépendance, dans une proportion de 99,7%.
La validité du scrutin n’a été mise en cause par aucune partie et ce pourcentage reflétait une conviction profonde que la nation algérienne existe, malgré sa diversité, et qu’elle est une et indivisible.
L’unité nationale par un processus d’autodétermination à la fois armé et électoral
Si l’occupant avait trouvé le moindre indice d’une divergence de vues parmi les électeurs algériens, à l’image de ce qui s’est passé aux Comores, l’Algérie d’aujourd’hui aurait un autre visage territorial.
Contrairement à d’autres peuples dont la fondation et l’existence ont été imposées sans consultation de ces peuples, les Algériennes et les Algériens, dont le territoire était alors encore sous occupation étrangère, ont eu l’opportunité de décider soit de vivre comme une seule nation, soit de se séparer en entités reflétant leurs spécificités quelles qu’elles fussent.
La volonté de vivre ensemble a été un choix délibéré et irréversible, librement et délibérément établi, sans ambigüité et sans réserves de quelque nature que ce soit.
Il faut souligner que le seul peuple de la région à devoir sa résurrection à un processus d’autodétermination est le peuple algérien. Toutes les autres indépendances ont été acquises par négociations entre les leaderships politiques des pays en cause et l’ancienne puissance coloniale.
Rien donc de plus absurde, de plus déraisonnable et de plus contraire aux faits historiques que de recycler ce principe contre l’Algérie à des fins de manipulation des opinions publiques internationales, en exploitant le processus de consultation mondiale établi à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Il n’y a eu, et aucune preuve du contraire ne peut être avancée, de référendum d’autodétermination ni au royaume du Maroc, ni en Tunisie, ni en Libye, ni en Mauritanie.
Que l’Algérie indépendante soutienne que le même choix qu’elle a accepté, embrassé et pratiqué et qui assoit sa légitimité en tant que nation, soit mis en œuvre et pratiqué pour les peuples qui se battent pour leur droit à vivre libres, n’a rien ni d’extraordinaire ni de contradictoire avec sa propre histoire.
S’il y a un pays qui peut donner au monde des leçons d’autodétermination et défendre, sans être accusé de double langage ou de double critère, c’est bien l’Algérie.
L’Algérie ne fait donc que défendre régionalement et internationalement un principe qui constitue le fondement de son indépendance et la source de sa légitimité en tant que nation et que peuple, au-delà des divergences politiques internes, passagères, quelles que soient leur profondeur.
Les Sahraouis ont droit à l’autodétermination au même titre que le peuple algérien
Ce n’est nullement un secret de chancellerie qu’on révèle en affirmant que c’est la question de la décolonisation du Sahara Occidental qui a conduit le royaume du Maroc à se proclamer champion de l’autodétermination ailleurs que chez lui, et dans un pays qui a connu trois référendums d’autodétermination clairement enregistrés par l’histoire.
On ne se souvient pas que la dynastie actuelle doive son existence à un mécanisme d’autodétermination par lequel le peuple marocain aurait choisi de vivre dans un système monocratique royal, sous l’égide de la dynastie alaouite.
Le peuple du Sahara Occidental, jadis colonisé par l’Espagne, dans le contexte du partage de l’Afrique par les puissances européennes dans la seconde moitié du XIXe siècle, et le premier quart du XXe siècle, n’a pas eu la même opportunité que le peuple algérien d’exercer son droit à l’autodétermination, et son territoire a été illégalement occupé par le royaume voisin du Nord, qui justifie son droit à cette occupation par l’Histoire des dynasties qui y ont régné.
L’appel à l’histoire pour justifier l’occupation : une arme à double tranchant
Le problème avec cette justification est que, d’abord, tous les pays de la zone peuvent s’y référer pour revendiquer des parties des territoires des uns et des autres. Prenons l’exemple de la dynastie almohade : bien que son auteur spirituel ait été Ibn Toumert, originaire du Haut Atlas, sur le territoire actuel du Maroc moderne, son fondateur militaire et politique est sans conteste Abdelmoumène, né dans le village de Tajra, à quelques dizaines de kilomètres à vol d’oiseau de la ville de Tlemcen, ancienne capitale du royaume des Zyanides.
On peut déclarer, anachroniquement, que celui qui a été appelé par ses contemporains «le flambeau des Almohades» était un «Algérien», même si le nom d’Algérie date de quelques quatre siècles plus tard.
Ensuite, l’Algérie, du fait de ce passé partagé, pourrait alors revendiquer la possession de tout le Maghreb, puisque, historiquement, la seule période où tout le territoire de ce qui constitue le Maghreb a été uni sous une seule bannière est la période du règne d’Abdelmoumène, «Algérien de souche» sans conteste. Ce serait là une revendication absurde, inacceptable tant pour les pays indépendants de la région, par laquelle l’histoire est passée, mais également une cause constante de conflit entre l’Algérie et ses voisins, et une cause de tension permanente avec tous les pays de la «communauté internationale».
L’occupation du Sahara Occidental considérée comme illégale par la communauté internationale
Que l’occupation illégale du Sahara Occidental est contraire non seulement à la position de cette communauté, au droit international et à la pratique suivie en matière de décolonisation, mais également à la volonté du peuple sahraoui, représenté légitimement par le Front Polisario et concrétisé par la fondation de la République sahraouie, que plus de cinquante pays reconnaissent, soit rejetée par les autorités algériennes, n’a rien qui justifie l’hostilité de la dynastie alaouite.
L’Algérie ne fait que défendre ce qui est reconnu par toute la communauté internationale, quel que soit le jeu de balancier pratiqué avec un art d’une finesse «grossière» par les uns et les autres pour retarder la solution de la mise en œuvre de l’autodétermination du peuple sahraoui, à l’exemple de l’autodétermination du peuple algérien.
De même que la reconnaissance d’Israël par le royaume du Maroc ne change rien à la nature de colonie de peuple théocratique qu’est l’entité sioniste, de même les appuis gagnés grâce à cette reconnaissance ne changent pas la nature du conflit du Sahara Occidental, qui est un conflit créé par le refus par le royaume du Maroc, de l’autodétermination du peuple sahraoui, et non par l’hostilité «de principe» de l’Etat algérien à l’égard de la dynastie alaouite ou du peuple algérien à l’égard du peuple marocain.
Sahara Occidental : un conflit entre le Maroc et la communauté internationale
Les données du problème sahraoui sont trop connues pour que des manœuvres de diversion, de grande ou de petite politique, y changent quoi que ce soit. La balle est exclusivement et totalement du côté de la dynastie alaouite et n’a rien à voir ni avec une quelconque inimitié entre les peuples algérien et marocain, qui ont une longue et ininterrompue histoire partagée, à la propriété exclusive de laquelle aucun des deux peuples ne peut prétendre, quel que soit le régime politique sous lequel il vit, et sans compter la communauté cultuelle, culturelle, linguistique et ethnique qui n’a nul besoin d’être rappelée car elle fait partie du quotidien des deux peuples.
Il faut reconnaître que la communauté internationale a sa part de responsabilité dans la durée de ce conflit, l’un des plus longs de l’histoire de la décolonisation, et que nombre de pays hors de la région, mais y ayant une influence remarquée et remarquable, jouent sa prolongation, et utilisent ce conflit pour maintenir leur influence économique et culturelle, et justifier leurs interventions ouvertes ou cachées dans les affaires des pays de cette région. Mais cela ne réduit en rien la responsabilité totale du voisin occidental dans un conflit aux données clairement établies et tellement aisé à dépasser.
En conclusion
L’Algérie est le seul pays de la région du Maghreb où le principe d’autodétermination a joué un rôle majeur dans la renaissance de la nation et du peuple algérien et dans la légitimité de son existence en tant qu’entité territoriale indépendante, contrairement aux autres pays de la région dont les dirigeants ont négocié leur indépendance avec l’ex-colonisateur, et sans appel, sous quelque forme que ce soit, à un processus clairement établi et organisé d’autodétermination.
Le royaume du Maroc n’a, contrairement à l’Algérie, jamais donné l’occasion à son peuple, sous un processus transparent et contrôlé par des parties neutres, l’occasion de choisir sa forme de gouvernement. Et le maintien de la dynastie alaouite n’est pas fondé sur ce processus de légitimation populaire dont elle devient soudainement la championne pour un pays qui tient la source de sa légitimité du principe d’autodétermination amplement appliqué.
Ce n’est tout de même pas l’Algérie qui a causé le conflit du Sahara Occidental ou qui le perpétue.
En prenant position pour la juste et légitime lutte du peuple sahraoui, elle ne fait que se conformer aux normes historiques et juridiques internationales en matière de décolonisation, et elle ne fait que soutenir ce droit à l’autodétermination grâce auquel elle a obtenu son indépendance.
Quelle que soit, par ailleurs, l’insatisfaction que les observateurs les plus neutres politiquement ressentent face à l’état de choses dans notre pays, l’unanimité ne peut qu’être totale lorsque est directement attaquée la légitimité de l’existence de la nation algérienne sur un territoire un et indivisible.
Le royaume du Maroc, dans sa fuite en avant, a dépassé tout ce qui pourrait apparaître comme acceptable dans les relations conflictuelles entre deux Etats proches géographiquement et historiquement.
L’espoir demeure que finalement la sagesse l’emportera dans cette grave escalade non provoquée, et qui peut, à juste titre, être considérée comme un début d’agression directe contre l’intégrité nationale et territoriale de l’Algérie, et dont les conséquences pourraient être terribles.
Il reste à espérer que la dynastie alaouite arrête son glissement vers la déraison face aux positions de principe soutenues internationalement et dont le seul tort de l’Algérie est qu’elle les embrasse également.
La source de la crise actuelle est dans la position de la dynastie alaouite, qui a choisi l’escalade et l’appel à un ennemi juré des peuples de la région, au lieu de reconnaître la vanité de son entreprise au Sahara Occidental et d’accepter d’y mettre en œuvre la légitime demande pour un référendum d’autodétermination exigé tant par la communauté internationale que par le peuple sahraoui.
M. B.
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