Rosa Moussaoui : «Le Maroc a espionné car il s’est senti autorisé par la France»
Par Kamel M. – «Si l’Etat marocain a franchi une telle ligne rouge en faisant espionner ou en désignant comme cible des personnalités françaises, c’est qu’en fait il s’est senti autorisé à le faire», a affirmé Rosa Moussaoui, dont le téléphone a été infecté par le logiciel Pegasus. «J’aimerais simplement évoquer une scène : ça se passe en 2017, dans le Rif, un extraordinaire soulèvement populaire se prolonge depuis des mois pour demander des services publics, des conditions de vie dignes, du travail, et là, une très violente répression s’abat sur les manifestants pacifiques. Emmanuel Macron se rend à Rabat pour un dîner privé avec le roi du Maroc et, au sortir de ce dîner privé, il se mue en porte-parole du palais en expliquant qu’il n’y avait pas de répression alors qu’au même moment des dizaines de manifestants et de militants du Rif étaient jetés en prison», a rappelé la journaliste du quotidien L’Humanité qui a réalisé de nombreux reportages au Maroc.
Rosa Moussaoui, qui s’est dit «extrêmement choquée par la passivité qui règne devant un tel scandale d’espionnage, d’atteinte à la vie privée, aux données personnelles, au secret des sources des journalistes», a expliqué que le Maroc «tient une place particulière dans le paysage des ex-colonies françaises». «Imaginez une seule seconde qu’un tout autre pays ait été impliqué dans un tel scandale d’espionnage, évidemment, la réaction n’aurait pas du tout été la même», a-t-elle estimé dans une émission de Mediapart, au titre éloquent «Le Maroc espionne, la France fait profil bas».
«Apprendre qu’on a été exposé à une telle intrusion dans la vie privée, dans les données personnelles, c’est quelque chose d’absolument aberrant et fortement désagréable. J’ai aussi eu une réaction – un peu – de culpabilité vis-à-vis de mes sources, parce que ce sont elles qui encourent les plus grands risques aujourd’hui au Maroc», a regretté la journaliste qui a eu pour première réaction, après la découverte du scandale Pegasus, de republier tous ses articles dans lesquels elle dénonce le régime dictatorial de Mohammed VI. Elle rejoint l’historien marocain Maati Monjib qui a qualifié cette affaire de «charnier symbolique» et d’«assassinat moral». Deux expressions, selon elle, «très violentes» mais qui «reflètent une réalité marocaine que désormais tout le monde est contraint de regarder en face».
«Jusqu’ici, nous étions extrêmement isolés, y compris dans le paysage de la presse française, à nous intéresser à ces réalités-là, aussi avec l’idée que nous devons – ici – mener les enquêtes, écrire les articles, réaliser les interviews et les reportages que nos confrères au Maroc ne peuvent pas faire parce qu’ils sont sous cette menace», a-t-elle ajouté, en précisant que «ce que nous apprend cette extraterritorialisation partout au Maroc des méthodes de répression qui se retournent depuis bien longtemps contre les défenseurs des droits humains, contre le journaliste sur son propre sol, c’est que nous sommes, nous, désormais à notre tour, exposés, et ça, c’est quelque chose d’extrêmement grave».
«L’avantage, c’est qu’avec cette affaire [Pegasus], enfin, on nous écoute ; enfin, on nous entend et on ne nous regarde pas avec de grands yeux lorsqu’on évoque les filatures, les menaces, les intimidations, etc.», a encore relevé Rosa Moussaoui, en faisant remarquer que la surveillance dont sont l’objet les journalistes au Maroc «est invisible» et «indétectable». «Elle est d’autant plus terrifiante et d’autant plus vertigineuse», a-t-elle insisté, en soulignant qu’elle «cherche à intimider, à réduire au silence». «La méthode marocaine est basée sur la stratégie sexuelle, on essaye de piocher dans la vie privée des gens un petit élément à partir duquel on brode toute une histoire pour briser une réputation et donc réduire les gens au silence», a-t-elle poursuivi.
«C’est bien cette stratégie d’une extrême violence que le pouvoir marocain essaye aujourd’hui d’exporter hors de ses frontières», a conclu la journaliste française.
K. M.
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