Contribution – La plus grande crise de la dette de l’histoire est à nos portes
Contribution de Khaled Boulaziz – Le fardeau de la dette qui écrase tous les pays ne sera pas allégé tant que les banques internationales privées ne seront pas obligées de renoncer à une partie de leurs richesses. Le Fonds monétaire international (FMI) a décrit les effets du Covid-19 comme «pires que la crise financière de 2008 et pour l’Amérique latine pires que la crise de la dette des années 1980».
En 2020, les pays riches ont dépensé près de 12 trillions de dollars, soit plus de 31% de leur PIB combiné, pour éviter l’effondrement économique et amortir les effets de la pandémie de Covid-19 sur leurs citoyens. Cette «relance budgétaire» n’inclut pas la relance monétaire sous forme de baisse des taux d’intérêt et d’achat d’actifs financiers par la Banque centrale.
A l’opposé, leur réponse aux effets économiques catastrophiques du Covid-19 sur les pays dits en développement d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine – décrite par le Fonds monétaire international comme «pire que la crise financière de 2008 et pour l’Amérique latine pire que le crise de la dette des années 1980» – a été un coup de pied dans les dents.
La capacité des pays à répondre à la pandémie est également entravée par des systèmes de santé terriblement sous-développés. Les dépenses de santé moyennes par habitant dans les pays à revenu élevé en 2018 étaient de 5 562 dollars, 156 fois plus que les 35,6 dollars par an par habitant dépensés dans les pays à faible revenu et 21 fois plus que les 262 dollars dépensés par habitant dans l’ensemble des «pays en développement».
Le secrétaire général de l’ONU a averti que «le monde en développement est au bord de la ruine financière et de l’escalade de la pauvreté, de la faim et des souffrances indicibles» et a plaidé auprès des dirigeants du G20 pour une réponse proportionnée.
Le G20 est vraiment le G7 – c’est-à-dire les sept principaux pays riches, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, le Japon, le Canada, l’Italie – déguisé. Ils détiennent le pouvoir, tandis que les 13 autres nations, dont le Brésil, l’Afrique du Sud, l’Arabie Saoudite et l’Inde, appliquent leurs décisions.
La réponse des pays riches à la catastrophe qui afflige les pays est une initiative connue sous le nom : «Initiative de suspension du service de la dette» (DSSI) – une offre pour les 77 «pays les plus pauvres» de suspendre les paiements d’intérêts aux créanciers officiels (c’est-à-dire les banques privées, le FMI et la Banque mondiale) jusqu’en juin 2021.
Les paiements suspendus s’ajouteront à leur dette déjà insupportable et chaque centime devra être payé dans les cinq ans à venir !
En Amérique latine et dans les Caraïbes, seuls la Bolivie, la Grenade, la Guyane, Haïti, le Honduras et le Nicaragua ont droit à ces prestations dérisoires. Les autres doivent continuer à mettre de l’argent dans la bouche de leurs créanciers dans les pays riches sans s’arrêter, ne serait-ce qu’un jour, au lieu d’utiliser cet argent pour faire face à leurs urgences médicales et économiques.
Sauver les riches
Mais ce n’est pas tout. Cet «allégement» de la dette ne s’applique qu’aux intérêts dus aux gouvernements, pas aux prêteurs privés. Même la Banque mondiale s’est exclue de cette générosité minuscule et a rejeté les appels au gel de 7 milliards de dollars de paiements d’intérêt qui lui sont dus, affirmant que cette demande nuirait à la capacité de la Banque à accorder de nouveaux prêts. En conséquence, seulement 41% des 42,7 milliards de dollars que les pays DSSI devaient au titre du paiement de la dette en 2020 sont éligibles à un allégement.
La suspension des paiements d’intérêt aux créanciers gouvernementaux permet à ces pays désespérément de rembourser plus facilement leurs dettes envers les créanciers privés – tels que Blackrock, JP Morgan, HSBC, UBS et les riches individus qu’ils servent. En d’autres termes, les gouvernements des pays riches ne sauvent pas les pays, ils sauvent les riches investisseurs dans ces pays.
Dès le début, les créanciers privés ont été invités à participer à la DSSI en proposant des délais de paiement des intérêts, mais ils ont refusé avec intransigeance de le faire. En novembre, les dirigeants du G20 ont répété ces appels vides de sens : «Il y a un manque de participation des créanciers privés, et nous les encourageons fortement à participer à des conditions comparables lorsque les pays éligibles le demandent», affirme la commission économique des Nations unies sur le commerce et le développement, en ajoutant : «Il existe un accord entre les pays avancés et en développement du G20 pour ne représenter que les intérêts des créanciers.»
Jusqu’à présent, 44 pays ont demandé un allégement au titre de la DSSI, et un total de 5,4 milliards de dollars de paiements d’intérêt ont été reportés, à ajouter à leur encours total de dette qui s’élevait à 477 milliards de dollars en 2018. Ces économies équivalent à 2,2% du Produit intérieur brut, soit environ un dixième de la baisse de leurs recettes fiscales résultant de la pandémie.
Pour bénéficier d’un allègement, les pays de la DSSI doivent demander une suspension de leurs paiements d’intérêt, même si le fait de faire cette demande remet en cause leur solvabilité et invite les agences de notation à envisager de dégrader leur dette, comme cela est déjà arrivé à l’Ethiopie, au Pakistan et au Cameroun. Au lieu d’obtenir un allégement de la dette, leurs coûts d’emprunt ont bondi, augmentant ainsi le fardeau de leur dette.
Selon les experts, cette menace «est utilisée pour contraindre les pays débiteurs à se soumettre et les forcer à rembourser leurs dettes sans se soucier des conséquences pour la santé publique. Les coûts… seront malheureusement mesurés en millions d’emplois et de vies perdues, non pas à cause d’un virus dévastateur, mais pour… le système financier mondial.
La crise de la dette à laquelle sont confrontés les pays les plus pauvres est une facette d’une crise de la dette mondiale colossale. En incluant la dette privée et publique des pays à revenu intermédiaire et des pays riches, la dette mondiale s’élève désormais à 277 trillions de dollars. Cela a augmenté de 6 trillions de dollars entre 2012 et 2016, et de 52 trillions de dollars de 2016 à fin septembre 2020, et équivaut désormais à 365% du produit intérieur brut mondial, contre 320 % fin 2019.
Même avant que la pandémie de Covid-19 ne frappe, l’économie capitaliste mondiale était en soins intensifs, évitant la dépression grâce à des politiques monétaires extrêmes telles que des taux d’intérêt très bas et une dette qui montait en flèche. Seul un retour à une croissance économique forte et soutenue peut éviter une crise qualitativement plus profonde que tout ce qu’on a connu dans l’histoire, mais il n’y a absolument aucune raison de s’attendre à ce que cette croissance se concrétise.
Six pays – la Zambie, l’Equateur, le Liban, le Belize, le Suriname et l’Argentine – ont déjà fait défaut sur leurs dettes en 2020, contre seulement trois pendant la crise financière mondiale.
La crise de la dette qui frappe actuellement les pays pauvres n’est qu’une manifestation de la profonde crise structurelle du système économique mondial, une crise dont il n’y a pas d’issue capitaliste. La dette d’une personne – ou d’un pays – est l’actif d’une autre personne. L’annulation des dettes du plus grand nombre envers quelques-uns est la seule solution possible, et c’est nécessairement une solution révolutionnaire puisque l’annulation des dettes dues par la majorité pauvre signifie l’annulation des richesses détenues par la minorité super-riche.
Toute l’humanité progressiste peut, et doit, s’unir et agir selon les paroles du président cubain, qui a appelé à la reprise de «la juste lutte pour radier la dette extérieure irrécouvrable qui, aggravée par les effets sociaux et économiques de la pandémie, menace la survie des peuples du Sud».
Toutes les religions ont fermement proscrit le recours à l’usure, ce mal qui ronge l’humanité. Mais les hauts prêtres de la finance d’hier et d’aujourd’hui voient cela autrement.
Tout cela pour dire haut et fort que revenir à l’endettement extérieur serait un suicide pour l’Algérie.
K. B.
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