Les fuites en avant du roi Mohammed VI du Maroc

Le roi du Maroc Mohammed VI. D. R.

Contribution d’Ali Akika – Les fuites en avant sont en général des signes d’euphories artificielles qui reposent sur des illusions ou bien sur un sentiment de puissance fantasmé. Il est vrai que les chimères du grand Maroc qui hantent la monarchie marocaine ont fait croire au roi M6 que l’opération de recel du Sahara Occidental par Trump allait concrétiser un vieux rêve. Il y croyait vraiment à son rêve d’autant que la fabrique des mensonges tourne à plein tube et lui fait croire qu’il va gagner la partie. Une fabrique qui fonctionne au carburant de journalistes liés à des réseaux où grenouillent les barbouzes des services secrets et de petits marquis qui font des affaires juteuses avec le Maroc.

Et quand Israël entra dans le bal des hypocrites sans plus se cacher comme il le faisait à l’époque où le Mossad travaillait main dans la main avec les barbouzes du roi Hassan II. On se souvient du piège tendu à Ben Barka (1965) pour le faire ensuite disparaître en liquéfiant dans l’acide le corps du grand militant marocain.  Avec pareils soutiens, «notre» roi pense qu’il peut tout se permettre. Il a donc tout naturellement cédé à son penchant de fuite en avant.

Aussi avançait-il comme un éléphant dans un magasin de porcelaine dans l’arène de la diplomatie. Il oublie que la diplomatie utilise les armes de la civilité et du langage élégant mais à décrypter pour comprendre les lignes rouges à ne pas franchir. Mais l’arrogance grossière propre aux petits féodaux lui a fait franchir la ligne rouge avec l’Allemagne et l’Espagne. Ces deux grands pays, il va sans dire qu’ils n’ont point besoin de lui. C’est pourquoi ils ne lui ont pas pardonné ses comportements qui relèvent d’une éducation d’enfant gâté qui ignore qu’il faut avoir les moyens de sa politique.

Cette ignorance des règles du rapport de force lui fait croire qu’il peut tout faire pour coloniser un pays avec la seule bénédiction de quelques «amis». Il se trouve que ce pays à coloniser est habité par le peuple sahraoui et situé dans une région où des enjeux géostratégiques d’un voisin et de grandes puissances lui interdisent d’agir comme dans un souk. Organiser, par exemple, une déferlante de jeunes chômeurs sur une portion du territoire marocain, non pour le libérer mais pour dicter à l’Espagne l’interdiction de soigner un malade étranger dans ses hôpitaux. Comment peut-on un seul instant formuler pareille exigence en mettant dans la balance un étranger malade face à l’Espagne, pays ex-colonisateur du Sahara Occidental et actuel occupant de la ville de Ceuta et, enfin, gardien vigilant du détroit de Gibraltar ?

Il faut vivre dans le déni des réalités pour ne pas évaluer les intérêts politiques et de sécurité nationale de son voisin chatouilleux comme tout pays qui se respecte. Idem avec l’Allemagne qui ne l’a pas invité à la conférence sur la Libye et lui a préféré l’Algérie qui partage une longue frontière avec la Libye.  Là aussi, il tomba sur la chancelière Merkel qui négocie avec les géants du monde sur un pied d’égalité et qui ne pouvait donc pas supporter que le petit roi veuille lui imposer sa conduite sur la scène internationale.

«Notre» roi voulait contrer l’Algérie et perturber une conférence internationale qui avait autre chose à régler de bien plus important que son projet mort-né d’autonomie du Sahara Occidental. C’est une habitude de Mohammed VI de se servir des rencontres d’institutions internationales pour avancer ses pions. Son dernier «exploit», il l’a réalisé en associant Israël et le Tchad. Quels liens y a-t-il entre ce triangle de la magouille ? Israël a aidé le roi à recevoir «le cadeau du Sahara» de Trump en contrepartie M6 lui a proposé une courte échelle pour qu’Israël obtienne le statut d’observateur dans l’Union africaine. La courte échelle a pour nom un Tchadien, obscur représentant de son pays dont le président venait, avant de mourir, de reconnaître Israël en contrepartie de technologies agricoles pour pays désertique.

Quant à la France qui est pourtant un «ami» qui défend le Maroc au Conseil de sécurité, M6 vient de commettre une bévue en espionnant son président en personne. Son comportement donne une idée de la nature de la fuite en avant d’un roi aux abois.

Reste les Etats-Unis avec qui le roi a intérêt à ne commettre aucune erreur et, encore moins, de faute. Cette grande puissance a traditionnellement une position équilibrée sur le Sahara Occidental conforme aux résolutions de l’ONU sur le droit à l’autodétermination des peuples. C’est cette position qui a permis à l’ONU de désigner un ex-secrétaire d’Etat américain pour diriger la mission chargée de la question du Sahara Occidental. Il est évident que le cadeau de Trump a introduit un facteur déstabilisant dans la traditionnelle position américaine.

La complication de la situation découle de la complexité même des liens qu’entretiennent les Etats-Unis avec Israël. Celui-ci, en poussant Trump à faire «plaisir» à M6, a réussi à travers un deal de brigand à faire signer des accords d’Abraham une myriade d’Emirats du golfe insolents avec les Palestiniens et les Yéménites parce que des protégés des Etats-Unis. Il n’est donc pas facile, pour l’instant, de toucher à cette construction qui sert à la fois Israël, le Maroc et les Emirats, des Etats tous sous dépendance américaine. Difficile posture pour Biden mais non pour l’Etat américain sur le long terme. Car tout ce beau monde, qui se tient pour l’heure par la barbichette pour des raisons connues, souffre d’un même cauchemar : l’Iran. Et les cauchemars engendrent souvent des «maladies» qui pourrissent la plus belle des architectures en politique.

On le voit à travers des signes non visibles pour l’opinion internationale. L’Arabie Saoudite, par exemple, qui tente de se rabibocher avec l’Iran en passant par l’Irak, le rêve des Emirats qui s’évapore après avoir cru aux promesses d’Israël qui leur proposa d’évacuer leur pétrole par un pipe-line qui traverserait le territoire de son Etat. «Nos» émirs anticipaient l’avenir car ils voyaient déjà la navigation des bateaux dans le Golfe se faire sous la protection des mastodontes de la marine américaine ou britannique pour échapper à une mine ou un drone venu de nulle part. C’est ce qui se passe de nos jours.

Aussi, en raison de tous ces bouleversements diplomatiques, le Sahara Occidental fera-t-il les frais de ces alliances de bric et de broc. Possiblement dans le court terme mais à long terme il n’est pas question pour les Etats-Unis de sacrifier leur stratégie globale pour faire plaisir à M6. Quant à Israël, une fois ses relations consolidées avec le Maroc, il fera ce qu’il a fait avec la Jordanie à qui elle vend de l’eau volée aux Palestiniens. Idem pour l’Egypte qu’il poignarde dans le dos en prenant position pour l’Ethiopie qui construit un méga barrage sur le Nil qui va réduire le débit d’eau vers le pays des Pharaons.

Que compte en définitive, sur le long terme, le Maroc pour les Etats-Unis ? Pas grand-chose quand on voit les Etats-Unis déménager de l’Afghanistan et sur le point de le faire d’Irak, deux pays pourtant hautement stratégiques qui ont des frontières avec la Chine et l’Iran. Quant à Israël qui a du mal avec le Hezbollah et les Palestiniens, on le voit mal aller au secours du Maroc si ce n’est de lui fournir du matériel d’espionnage et lui fourguer des gadgets ou envoyer des devises par le biais de touristes d’origine marocaine. De toute manière, ce qui est et reste déterminant, c’est la réalité des rapports de force sur le terrain. C’est-à-dire la reprise de la guerre par le Polisario et le futur dégagement de la France du Sahel.

Les manœuvres militaires américaines au Maroc anticipent le départ de la France. D’une part, il est évident que les Américains ne comptent pas sur le Maroc pour stabiliser la région du Sahel. D’autre part, les Américains ont déjà opté de consacrer leurs forces face à la Chine. Ils n’ont pas envie, ou ne peuvent plus jouer au gendarme du monde. Ils trouveront les moyens de ramener à la raison le Maroc et savent d’ores et déjà que le Polisario n’est pas un groupe terroriste comme ont voulu le faire croire les propagandistes marocains qui raisonnent avec leurs pieds. Quant à l’Algérie, ils connaissent les objectifs de sa politique dans la région.

Les visites du ministre de la Défense américaine de Trump juste avant sa non-réélection et celle plus récente (fin juillet 2021) d’un représentant du département d’Etat montrent l’intérêt des Etats-Unis pour la position géostratégique et politique de l’Algérie… Notons que l’Algérie, quelques semaines avant l’arrivée de l’envoyé américain, a organisé de gigantesques manœuvres aux portes même du Maroc. Manœuvres appuyées d’une déclaration spartiate du chef d’état-major algérien depuis Moscou. L’envoyé américain ne manquera pas de le faire remarquer à Rabat pour que le roi cesse de jouer avec le feu.

Le Maroc a tout fait pour faire croire que le conflit du Sahara est une «création» de l’Algérie. Et voilà que la politique du troc entre le Maroc et Israël a introduit un élément dans la région qui fait monter la tension avec l’Algérie. Le roi pense avoir un joker avec Israël alors qu’il va plutôt servir de pion d’Israël pour créer et favoriser la bisbille (bizbiz en argot) entre les Etats arabes mais certainement pas entre les peuples, ce qui est le plus important car la vie des pouvoirs se compte en saison et celle des peuples en éternité.

Toute la litanie de ces pratiques aberrantes que je cite dans l’article ont mis à nu le royaume marocain qui, ne l’oublions pas, ne dispose pas de la protection et complicité dont jouit Israël. Les dernières affaires scabreuses, celle du logiciel d’espionnage Pegasus et de l’imbécile et risible sortie d’un diplomate du Makhzen à propos de la Kabylie, ont été ressenties par les opinions et les gouvernements comme des fautes politiques propres aux irresponsables.  Sentant le danger, «notre» roi a voulu se rendre à Canossa en jurant sa fraternité à l’Algérie, pays frère dit-il, dans son discours traditionnel du trône.

Lâcher ses chiens toute l’année pour insulter le pays voisin et penser ensuite «calmer» sa colère relèvent d’un exercice du dédoublement de la personnalité. Mais laissons de côté la psychologie de l’individu et essayons de percer la nature du retournement de veste de M6. Quand un chef d’Etat s’adresse à son pays, c’est pour passer des messages aux citoyens mais aussi donner des pistes à défricher aux chancelleries du monde et aux observateurs internationaux. Toutes les hypothèses, berner et calmer l’Algérie, vendre une image pour réparer le scandale de l’espionnage du logiciel Pegasus, tout ça manque d’épaisseur et de crédibilité.

Tous les pays, et singulièrement l’Algérie, connaissent la monarchie marocaine et ça ne date pas d’aujourd’hui pour croire un seul mot de «l’auguste» personnage. Pour ma part, je vois seulement un lien entre les propos de M6 en direction de l’Algérie et la dernière visite de l’envoyé du département d’Etat américain d’abord à Alger et ensuite à Rabat, visite signalée plus haut. L’Américain a dû enregistrer la froide colère de ses interlocuteurs algériens qu’il a dû traduire au «fin» ministre marocain des Affaires étrangères marocain en des termes moins diplomatiques. En langage clair, cela veut dire que l’Américain connaît les enjeux et les rapports de force politique, militaire et diplomatique dans la région.

Au regard des problèmes que les Américains affrontent à l’heure actuelle, négociation sur le nucléaire iranien, dégagement d’Afghanistan, Russie, Chine etc., le fonctionnaire américain a dû faire comprendre au petit roi que son président Joe Biden à d’autres chats à fouetter pour se mettre à dos une tension supplémentaire dans la région. Comme les Affaires étrangères des pays n’ont pas la mémoire courte, les Etats-Unis n’ont pas oublié leurs otages à Téhéran libérés grâce aux bons offices de l’Algérie. Ils savent aussi que ce pays possède d’autres atouts à travers ses frontières qui le projettent dans les profondeurs stratégiques de l’immense continent. Il n’est pas inutile de rappeler que Trump avait envoyé à Alger un militaire habillé en costume civil mais néanmoins ministre américain de la Défense en octobre 2020 à Alger.

Si le président Biden, quelques mois plus tard, a ressenti le besoin d’envoyer un diplomate du département d’Etat, c’est sûrement pour faire oublier l’image agressive de Trump et signifier qu’il préfère les armes pacifiques de la diplomatie. Il le montre en ce moment à Vienne en négociant avec l’Iran au risque d’enrager Israël. Pourquoi ne le fera-t-il pas sur le Sahara Occidental alors que le Maroc n’a même pas les moyens de sourciller et encore moins de trouver un autre protecteur. Cela dit, le peuple sahraoui sait dorénavant et n’oubliera pas que le rapport de force reste le facteur qui change les choses sur le terrain.

A. A.