Pourquoi l’Algérie aura bien fait de résilier le contrat de gaz avec le Maroc (I)
Par Hocine-Nasser Bouabsa – La semaine passée, Amina Benkhadra, de l’Office national des hydrocarbures et des mines (ONHYM) marocain, a accordé une interview à un journal de l’agence marocaine de presse dans lequel elle a surpris le monde, en général, et les milieux gaziers, en particulier, lorsqu’elle a déclaré que le Maroc était disposé à renouveler le contrat du gazoduc Maghreb-Europe (GME), appelé aussi Gazoduc Pedro-Duran Farrell (GPDF). C’est son droit d’engager le Maroc, mais a-t-elle demandé l’avis du propriétaire exclusif du gaz : l’Algérie ?
Dans ma contribution que je publie en deux parties, j’essaye d’étaler les éclaircissements et les arguments qui étayent que l’Algérie ne doit pas renouveler ce contrat.
Fourberie et puérilisme du régime marocain
«C’est notre volonté, telle que nous l’avons exprimée verbalement et par écrit, publiquement et dans les discussions privées, toujours avec la même clarté et la même constance», a précisé la patronne de l’organisme marocain, sans rougir et avec la froideur mensongère typique aux serviteurs du Makhzen marocain. Cette position tranche avec toutes les gesticulations des responsables alaouites qui, depuis longtemps, n’avaient épargné aucune occasion pour signifier à l’Algérie et à l’Espagne que le Maroc pourrait ne pas renouveler le contrat de passage du gaz algérien par son territoire. Une manière de jouer au poker politico-énergétique, même s’ils ne le maîtrisent pas, sachant que seule l’Algérie est en possession du joker gagnant.
C’est typique au Makhzen : lorsqu’il s’agit de fourberies et de ses intérêts mercantiles étroits, il est d’une constance et d’une excellence sans faille. En effet, sans honte bue et d’un seul revers de main, la directrice du l’ONHYM balaya, d’une part, toutes les attaques continues, graves et irréfléchies que ses employeurs et leurs sponsors mènent continuellement et férocement contre l’Algérie et, d’autre part, elle faisait semblant d’ignorer les avertissements explicites et les plus fermes depuis quarante ans de la part des institutions civiles et militaires algériennes.
Interview et discours synchronisés
La sortie médiatique de Mme Benkhadra n’était pas fortuite, mais fût programmée et chronométrée avec un autre évènement. Elle fut la préparation au discours que prononça Mohammed VI deux jours après, à l’occasion de la commémoration de ce qu’appelle le régime marocain la «révolution du peuple et du roi» (drôle d’appellation, car les peuples font les révolutions contre et non avec les rois !). Dans ce discours, le monarque se concentra particulièrement sur la relation de son pays avec l’Espagne, à qui il voulait explicitement insinuer que le régime alaouite se porte garant pour la préservation et la protection de la sécurité énergétique de son voisin du Nord. Subtilement et implicitement, il pointa du doigt vers son voisin de l’Est dont le Conseil national de sécurité venait de déclarer clairement que l’Algérie a décidé de revoir en profondeur ses relations avec son voisin de l’Ouest.
Le contrat du GME, étant la pierre centrale de l’architecture des relations économiques algéro-marocaines, mais arrivant dans peu de temps à sa fin, le régime marocain a toutes les raisons de s’inquiéter et de douter quant aux chances du renouvellement de ce contrat qui lui procurait d’énormes avantages matériels et financiers. D’autant plus que les deux partenaires/actionnaires algériens et espagnols, Sonatrach et Naturgy, ont déjà pris leurs dispositions opérationnelles pour garantir l’approvisionnement des consommateurs ibériques sans passer par le GME. Le discours de Mohammed VI et la sortie médiatique de la patronne étaient donc des évènements synchronisés dont l’objectif principal est de pousser Madrid à faire pression sur Alger pour que cette dernière renouvelle ce contrat.
L’ingratitude endémique du Makhzen
L’ingratitude est dans l’ADN politique du régime alaouite. Sans scrupules, il excelle dans la prédation et l’art de l’extorsion pour tirer le maximum d’avantages de ses partenaires. Une pratique dont il est devenu champion, particulièrement envers les pays européens. Il aspire et suce de tous les fonds. Et si un jour, on décide de lui retirer le biberon, il crie au scandale. Il devient même insolent et ingrat. C’est ce qui arrivé á l’Allemagne il y a quelques mois. En mars 2021, c’était au tour de l’Algérie de l’apprendre à ses dépens, lorsqu’elle a réclamé son bien, c’est-à-dire son territoire, en l’occurrence la palmeraie d’El-Arja, dans la wilaya de Béchar, que le pouvoir de feu Chadli laissa exploiter par les Marocains de Figuig afin d’absorber un peu de la pauvreté qui terrasse les habitants de cette région frontalière. Les Algériens garderont en mémoire les manifestations organisées par le Makhzen pour insulter l’Algérie.
Probablement, ce sera aussi la même réaction mesquine et enfantine qui arrivera dans quelques jours ou semaines, lorsque l’Algérie déclarerait au monde qu’elle n’a aucun intérêt à renouveler le contrat du Gazoduc Maghreb-Europe (GME) qui relie l’Algérie à l’Espagne, en passant par le Maroc. Ce gazoduc, qui ne doit son existence qu’à la niaiserie, la duplicité et le manque de prévoyance et d’anticipation du pouvoir politique algérien des années 1980, a généré plusieurs milliards de bénéfice net au Maroc, qui, en échange et en signe de remerciements, exporte annuellement des centaines de tonnes de drogue vers l’Algérie qui, par contre elle, paye un prix fort pour lutter contre ce fléau criminel et assassin.
Boumediene ne voulait pas d’un gazoduc qui passe par le Maroc
Bien que l’idée d’un gazoduc qui relie les champs gaziers algériens à l’Europe, en passant par le Maroc remonte initialement au début des années 1960, le président feu Houari Boumediene (paix à son âme) a toujours refusé d’octroyer gratuitement un moyen de pression à un voisin belliqueux et vassal. Le défunt Président aurait d’ailleurs insisté que s’il y a gazoduc sous-marin, celui-ci doit être impérativement construit directement entre la côte algérienne et la côte espagnole. Après sa mort, le nouveau locataire d’El-Mouradia, qui opta pour une déboumedienisation radicale de la politique algérienne et pour un rapprochement hâtif avec la France, ignora cette orientation stratégique. C’est donc sous l’impulsion des conseillers de François Mitterrand, dont on connaît l’influence sur Chadli Bendjedid, que le projet d’un gazoduc sous-marin fut déterré.
Dans un premier temps, l’ex-locataire de l’Elysée laissa au roi Fahd d’Arabie Saoudite le soin de défricher le chemin, mais il prendra rapidement le relais. Bien qu’agissant avec discrétion et attention, en raison de fortes réticences dans l’institution militaire algérienne, l’ex-Président français était en réalité l’architecte du réchauffement des relations entre les deux pays nord-africains. Dans le package du deal de ce réchauffement funeste figurait, entre autres, le projet du fameux gazoduc Maghreb-Europe qui devait, d’après les «spin doctors» de Mitterrand, passer par le Maroc pour servir, d’une part, de moteur d’intégration des économies algérienne et marocaine et, d’autre part, permettre au Maroc d’engranger les «royalties» de passage et lui assurer un approvisionnement fiable et bon marché en gaz naturel dont l’économie et la population marocaines manquaient énormément.
Dans la deuxième partie de ma contribution, qui sera publiée dans quelques jours, j’analyserai, entre autres, les bénéfices qu’engrange l’Etat marocain et élaborerai une approche qui tient exclusivement compte des intérêts économiques et stratégiques de l’Algérie et ceux de ses partenaires fiables et crédibles.
H.-N. B.
(PhD)
A suivre
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