Du narcissisme au noircissisme existentiel despotique et obscurantiste
Contribution de Mesloub Khider – Pour ne pas laisser l’ennemi ou l’adversité nous prendre par surprise, nous dicter sa volonté, nous devons constamment avoir une longueur d’avance sur leur stratégique manœuvre pour parer à leur destructrice œuvre. Après une longue nuit d’asservissement coloniale, le peuple algérien se résolut à se délivrer du cauchemar colonialiste. Il fit un rêve : recouvrer son indépendance. Il prit une radicale résolution : réaliser son rêve. Pour ce faire, il décida de s’arracher à son sommeil politique, assoupissement militant, torpeur combattante, somnolence militaire. De sortir de son lit d’endormissement combatif. S’extraire de sa léthargique existence politique. Se soustraire à la longue nuit de l’occupation coloniale pour pénétrer dans l’aube de l’indépendance du pays, dans le plein jour de la liberté recouvrée, le zénith de la dignité algérienne reconquise.
Après huit longues années de luttes armées acharnées menées sur tous les fronts, en ville comme à la campagne, au pays comme en métropole, sur les champs comme dans les montagnes, la nuit coloniale s’est évaporée, volatilisée. Emportant avec elle ses traumatiques cauchemars infligés au peuple algérien durant presque un siècle et demi. Au cours de cette période de printemps de lutte, les Algériens rayonnèrent glorieusement par leur optimiste combat, leur amour ensoleillé de la liberté, leur narcissisme national.
On l’ignore souvent : le narcissisme est l’élément indispensable du développement de la personnalité. Sans amour de soi, respect de soi, l’être humain est voué à la déperdition de son ego. A la haine d’autrui, corollaire de la détestation de soi. Il est voué à l’intolérance. A la paralysie politique. Au rétrécissement culturel. A la régression psychologique. A l’inhibition révolutionnaire. A la castration intellectuelle. A l’impuissance économique. A l’inertie productive. A la mollesse scolaire. A la frigidité scientifique.
Sans narcissisme, point de personnalité respectable. Sans personnalités respectables, point de pays respectueux, respectés. Point d’amour du pays, point de dignité, d’honneur, d’esprit de révolte, de combativité, d’âme révolutionnaire, d’esprit de camaraderie, d’humanisme.
Dans narcissisme, il y a le mot Narcisse, qui a la même étymologie. Narcisses, ces fleurs qui fêtent l’arrivée du printemps. Mais surtout, les narcisses annoncent la venue de la nouvelle saison, symbolisent aussi les nouveaux départs et les nouveaux commencements.
Dans le cas de l’Algérie, les deux concepts de liberté et d’émancipation, symbolisés par le narcissisme national et les narcisses de la renaissance de la nation, se conjuguèrent pour combattre le colonialisme et bâtir le pays.
Malencontreusement, après sa florissante et lumineuse phase de narcissisme printanier où toutes les énergies du peuple se déployèrent fièrement au grand jour durant huit longues années, l’Algérie sombra dans le noircissisme. Ce mal congénital de l’Algérie postindépendante.
En effet, la maladie de l’Algérie postindépendante s’ancre dans l’absence de narcissisme. Ou plus exactement de la volatilisation de son narcissisme. Ce noble amour de soi, condition première et primordiale de l’amour d’autrui, matrice de la tolérance, du développement de la personnalité humaine (nationale, économique, culturel).
Dès son indépendance, sous l’assaut de forces obscures déferlant de l’intérieur et des frontières, l’Algérie sombra dans la noirceur existentielle, contracta le virus de la mélancolique résignation, adopta cette pathologie en guise de mode de vie : le noircissisme. Cette forme putride de détestation de soi. De la haine de soi, de la vie, des autres, de son pays. L’Algérie renoue ainsi avec la mentalité du pauvre, l’esprit du colonisé, cette mentalité d’assisté.
Le noircissisme a consumé le narcissisme national, fauché les narcisses «novembristes». Livrant la population aux forces ténébreuses du pays : islamistes, berbéristes, terroristes, aux mains tyranniques d’un pouvoir régi par l’opacité et l’esprit de prédation et de prévarication.
De nos jours, cette haine de soi et cette noirceur de l’âme s’illustrent partout en Algérie. Dès l’aube, en guise de salutation, l’Algérien vous gratifie de sa morgue mine décomposée par l’agressivité chronique et le mal-être endémique. Tout au long du jour, la sombre nuit habite sa personne. Aucune lumière n’éclaire sa figure renfrognée. Aucune sympathie n’enveloppe son attitude dégoulinante de «dégoûtage». Aucune fierté ne redresse son échine courbée. Aucun honneur n’affleure à son esprit vicié. Aucune dignité ne lui dicte sa conduite. Aucun espoir n’attire son attention. Aucune révolution salvatrice n’emporte son adhésion, sinon celle de la révolte stérile dévastatrice ou, pire, la «révolution» islamique souhaitée par les salafistes, la création d’une «nation ethnique kabyliste» revendiquée par les irrédentistes berbéristes racistes. Aucune ambition n’innerve sa mentalité indolente. Aucun projet laborieux n’occupe sa personnalité asthénique. Tout en lui transpire le noircissisme. Il a abdiqué son légendaire narcissisme «novembriste» qui lui a permis de relever la tête devant le colonialisme, d’afficher une altière personnalité dotée d’un esprit combattif, d’un optimisme empli d’espérance, d’une inébranlable volonté de réussite et de vaincre toute adversité, de l’exigence morale de vivre libre et indépendant.
En réalité, à peine l’indépendance conquise, la noirceur existentielle a enveloppé notre pays d’un épais manteau sombre despotique et obscurantiste. La fruste idéologie FLNnèsque a encaserné la pensée algérienne. La ténébreuse religion islamiste a «mosquéeté» la culture algérienne.
Le vestige beau voile blanc immaculé moribond, le «haïk el mrama» qui embellissait nos femmes, nos mères, nos sœurs a été troqué contre le hideux hijab noir importé du sombre Orient moyenâgeux. Plus tard, longtemps, l’Algérie a été plongée dans une interminable nuit, en proie à la folle et meurtrière existence mortifère, la traumatisante décennie noire.
Aujourd’hui, même les fier(e)s et beaux (belles) algérien(ne)s ont disparu du paysage du pays, supplantés par les sombres silhouettes amochées par leur adoptive personnalité orientalisée, leur culture désorientée, leur islam orienté.
De partout, notre pays est ligoté par les ténèbres de l’existence. La « noircitude» s’est incrustée dans tous les comportements, les interstices de la société : la psychologie algérienne, la vision sociologique nationale. Même la translucide et lucide âme algérienne a été trucidée, aveuglée, obscurcie.
Voilà un néologisme qui sied à merveille à notre sombre pays : le noircissisme. Idées noires, voile noir, décennie noire, deux décennies de présidence bouteflikienne opaque dirigée par un cabinet noir, vie noire de misère, espoir assombri, culture enténébrée, système scolaire sombre, politique obscure, religion islamiste funèbre, économie funeste dominée par le marché noir, hygiène noirâtre, médecine macabre, existence algérienne sépulcrale, système social tombal, distractions spectrales.
Nous devons renouer avec le narcissisme, cet amour de soi, ce respect de soi, cette fierté de soi, cette volonté de réussite, cette rage de vivre, cet attachement au pays, traits de caractère des hommes de Novembre 54 pour pouvoir nous défaire du noircissisme. Faute de quoi, la bilieuse Algérie s’abîmera encore davantage dans les ténèbres de la nuit éternelle, le noircissisme rémanent.
M. K.
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