Les pertes subies par le Maroc suite à la résiliation du contrat de gaz révélées
Contribution du Dr Hocine-Nasser Bouabsa – Dans la première partie de ma contribution publiée le 25 août 2021 (*), j’ai rappelé la nature volatile, ingrate et fourbe du Makhzen marocain qui siphonne partout où l’occasion lui est offerte. J’ai évoqué aussi le forcing de ce régime qui a activé tous ses soutiens et sponsors pour faire aboutir coûte que coûte le renouvellement du contrat du Gazoduc Maghreb-Europe (GME) qui lie l’Algérie à la péninsule ibérique, en passant par le Maroc.
Fin de l’indulgence algérienne : exit pour le GME
Peine perdue, l’Algérie, pays propriétaire du gaz et pays souverain, en a décidé autrement. Le contrat GME ne sera pas renouvelé fin octobre prochain. Ce n’est plus une spéculation, ni une rumeur, mais une certitude, comme l’a annoncé le ministre de l’Energie algérien, jeudi passé. Le Makhzen – et surtout ses composantes influentes –, habitué à l’indulgence des responsables algériens, croyait fermement que l’Algérie allait éternellement ignorer ses agressions et sa dangereuse fuite en avant, qui le mena au fil du temps dans les bras du mouvement sioniste, persécuteur avéré du peuple palestinien et incubateur et protecteur d’Israël.
C’est l’alliance stratégique avec ce dernier pays qui a fait déborder le vase. C’est cet événement qui a enlevé aux autorités algériennes la dernière illusion. C’est là aussi que le peuple algérien a acquis l’inébranlable certitude que le régime alaouite est «irrécupérable» et que sa fuite en avant est, pour lui, une option stratégique et non un épisode tactique temporaire. Pour l’Algérie, il n’est donc plus question de continuer à le soutenir financièrement, en lui octroyant chaque année des centaines de millions de dollars.
Les Marocains ingrats disent qu’il s’agit de droits de passage ou royalties mais, en mauvais calculateurs, ils oublient que le transport du gaz dans un gazoduc direct reliant la côte algérienne à la côte espagnole aurait épargné à l’Algérie plusieurs milliards de dollars et que dans le deal du gazoduc GME qui traverse leur territoire ils étaient de loin les plus grands gagnants.
Presque 10 milliards de dollars pour le Maroc en 25 ans
Après une durée de construction de trente mois, le GME fut inauguré en 1996 et mis en service fin octobre de la même année. Si du côté algérien la satisfaction est plutôt philanthropique, du côté marocain, les responsables du Makhzen se frottaient déjà les mains. En effet, il ne faut pas être boursier à Wall Street pour calculer les milliards de dollars étalés sur une période de 25 ans que ce projet allait assurer au voisin de l’Ouest. L’exercice est simple. Sachant que le volume annuel net de gaz transitant par ce gazoduc peut atteindre 12 milliards de mètres cubes/an – la quantité de gaz brûlé pour les besoins techniques propres au gazoduc ont été prises en considération – et sachant que le Maroc reçoit, conformément aux termes du contrat, 7% de redevance sur tout mètre cube transitant par son territoire, il est aisé de calculer ce que le Maroc encaisse chaque année. Les experts estiment la valeur des redevances à environ 800 millions de mètres cubes en gaz naturel et 50 millions de dollars en devises par an. A cela viennent s’ajouter deux autres importants avantages pour le Maroc.
D’une part, il y a le coût gratuit pour le transport du gaz qui lui est livré à domicile. Et, d’autre part, il y a aussi le prix préférentiel qu’il paye pour tout le gaz qu’il achète additionnellement d’Algérie. Ce prix très avantageux, fixé conformément aux termes du contrat signé au début du projet, au nom de la chimérique fraternité, peut économiser jusqu’à 25% par rapport aux prix du marché international. Additionnant tous ces avantages, il est très probable que leur équivalent financier est proche de 10 milliards de dollars pour toute la période de 25 ans (ou min. 350 millions de dollars par an).
Le Maroc est le grand perdant
Dès l’annonce par le ministre algérien de l’Energie que le contrat GME ne serait pas renouvelé, l’armada des médias marocains à la solde du Makhzen – qui, quelques jours auparavant, prétendaient que l’Algérie n’avait pas d’autre choix que de faire transiter son gaz par le territoire chérifien – s’empressa de minimiser l’impact de cette décision sur l’économie et la sécurité énergétique marocaines.
Mais la réalité est tout autre. En effet, l’économie marocaine n’est pas seulement dépendante du gaz algérien, elle en est même extrêmement dépendante. En effet, deux chiffres soulignent cette dépendance. Primo, le Maroc consomme annuellement plus de 1 000 millions de mètres cubes de gaz, dont 800 millions proviennent du gaz algérien sous forme de droit de passage. Secundo, 20% de la production électrique marocaine sont produits actuellement à partir du gaz algérien.
En plus du manque à gagner que le Maroc doit compenser par des hausses de prix, par l’épargne ou par l’endettement, le Maroc sera obligé d’adapter, à court terme, toute son infrastructure gazière et, à long terme, sa nouvelle stratégie nationale 2021-2050 pour le développement du gaz naturel, que le ministère marocain de l’Energie vient juste de publier. La feuille de route marocaine place le gaz naturel au cœur du mix énergique dans les prochaines décennies et considère cette ressource comme un «levier pour la transition énergétique, la compétitivité de l’industrie, la décarbonation de son économie et l’accompagnement des énergies renouvelables».
Selon les propres projections de ce ministère, la croissance annuelle moyenne du besoin global marocain en gaz naturel sera supérieure à 3% jusqu’à l’an 2040. A cet horizon, la demande globale devrait atteindre 3 milliards de mètres cubes par an. Obligé de tenir compte des contraintes de la réalité, le ministère marocain de l’Energie ne cache pas la dépendance de son pays du gaz algérien sur lequel il compte comme source principale d’approvisionnement. Ceci est mentionné dans sa feuille de route 2021-2050, qu’il a présentée il y dix jours seulement. Il a évidemment ajouté dans ses plans le gazoduc chimérique projeté à partir du Nigeria, mais il sait que ce projet n’a d’existence que sur le papier. Même chose pour les découvertes imaginaires que les médias marocains rapportent parfois, mais qui sont peu crédibles si on tient compte de la constitution géophysique du sous-sol marocain.
Si, donc, en public, les autorités marocaines affichent une sérénité de façade, derrière les coulisses, c’est la panique qui règne. Les déclarations du Premier ministre El-Othmani lors d’une interview organisée à la hâte, qui s’est démarqué des déclarations d’Omar Hilale, en sont la preuve. L’initiative de cette volte-face ne vient pas d’El-Othmani lui-même, mais certainement de l’entourage immédiat du roi, ou même de Mohammed VI, s’il est en mesure actuellement d’exercer le pouvoir.
L’Algérie, de son côté, a toutes les cartes dans sa main. Elle ne doit pas s’en priver pour défendre ses intérêts au maximum. Elle doit particulièrement prendre en considération la durée de vie limitée du GME qui fêtera bientôt ses 25 ans. Un sujet que les Marocains occultent, parce qu’il anéantit tout leur argumentaire. J’y reviendrai une autre fois.
H.-N. B.
(*) Ma contribution a été rédigée deux jours avant la déclaration de Ramtane Lamamra, au cours de laquelle il annonçait la rupture des relations diplomatiques avec le Maroc. Deux jours plus tard, c’était au tour de Mohamed Arkab d’annoncer la résiliation du contrat GME. Ceci rendait certaines parties de ma contribution caduques. J’ai donc dû la réaménager pour ne garder que les points pertinents.
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