Retrait américain d’Afghanistan : Brahimi fait un parallèle avec l’Algérie
Par Nabil D. – Lakhdar Brahimi a fait un parallèle entre le retrait américain d’Afghanistan et le départ des Français d’Algérie en 1962. «Ce n’est pas une défaite militaire. C’est comme pour les Français et l’Algérie. Ce sont les Etats-Unis qui ont décidé de partir», a-t-il estimé dans un entretien au journal français Le Monde. La comparaison de l’ancien ministre algérien des Affaires étrangères s’arrête là. Il ne s’agit pas, comprend-on, d’assimiler les combattants de l’Armée de libération nationale aux talibans, mais de mettre en avant la ressemblance entre les deux situations. L’analogie peut, toutefois, paraître inappropriée, en ce qu’elle laisse entendre que le général De Gaulle aurait «offert l’indépendance aux Algériens», comme aiment à le répéter les nostalgiques de l’Algérie française et une certaine classe politique dans l’ancienne puissance coloniale.
L’ex-représentant spécial des Nations unies a affirmé que «ce sont les Etats-Unis qui ont décidé de partir» d’Afghanistan et que ceux-ci «le voulaient depuis le jour où ils ont tué Ben Laden». «Pourquoi toujours parler d’une défaite américaine ?» demande-t-il. Et de répondre : «C’est surtout une victoire des talibans, imputable à leur génie tactique.» «Avant d’être des islamistes, ce sont des Afghans qui n’abandonnent pas», a-t-il insisté, en se disant convaincu que «la paix était possible avec les talibans» si les Américains «[avaient accepté] de leur parler, avant et après leur chute, en 2001».
Lakhdar Brahimi, qui semble inciter les puissances occidentales à dialoguer avec les talibans, pense qu’il y avait lieu de les «intégrer» depuis le début dans le processus de paix dans ce pays fui par des millions d’Afghans dès la prise de pouvoir par les milices formées par le Pakistan, auquel le diplomate à la retraite reproche de n’avoir pas pu «peser» et d’être resté «hors-jeu». «Ce ne sont pas les talibans qui ont fait venir Ben Laden […], ce sont les Pakistanais qui ont validé son arrivée en provenance du Soudan», a-t-il rappelé, en soulignant qu’il est «le seul responsable de l’ONU à avoir rencontré le mollah Omar». «La première fois, c’était en 1998. Il avait un ascendant énorme sur son mouvement, même si, en interne, il y avait une direction collégiale. On a réussi à trouver une issue à une crise déclenchée avec l’Iran qui menaçait de se transformer en guerre», a-t-il dit. «En mars 1999, je l’ai revu sur l’affaire de la destruction des bouddhas de Bamiyan, dans le centre du pays, il m’avait dit qu’ils faisaient partie de leur culture. Quelques mois plus tard, il donnait son feu vert pour les détruire», a-t-il ajouté.
«En mars 1998, avant l’attaque contre les ambassades américaines [le 7 août 1998, au Kenya et en Tanzanie], j’avais rencontré l’équivalent du Premier ministre taliban. Je lui ai dit : faites attention, je sais que vous avez Ben Laden et ses légions sur votre territoire, ils ont des agendas qui n’ont rien à voir avec l’Afghanistan et cela peut vous être très préjudiciable. Il semblait très étonné. Ils ne font rien, ils sont réfugiés, m’avait-il répondu. Puis les attentats en Afrique ont eu lieu. Quand j’ai revu le mollah Omar, il m’a répondu : Ben Laden m’a dit qu’ils n’avaient rien à voir avec ça et on a des traditions d’hospitalité», a narré l’ancien représentant spécial des Nations unies pour l’Afghanistan en 2001.
Lakhdar Brahimi s’est montré persuadé que les Etats-Unis ont commis une erreur en se focalisant sur «des chantiers politico-institutionnels». Selon lui, Washington devait «d’abord se concentrer sur la création d’un Etat de droit qui repose sur trois piliers : des prisons, une police et une justice». «Si vous avez ça, le reste se bâtit autour. Vous ne pouvez pas lutter contre la corruption si vous n’avez pas une justice saine. Si le juge ou le policier est corrompu, comment voulez-vous faire accepter un Etat à une population ? Pendant vingt ans, cet objectif n’a pas été atteint, et même peu recherché», a-t-il explicité, en soulignant que «lors d’interventions étrangères, les intérêts du pays concerné sont toujours secondaires».
Pour lui, il n’est pas dit que les Etats-Unis et l’Otan ne réoccupent pas l’Afghanistan à nouveau. «On verra bien», a-t-il indiqué, en invitant les talibans à «prendre le temps de partager le pouvoir» et le reste du monde à «les aider un peu». «Surtout, il faut que trois pays – l’Iran, le Pakistan et l’Inde – considèrent que la paix en Afghanistan est plus importante pour eux que la guerre», a conclu Lakhdar Brahimi, en exhortant la communauté internationale à «tout faire pour qu’ils s’assoient à la même table».
N. D.
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