Algérie-Maroc : état de guerre ou quête de paix ?
Une contribution d’Ali Akika – Il est des gens qui veulent alerter contre une guerre éventuelle entre le Maroc et l’Algérie. Ils sont peut-être mus par de bonnes intentions, sauf que leur raisonnement repose sur des arguments qui cachent les véritables données à l’origine des tensions actuelles. Celles-ci ne sont que les produits de causes historiques que l’on évacue par des entourloupes chères à tous les prédateurs. Après la «perte» de la Mauritanie qui a échappé à la convoitise de la monarchie marocaine, et constatant aujourd’hui que le Sahara Occidental lui glisse entre les doigts de son avidité, c’est pour le roi M6 la fin du rêve du grand Maroc. Un Sahara Occidental libéré, c’est renvoyer le Maroc à sa solitude avec pour unique frontière terrestre l’Algérie. Cette perspective avec la reprise de la lutte armée par le Polisario, la nouvelle posture de la diplomatie algérienne et le droit international finiront par libérer le Sahara Occidental. L’autonomie bidon suggérée par le Maroc éclatera comme une baudruche et ira grossir le musée des batailles perdues…
Signalons que des Etats du Golfe «évidemment motivés» par leur humanisme et leur pacifisme offrent leur médiation. Ils ont même reçu l’appui de «spécialistes» (1), armés de leur connaissance approximative de l’histoire et de la géopolitique, pour appeler au dialogue. Les convictions de nos «spécialistes» reposent sur la paresseuse technique de la comparaison entre des situations et des époques différentes. Ils oublient royalement que les phénomènes historiques ont leur propre dynamique et obéissent ou subissent les rapports de force régulant les conflits en question. Ce préalable énoncé, posons la question des risques de guerre en s’appuyant sur les données de la géopolitique qui alimentent lesdits rapports de force. On sait que le concept de géopolitique n’est pas uniquement lié à la géographie. L’histoire, les réalités du terrain et le rapport de force à l’échelle internationale ont enrichi ledit concept qui est inséparable de nos jours de la géostratégie, c’est-à-dire l’art de combiner tous les paramètres qui influent sur une situation.
Enumérons les atouts géopolitiques/stratégiques dans le face-à-face Algérie-Maroc qui peuvent influer ou déclencher un conflit ?
L’Algérie. Le premier cercle de ses atouts, c’est sa position géographique et tous les facteurs qu’elle génère, circulation et mélange des populations, culture au sens large, richesse du sous-sol et état de l’économie, densité des relations économiques et commerciales avec l’environnement proche, etc.
Le second cercle, le partage d’une vision du monde dans les relations internationales et l’intégration du pays dans des institutions régionales, continentales qui facilitent des liens d’alliance ou simplement d’amitié. Le troisième cercle, c’est l’entretien de bonnes relations avec des Etats dont la puissance économique ou militaire ne peut être ignorée car la puissance de ces Etats a des résonnances en bien ou en menace sur un pays. Ça s’appelle le sens des réalités accompagnant une diplomatie tout en subtilité sans renier ses principes, ni supporter menace et arrogance.
Un dernier facteur, c’est la nature du régime politique du pays. Le poids de l’opinion internationale influe de plus en plus sur les décisions des Etats. Tout pays a intérêt à vendre une bonne image de lui, pour de multiples raisons, attirer simplement et banalement des touristes par exemple.
Signalons que les atouts de l’Algérie ne sont pas négligeables.
– Sa façade côtière face à l’Europe remplit un rôle dans les relations aussi bien économiques, humaines que sécuritaires.
– Son port de guerre Mars El-Kébir (2), à quelque encablures du détroit de Gibraltar, porte d’entrée et de sortie de la Méditerranée, est une base maritime-militaire de première importance.
– La profondeur stratégique de son immense territoire le projette au centre de l’Afrique.
Tous ces atouts bénéficient de l’héritage historique du pays, de son appartenance à des aires de civilisation (Afrique, monde arabe ou musulman). Ajoutons sa présence dans des institutions régionales, politiques et économiques, commissions de l’ONU, Union africaine, Ligue arabe, Opep (pétrole et gaz). Ne pas oublier l’outil militaire de son armée capable de défendre ses frontières sans avoir besoin d’être liée à une alliance militaire.
Le Maroc : son atout principal, c’est sa façade atlantique qui permet à des pays d’accéder en Méditerranée par le détroit de Gibraltar. Hélas pour lui, il a été dépossédé de cet atout stratégique de première importance, en abandonnant à l’Espagne Ceuta et Melilla. Quant à ses frontières terrestres, il est coincé par l’Algérie, la Mauritanie et le Sahara Occidental (2), d’où son obsession à coloniser ce dernier pays qui lui ouvrirait les portes de l’Afrique. Contrairement aux monarchies du Golfe, il ne baigne pas dans un océan de pétrole pour bénéficier de la présence d’une 5e flotte américaine (surveillance de la production et le transport du pétrole). Ses mésaventures avec l’Espagne et l’Allemagne ont révélé la faiblesse de ses outils diplomatiques.
Dépossédé de Gibraltar, le Maroc est aussi handicapé par rapport à l’Afrique. A cause de ses relations avec la Mauritanie, pas toujours au beau fixe, et surtout avec l’Algérie et la future décolonisation du Sahara Occidental. Aussi ses atouts géopolitiques relèvent plus de son concours-dépendance des positions idéologiques et politiques de l’Occident dans ses rivalités avec les pays qui contestent sa prétention de la suprématie de ses valeurs civilisationnelles.
Il n’est pas inutile non plus de se pencher sur les relations avec Israël alors que cet Etat est loin du Maroc et ne représente pas un intérêt sur le plan sécuritaire, comme le Liban, la Syrie et la Jordanie. Les intérêts d’Israël ne sont pas non plus réellement économiques. Ces deux Etats sont même des concurrents sur le marché européen (métaphore des oranges de Marrakech contre celles de Jaffa). Leurs intérêts sont donc purement politiques et sécuritaires (Affaire Ben Barka, affaire d’espionnage Pegasus). Israël se sert du Maroc car le roi préside le Comité El-Qods et manœuvre pour se faire reconnaître par l’Afrique.
Ses relations avec Israël ne datent pas d’aujourd’hui. Elles étaient «clandestines» (parce que honteuses) tant que les rapports de force internationaux et régionaux l’obligeaient à de la prudence diplomatique. La guerre en Irak, en Syrie, les Accords d’Oslo et la hantise de l’Iran ont «décomplexé» le roi du Maroc qui céda aux monarchies du Golfe et, pour finir, se jeta dans les bras d’Israël. Ces liens avec Israël lui font bénéficier, outre des appuis économiques (accords avec l’Union européenne), une protection médiatique et diplomatique. Sa politique d’occupation du Sahara, ses violations du droit international ressemblent étrangement à celle d’Israël. Il est donc payé en retour pour sa hargne contre l’Iran, son accusation grossière du terrorisme collée au Polisario et des liens qu’il entretiendrait avec le Hezbollah, cauchemar d’Israël et des féodaux du Golfe. Sans matières premières indispensables à l’industrie de l’Occident, sans routes terrestres qui le relierait à l’Afrique, il offre son territoire à des industries pour bénéficier des bas salaires au Maroc, offre son désert et plages au tourisme et aux tournages de films…
Y a-t-il un risque de conflit armé ? Personne ne le souhaite évidemment. Cependant, ceux qui appellent au dialogue (Etats ou «spécialistes») veulent que le statu quo perdure au profit de la monarchie, comme c’est le cas depuis le cessez-le-feu de 1991. Ils veulent en vérité sauver la monarchie. Ce type de dialogue, «cause toujours tu m’intéresses», on connaît le résultat en Israël, bien tranquille derrière des murs alors que des millions de Palestiniens sont parqués ici et là sur leur propre territoire.
Il est difficile de répondre à la question de guerre et de paix car, dans une guerre, on a affaire à une équation à plusieurs inconnues fort complexe. Il existe un périmètre où se nichent des erreurs de calcul ou des fautes politiques. Cependant, le rapport de force qui découle de la géostratégie dans la région ne milite pas en faveur d’un conflit armé. Quand bien même un des acteurs du conflit s’excite à vouloir en découdre, l’environnement international refroidirait ses instincts guerriers. Alors que la dernière défaite américaine en Afghanistan a sonné la récréation des va -t’-en-guerre, l’Europe non plus n’a aucun intérêt à rester passive quand le feu risque d’atteindre sa maison commune. Quand on voit Israël se faire inviter à Washington et à Moscou dans l’espoir de se faire entendre par ces deux capitales notamment sur l’Iran, on voit mal Joe Biden envoyer ses G’IS mourir au pied d’un mur de sable qui protège le petit roi du Maroc (4).
Le petit jeu du Maroc, depuis son invasion en 1975 de Saguiet El-Hamra, a assez duré. Ses petites et grandes manœuvres ne sont plus drôles. Il ne lui reste qu’à négocier avec le peuple de ce pays occupé sur la base des résolutions très claires de l’ONU et de la Cour internationale de justice de Den Hague (La Haye).
A. A.
1- Hélas, ce n’est pas la première fois que l’on voit des «spécialistes» bien de chez nous adhérer à la pensée dominante en Occident. Exemples, suggérer que l’ANP sorte de ses frontières uniquement pour le prestige et se faire bien voir par l’Occident embourbé (Mali). Comparer la Guerre de libération algérienne à l’Afghanistan actuelle. Comparer le conflit au Sahara Occidental à l’occupation du Koweït par Saddam Hussein, etc.
2- Durant la Seconde Guerre mondiale, le port de Mars El-Kébir a été bombardé pour qu’il ne tombe pas aux mains des Allemands dont les sous-marins faisaient la chasse aux navires alliés dans l’Atlantique et la Méditerranée.
3- Avant de s’en prendre au Sahara Occidental, le Maroc a voulu s’emparer de la Mauritanie dont les minerais attisaient les convoitises du Maroc comme aujourd’hui les richesses du Sahara. La France a refroidi l’avidité du roi en défendant la Mauritanie qui devint indépendante.
4- Quant à Israël, après sa défaite de la guerre des missiles de 11 jours en mai dernier à Gaza et la spectaculaire évasion de prisonniers palestiniens, vient de proposer un plan Marshall à Gaza (pour devenir un second Dubaï). Je doute qu’il disperse ses forces pour les beaux yeux de M6. La raison ? Garder ses forces pour effacer le cauchemar iranien.
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