Les pays arabes et le syndrome algérien
Par Mohamed K. – «L’inflation atteint un niveau intolérable durant ce dernier semestre 2021, plus de 50% pour certains produits alimentaires locaux et importés», alerte l’expert international Abderrahmane Mebtoul, qui avertit, dans le même temps, contre ce qu’il qualifie de «vision populiste» qui consisterait à «doubler ou tripler les salaires sans contreparties productives». Une telle démarche «entraînerait une dérive inflationniste, un taux supérieur à 20% qui pénaliserait surtout les couches les plus défavorisées» car, explique-t-il, «l’inflation joue comme redistribution au profit des revenus spéculatifs».
«Ce blocage est lié à la gouvernance car, selon les données officielles, le taux d’inflation cumulé entre 2000 et 2021, qui n’a pas été réactualisé depuis 2011, approche 100% entre 2000 et 2021 et on peut pondérer aisément à 50%, ce qui donne une détérioration du pouvoir d’achat d’environ 150% durant cette période», souligne l’économiste. «Nous assistons à une concentration excessive du revenu national au profit d’une minorité rentière où un fait nouveau apparaît, une partie de la classe moyenne commence à disparaître graduellement et à rejoindre la classe pauvre», fait-il remarquer.
Abderrahmane Mebtoul énumère quatre causes principales qui ont conduit à la flambée des prix, au premier rang desquelles «la faiblesse du taux de croissance qui résulte lui-même de la faiblesse de la production et de la productivité». L’expert se réfère à un rapport de l’OCDE qui relève que l’Algérie «dépense deux fois plus pour avoir deux fois moins d’impact en référence aux pays similaires». «Avec la dévaluation du dinar et le prix international des produits importés finis, semi-finis et équipements, 85% des matières premières des entreprises publiques et privées étant importés, le taux d’intégration ne dépasse pas 15%», ajoute le professeur Mebtoul, selon lequel le prix final au consommateur «est amplifié par la dévaluation drastique du dinar, qui est passé de 76 à 80 dinars contre 1 dollar vers les années 2000-2004 à 136 dinars contre un dollar et à 161 dinars contre 1 euro au 16 septembre 2021, avec une cotation sur le marché parallèle malgré la fermeture des frontières dépassant les 210 dinars contre 1 euro».
Pour lui, la dévaluation de la monnaie nationale se poursuivra, «ce qui rend sceptiques les investisseurs créateurs de valeur ajoutée à moyen terme, face tant à l’instabilité juridique que monétaire», précise-t-il, en faisant remarquer que cette dévaluation «permet d’augmenter artificiellement la fiscalité des hydrocarbures – reconversion des exportations des hydrocarbures en dinars – et la fiscalité ordinaire – via les importations tant en dollars qu’en euros convertis en dinar dévalué. A cela s’ajoutent «les effets du financement non conventionnel qui ne se manifestent qu’au bout de deux à trois ans». «Les gouvernements précédents avaient amendé l’article 45 de la loi sur la monnaie et le crédit en recourant à la planche à billets, sans introduire, comme je l’ai suggéré, l’institutionnalisation dans cette loi d’un comité de surveillance composé d’experts indépendants pour éviter toute dérive», déplore notre source.
Enfin, «l’inflation est alimentée par la dominance de la sphère informelle, laquelle produit des dysfonctionnements au sein des appareils de l’Etat où existent des liens dialectiques entre cette sphère et la logique rentière, avec des situations oligopolistiques de rente», souligne l’auteur de L’Intégration économique maghrébine : un destin obligé ? «Les tensions sociales, tant qu’il y a la rente, sont atténuées artificiellement grâce aux recettes des hydrocarbures qui permettent des subventions et transferts sociaux représentant 23,7% du budget général de l’Etat et 9,4% du PIB pour l’exercice 2021, mais mal gérées et mal ciblées, celles-ci ne profitent pas aux plus démunis», avertit-il, en concluant qu’il s’agit là d’un «dossier politique sensible».
M. K.
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