Daum : «Une grande vérité manque dans le discours de Macron aux harkis»
Par Mohamed K. – L’historien spécialiste du passé colonial français, Pierre Daum, a estimé qu’«il y a de grands absents» dans le discours prononcé par le président français devant les harkis, ce lundi. S’exprimant dans une émission spéciale de France 24 intitulée «Réparation aux harkis : la France face à son histoire», il a relevé qu’«il se passe aujourd’hui avec le président Macron quelque chose de très important. C’est peu de dire que la France et les gouvernements français ont eu d’énormes difficultés à reconnaître les pages sombres d’une façon générale du passé colonial. Là, il semble qu’une nouvelle étape est franchie».
«Moi, je trouve que tout est bon à prendre dans cette politique de reconnaissance des pages sombres du passé colonial», a dit Pierre Daum. «Cependant, a-t-il ajouté, il me semble qu’il y a de grands absents dans ce désir de reconnaissance et de réparation : ce sont les harkis et leurs familles restées en Algérie.» «Si on construit ces réparations d’ordre juridique, qu’on sort de l’aide sociale et on parle de droit, si on base cette justice sur les trois grands piliers fondamentaux depuis le début, que sont l’abandon scandaleux et organisé par le gouvernement du général De Gaulle de tous les harkis et leurs familles, au sens large, c’est-à-dire les fonctionnaires, les militaires de carrière, etc., les exécutions et l’accueil indigne en France, il existe aujourd’hui des dizaines et des dizaines de milliers de familles de harkis qui vivent toujours en Algérie et qui pourraient prétendre, en tout cas sur les bases de l’abandon et de l’assassinat de certains membres de leurs familles, à une réparation de la part de l’Etat français.»
«Dans ce discours de vérité, il manque également le racisme que les familles de harkis arrivées en France ont subi, non seulement dans l’internement, indigne et immonde, et même après les camps, dans leur lieu de relégation sociale où, jusqu’à aujourd’hui, sont parqués, mis à l’écart géographiquement un grand nombre de populations issues des immigrations coloniales. Là, on trouve des familles de harkis, des enfants, des petits-enfants et des familles d’immigrés algériens issus de l’immigration ouvrière qui subissent à égalité le même racisme», a souligné l’auteur du Dernier Tabou : les harkis restés en Algérie après l’indépendance, en précisant que, «selon ce qu’a dit le président Macron, cette réparation peut effectivement s’étendre aux familles des harkis restées en Algérie, sauf que là, je pense que c’est un grand absent de toute cette histoire».
«Pour moi, a-t-il poursuivi, dans tout ce discours que nous avons entendu du président Macron, qui se veut un discours de vérité afin d’apaiser les mémoires, de panser les plaies, c’est très joli sur le papier, de parler de discours de vérité, c’est très joli à entendre à la télévision mais, en fait, il manque une grande vérité dans ce soi-disant discours de vérité : c’est de reconnaître, de la part de l’Etat français, qu’à l’origine de toutes ces souffrances – et on voit comment ces souffrances sont encore tellement vives –, c’est la colonisation elle-même qui est responsable».
«Il faut – et cela me semble essentiel pour apaiser les mémoires – que le gouvernement français reconnaisse enfin que la colonisation en elle-même était un crime et que cette Guerre d’Algérie était une guerre coloniale et, donc, en tant que guerre coloniale, elle était une erreur et elle était un crime», a insisté l’historien, convaincu qu’«à partir de là, on peut espérer panser les plaies». «Les harkis sont les victimes du colonialisme, comme l’ensemble de la population algérienne de l’époque. Si on ne reconnaît pas que la colonisation était un crime, ce n’est que du bla-bla», a conclu Pierre Daum.
M. K.
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