Participation des écrivains aux congrès de la turpitude intellectuelle
Une contribution de Khider Mesloub – L’histoire bégaie. Et le monde littéraire ne sert toujours pas l’histoire. Sinon à conter des histoires fictives pour distraire les lecteurs repus et huppés. Et à tresser des couronnes à ses maîtres, à qui il sert de porte-plume, quel que soit le régime.
En 1941, en pleine pandémie guerrière mondiale, extermination totale, famine, une délégation d’écrivains français s’offre un voyage en Allemagne. Cette délégation, invitée par les dignitaires nazis, est reçue en grande pompe pour participer à la fondation de l’Association des écrivains européens voulue par Goebbels, association inscrite dans une «Europe Nouvelle» du «Führer» destinée à durer 1 000 ans, comme le proclamait la propagande nazie (de même, actuellement, le capitalisme se croit éternel, alors qu’il est en plein effondrement).
Tandis que toute l’Europe est plongée dans une guerre apocalyptique, comme notre époque est en proie à une guerre virologique, ces écrivains visitent une Allemagne sous haute surveillance (comme nos écrivains algériens, en pleine période marquée par une crise multidimensionnelle, économique, sociale, politique et sanitaire, s’apprêteraient à se rendre en Tunisie pour participer au Congrès mondial des écrivains de langue française).
La délégation française, collaborationniste, est composée d’une demi-douzaine d’écrivains partisans du régime hitlérien : Jacques Chardonne, Marcel Jouhandeau, Ramon Fernandez, Robert Brasillach, Pierre Drieu La Rochelle, Abel Bonnard. Cette intelligentsia littéraire française rencontre le ministre de la Propagande nazie Goebbels. Lors de ce voyage d’automne, elle participe à des débats intellectuels (ou plutôt des ébats instinctuels tant l’idéologie qui les anime est barbare, elle suinte l’hémoglobine de tous ses porcs, et les mœurs introverties de certains se prêtent davantage à la gymnastique lubrique plutôt qu’à la dissertation stylistique), pendant qu’en France la population subit l’occupation, les arrestations, les déportations, la malnutrition. Animés d’un antisémitisme viscéral (comme certains de nos écrivains algériens contemporains sont imbibés d’un anti-islam occidentalisé enrobé dans une rhétorique anti-islamisme), admirateur de l’Allemagne nazie, de ses penseurs et de sa puissance économique et militaire (à l’instar de nos écrivains francophones admirateurs béats de l’Occident, de sa démocratie bourgeoise – feuille de vigne derrière laquelle se dissimule la dictature du capital –, de sa culture – raciste, impérialiste. Ces écrivains français nazifiés se sentent faire partie de l’élite européenne (à l’instar de nos plumitifs algériens germanopratins persuadés d’appartenir au monde occidental «libre et civilisé» depuis qu’ils se sont greffé une kippa idéologique dans le cerveau –, incluant évidemment Israël, la seule démocratie au milieu d’un Orient barbare, comme l’Allemagne nazie était persuadée d’être l’unique nation civilisée aryenne au milieu des peuples latins basanés et dégénérés). La convocation de l’élite intellectuelle européenne par le ministre de la Propagande, Goebbels, a pour objectif de fonder son Association littéraire pour concurrencer le Pen Club, une prestigieuse organisation internationale d’écrivains européens qui avait exclu l’Allemagne en 1937.
Le point commun de tous ces écrivains européens réunis en octobre 1941 en Allemagne est leur haine viscérale des juifs (comme le point commun des écrivains maghrébins qui se rassembleront à Tunis est la haine de l’islam, qu’ils déguisent sous le fallacieux combat contre l’islamisme, cheval de Troie employé par nos chevaux de trait du sionisme).
L’un des participants, l’écrivain Chardonne se demandera, après la guerre : «Mais à quoi sert l’intelligence ?» Pour nos écrivains algériens francophiles : à rien. Sinon à vitupérer avec une langue étrangère l’islam (enrobé dans le fallacieux combat contre l’islamisme) et les «arriérés» musulmans, devenus leur fonds de commerce, à encenser la démocratie bourgeoise (le cache-sexe de l’impérialisme occidental), à se courber devant le sionisme (idéologie raciste par excellence). Mais jamais à défendre les Algériens, l’Algérie.
Quelques années auparavant, en 1934, ce furent d’autres écrivains européens (Klaus Mann, Aragon, Pasternak, Nizan ou Malraux, entre autres), d’obédience communiste, qui s’enrôlèrent au service du stalinisme en se rendant en URSS pour participer au Premier congrès des écrivains soviétiques. Plus de 590 délégués, dont 45 étrangers, participent à ce Congrès du 17 août au 1er septembre 1934. Ces voyages d’intellectuels en URSS n’étaient pas exceptionnels dans ces années du triomphe du stalinisme (André Gide accomplit son pèlerinage soviétique en 1936, d’où il revient plein de désillusions, après avoir prononcé l’éloge funèbre du grand écrivain russe Maxime Gorki, suivi de l’éloge funèbre de sa foi stalinienne ensevelie à son Retour de l’URSS). A notre époque, nos plumitifs de service se rendent en Israël pour effectuer leur «omra» lamentable en vue de leur sanctification médiatique et leur sacralisation par le sionisme mondialisé, désormais officiellement intégré par le Makhzen par l’instauration des relations diplomatiques avec l’Etat colonial d’Israël.
Pourtant, Staline est déjà le dictateur de ce nouvel empire soviétique. Quelques années auparavant, il avait perpétré un coup d’Etat en s’accaparant tous les pouvoirs. Certes, le nouveau monarque du Kremlin ne se livre pas à l’autodafé en brûlant les livres comme Hitler le fera dès son intronisation démocratique à la Chancellerie le 31 janvier 1933. Mais il tient à restructurer la culture russe, notamment la production artistique, par l’instauration de la doctrine du «réalisme socialiste». La mission est confiée à Maxime Gorki et à Andreï Jdanov. Dans son discours inaugural, le nouveau ponte intellectuel stalinien, Jdanov, du haut de la tribune, s’adresse aux écrivains : «Le camarade Staline vous a appelés les ingénieurs de l’âme, quelles responsabilités cela fait-il peser sur vos épaules ?» (De nos jours, dans un monde dépourvu de spiritualité, nous n’avons plus des «ingénieurs de l’âme», mais des ânes de l’ingénierie culturelle, chargés par leurs maîtres de porter – transporter –, obséquieusement, le discours dominant du capital distillé depuis Washington et Tel-Aviv). Jdanov explique que le réalisme socialiste, «c’est la reproduction véridique de la réalité dans le cadre du développement révolutionnaire de l’Union soviétique» (comme nos écrivains algériens intoxidentalisés nous expliquent que la démocratie bourgeoise est l’unique reproduction politique valable pour notre pays, exercée dans le cadre du capitalisme, cet horizon indépassable, selon les thuriféraires du libéralisme).
Quant à son congénère, Gorki, dans une longue allocution, il fustige le «romantisme bourgeois de l’individualisme» (aujourd’hui, nos écrivains algériens intoxidentalisés, pétris de l’idéologie bourgeoise individualiste, par un renversement de la réalité, fustigent «les rétrogrades musulmans» pour leurs «mœurs» fondées sur la collectivité et l’entraide, leurs mentalités étouffées par l’esprit de communauté), qui, «détourné de la réalité», «ne se construit pas en prenant pour base la représentation convaincante, mais uniquement la magie du mot comme chez Proust et ses continuateurs». Il dénonce une littérature occidentale qui a troqué la réalité contre «le nihilisme du désespoir». Nos écrivains algériens «modernistes», à la plume agile mais au savoir fragile, ces magiciens des mots mais jamais guérisseurs des maux (des Algériens), dénoncent, chez les Algériens, leur «religion de l’espoir», autrement dit l’islam, ridiculisée car il symboliserait la mentalité grégaire.
Avec les deux successifs congrès réunis dans ces pays dictatoriaux, le dessein de leurs organisateurs était de propager le virus de leur pestilentielle idéologie macabre, d’affermir le pouvoir de leurs dictateurs respectifs mais point respectables.
Un siècle plus tard, de nos jours, en pleine période marquée par la pandémie de Covid-19, la terreur virale, la paupérisation généralisée, l’explosion du chômage, les préparatifs de la troisième guerre mondiale, la militarisation de la société, selon l’information rapportée par le site Algérie54, un «Congrès mondial des écrivains de langue française» se tiendra à Tunis les 25 et 26 septembre 2021, à l’initiative de Leila Slimani, «représentante personnelle du Président français Emmanuel Macron pour la francophonie, et fortement liée à la monarchie du Maroc par des liens familiaux mais aussi médiatiques, pour qui la démocratie s’arrête brusquement au palais royal», écrit Algérie54. «Ce qui est plus grave encore, c’est de voir des défenseurs du régime colonial de Tel-Aviv, tels que Kamel Daoud ou Boualem Sansal instrumentaliser la francophonie pour diffuser leur idéologie condamnée par les progressistes du monde entier», souligne Algérie54.
«Quant à Boualem Sansal, ce fervent supporter du régime d’apartheid de Tel-Aviv, qui déploie toute son énergie pour étouffer le Droit international, le traitement inhumain infligé au peuple palestinien est un partenaire du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France), une organisation de défense du colonialisme israélien qui n’est plus à présenter. Boualem Sansal est celui qui est «revenu heureux et comblé» d’Israël, après son voyage en mai 2012, mais qui a juste oublié de visiter les geôles où croulent les enfants palestiniens, les femmes palestiniennes, les pères et les mères de familles, les personnes âgées, les militants des «droits humains», les refuzniks et tous ceux qui luttent pour le «droit et la justice». Boualem Sansal sert donc à blanchir les crimes commis contre le peuple palestinien et à balayer les rapports sur l’apartheid et les crimes commis par l’Etat d’Israël», précise le site Algérie54.
Le texte s’achève par un appel au peuple tunisien : «Nous appelons les citoyennes et les citoyens tunisiens libres, les partis politiques, les syndicats, les vraies organisations de défense des droits humains, épris de liberté et de justice, à dénoncer cette mascarade néocoloniale et à exiger son annulation. La Tunisie n’est pas une chasse gardée du colonialisme, et le peuple tunisien ne peut accepter une telle manœuvre idéologique, sous couvert d’un pseudo-congrès mondial de la francophonie.»
Lors du premier congrès des écrivains soviétiques, le célèbre écrivain russe Pasternak déclara : «Ne sacrifiez pas votre personnalité à votre situation. Trop grand est le risque de devenir un bureaucrate de la littérature.»
Nos écrivains algériens occidentalisés ont sacrifié leur dignité en devenant les larbins du capital, les rabbins de la littérature.
Pour conclure, dans cette sinistre période marquée par une crise multidimensionnelle, de préparation de troisième guerre mondiale, je reprendrai à mon compte, à l’endroit de ces écrivains qui participent à ce honteux congrès de Tunis, ce vers tiré d’un poème d’Alphonse de Lamartine : «Honte à qui peut chanter pendant que Rome brûle» – autrement dit, pendant que l’humanité est menacée de disparition par les famines, la guerre nucléaire préparée par les grands capitalistes.
K. M.
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