Impact du redéploiement américain dans la zone Algérie-Sahara Occidental-Maroc
Une contribution d’Ali Akika – Deux événements importants ont eu lieu dernièrement, le départ des Etats-Unis d’Afghanistan après leur défaite militaire et le coup de Trafalgar asséné par les mêmes Etats-Unis à la France à travers l’annulation du contrat des sous-marins vendus à l’Australie. Ces événements révèlent ce que cache la manœuvre américaine derrière leur stratégie mondiale et le nom de leur adversaire. Comment l’Afrique, donc l’Algérie, sera-t-elle impactée par un tel bouleversement ?
Mais, auparavant, il faut rappeler que le redéploiement américain ne date pas d’aujourd’hui mais au lendemain du 11 septembre 2001. Plus exactement en 2004 après que le terrorisme a attaqué la citadelle américaine et que la Chine était dorénavant perçue, non plus comme une menace virtuelle mais réelle. Il faut aussi rappeler qu’un redéploiement stratégique sur le plan militaire ne se réduit pas au déplacement de forces militaires d’une région à l’autre. Il est loin d’être uniquement une opération technique et de logistique.
Avant d’élaborer un plan de redéploiement de son armée, une puissance comme les Etats-Unis tient compte de la réaction des forces politiques au Congrès qui sont liées à ce que le président David Eisenhower appela le complexe militaro-industriel. En plus de cette contrainte politique interne, les Etats-Unis ne s’installent pas, comme jadis, avec armes et bagage, sans prendre des précautions dans le pays où ils pensent construire des bases militaires. Aujourd’hui, les Américains sont directement sous le feu des peuples dès qu’ils mettent les pieds dans un pays, même provisoirement, vaincu ou affaibli, Irak, Syrie, Yémen.
Le futur redéploiement des armées américaines en direction de la zone indo-pacifique était déjà pensé et de nos jours se met petit à petit en place. Ce redéploiement concernait potentiellement leurs troupes en Europe et au Moyen-Orient. En Afrique, leur dispositif militaire est plutôt «discret» par rapport aux bases militaires françaises. La surveillance du continent par satellite et, à partir de leur base de Diégo Garcia près de l’île Maurice, leur suffit de «faire un saut», par exemple, en Somalie, qui, du reste, se termina en fiasco, comme l’a montré le fameux film La Chute du faucon. Que vient faire l’Afrique, diraient certains dans la politique américaine de contenir, isoler la Chine ? C’est oublier que l’outil militaire est loin suffisant, surtout si l’ennemi peut vous faire autant de mal par sa riposte de défense. Faire céder un adversaire en lui coupant ses sources de ravitaillement et son commerce extérieur est parfois plus efficace qu’un hypothétique acte militaire. Ainsi, la forte présence économique et même militaire de la Chine (base sur la côte ouest de l’Afrique) «exige», aux yeux des Américains, de contrer ce redoutable concurrent. Voyons pourquoi des pays de la Zone Algérie, Maroc, Sahara Occidental intéressent les Etats-Unis ?
Algérie. Grosso modo, et diplomatiquement parlant, l’Algérie n’a pas de contentieux directs et sérieux avec les Etats-Unis. Il paraît même que les Américains apprécient les capacités des services de renseignement algériens dans le domaine antiterroriste. De même qu’ils peuvent demander son aide quand ils ont maille à partir avec des pays ou organisations de résistance qui leur feraient des «misères». Par exemple, les aider à libérer leurs otages à Téhéran (1979-81). Sa position géostratégique et son poids en Afrique sont des cartes non négligeables pour les Américains massivement présents en Méditerranée avec leurs bases de l’OTAN où mouille leur 6e flotte.
Le Maroc partage la même «vision» du monde avec les Etats-Unis. Cette vision consiste à faire partie du syndicat des monarchies qui ont été séduites depuis belle lurette par le marché des dupes conclu avec Israël. Monarchies du Golfe et Israël sont les deux pions de la stratégie américaine au Moyen-Orient. Le Maroc est un bon allié contre l’Iran mais aussi celui d’Israël dont l’obsession est de se faire reconnaître par les pays arabes. En contrepartie, la monarchie marocaine offre une ambassade à Israël à Rabat, son désert pour des manœuvres militaires comme dernièrement, à la suite de la reprise du combat par le Polisario.
Quant au Sahara Occidental, devenu «marocain» par le duo cynique et à bout de souffle Trump-Netanyahou, le Polisario a repris le combat pour mieux signifier à ces cow-boys que l’époque du Far-West est révolue. Et le ministère des Affaires américain qui tient à jour ses fiches, à la différence de la diplomatie gribouille de Trump, s’est gardé de dire des choses définitives sur ce Sahara «marocain» mais continue à se conformer au droit international. Du reste, les Etats-Unis ont dû mettre leur poids dans la nomination du diplomate Staffan de Mistura pour le Sahara Occidental après douze rejets par le Maroc de candidats proposés de l’ONU.
De ces trois pays, les Etats-Unis ont moins de facilité d’écoute en Algérie. L’Africom dirigé par les Américains cherche à «recruter» des pays africains pour matérialiser et renforcer la présence de forces américaines. La visite actuelle du chef de l’Africom en Algérie n’est pas une nouveauté. Alger est devenu un passage obligé à chaque fois que le climat dans la région se réchauffe. C’est un signe que l’Algérie ne laisse pas indifférents les Américains. Mais comme on le sait, l’Algérie n’a pas vocation à recevoir sur son territoire une force étrangère sous quelque forme que ce soit. Elle a déjà exprimé son refus politique contre toute présence étrangère sur son sol. La déclaration du général chef de l’Africom Steffen Townsend, il y a quelques jours, «les Etats-Unis apprécient le rôle de l’Algérie dans la consolidation de la sécurité et de la paix dans la région» est une reconnaissance du poids de l’Algérie. En prenant acte de ce rôle, les Etats-Unis ne peuvent ensuite ignorer, ni sous-estimer la colère de l’Algérie contre les actes de provocation d’un voisin qui se permet d’introduire un loup à ses portes. Mais avant de développer l’éventuelle posture des Etats-Unis dans la région, il est utile de fixer quelques images africaines dans les relations des Etats-Unis avec ce continent.
Ainsi, les Etats-Unis s’intéressent, pour ne pas dire surveillent les positions de l’Algérie sur des dossiers de la Libye et le vaste Sahel où l’Algérie n’est pas démunie de cartouches. D’autant que cette vaste région va être «orpheline» de la France et que le Mali est sur le point de confier une partie de sa sécurité à une organisation paramilitaire russe. On connaît les futurs déménagements des forces américaines stationnées en Europe et au Moyen-Orient vers l’Indo-pacifique. Mais pour réussir «l’encerclement» de la Chine, les Etats-Unis ont besoin de cette Afrique située face au détroit Bab El-Mandeb qui donne sur l’océan Indien. Une Afrique qui a également une très longue côte sur l’Atlantique. Des pays qui comptent comme le géant nigérian qui va être relié dans un proche avenir à l’Algérie par l’autoroute saharienne et la construction du gazoduc Lagos-Alger qui va alimenter demain l’Europe.
L’Afrique est ainsi en train de passer du terrain de la convoitise actuelle «pacifique» entre puissances à la confrontation violente qui serait une variante de la «conférence de Berlin» de 1884-85 (1). Mais aujourd’hui, ce continent est indépendant et possède des amis comme la Chine et la Russie déjà en place. Ainsi, l’Algérie, dont la position géopolitique qui a montré son importance avec la fermeture de son ciel au Maroc, entretient de relations plus qu’amicales depuis la Guerre de libération avec la Chine et l’ex-URSS. Ses atouts géopolitiques sont pris en compte par les Etats-Unis et la France dont les positions sont grignotées par de nouveaux arrivants en Afrique. La prochaine conférence sur la Libye qui va se dérouler en France, comme celle de l’année dernière à Berlin, sera marquée par la présence de l’Algérie et l’absence du Maroc. Il est évident que l’agitation du Maroc sur la Libye suscitée par les Emirats du Golfe ne suffira pas pour lui offrir un quelconque rôle en Libye. Le Maroc n’a aucun levier militaire, ni économique, contrairement à l’Algérie qui possède 1 000 km de frontières avec la Libye.
Au regard des enjeux entre grandes puissances en Afrique mais aussi des contraintes politiques et militaires des Etats-Unis, il est certain que cette puissance ne laissera pas divertir par un conflit suscité par un roi assis sur un trône bancal et un Etat malmené à l’intérieur et impuissant à l’extérieur, devant une résistance qui l’affronte non plus avec une simple Kalachnikov mais avec des missiles. Les Etats-Unis ne feront pas inutilement des fleurs au Maroc, d’autant que ce pays enclavé par rapport à l’immense Sahel, ne peut apporter aucune aide aux Américains dans cette région. Une région déjà en crise mais qui risque de devenir volcanique avec le départ de la France.
Toutes ces données, bonnes relations diplomatiques avec les Etats-Unis et les atouts militaro-géopolitiques de l’Algérie, incitent à dire, à spéculer au moins sur une relative «neutralité» des Etats-Unis dans la tension Maroc-Algérie (2). A moins que la provocation d’un roi aux abois et un Etat décidé à fragmenter la région ne viennent mettre le feu aux poudres. Mais si des apprentis sorciers veulent jouer au malin, les rapports de force sur le terrain et la pression diplomatique de beaucoup de monde refroidiront les ardeurs des aventuriers qui auront alors mal évalué leurs capacités et leurs relations.
A. A.
1- La conférence de Berlin de 1884-85, les Occidentaux ont dépecé le continent africain pour se partager le festin. Je fais allusion à cette sinistre conférence pour dire qu’aujourd’hui ce genre de crimes n’est plus possible. L’Occident a des puissances rivales redoutables mais, surtout, les peuples africains ne se laisseront plus amener à l’abattoir.
2- La victoire du Polisario devant la juridiction européenne qui déclare caducs les accords sur les richesses du peuple sahraoui est la preuve de la détérioration de l’image du Maroc, détérioration elle-même liée à l’impuissance des lobbys qui le soutiennent.
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