Rappels utiles au rhéteur Eric Zemmour prétendument nourri de culture…
Une contribution d’Abdallah Zekri(*) – La France est en danger, il faut la sauver avant qu’il ne soit trop tard. Et quel est ce péril qui menace d’engloutir notre vieille nation sous nos yeux de citoyens candides mais bientôt atteints d’incapacité, quand il s’agira précisément de réagir ? L’islam et les musulmans, pardi ! A huit mois de la présidentielle, c’est dans ce piège que l’on veut enfermer le débat électoral. Et c’est un polémiste, dont on peut parier qu’il ne séduit même pas sa famille biologique, qui fixe le cadre. Il est triste de constater que de nombreuses figures politiques républicaines se sont déjà précipitées dans la fosse puante. Nous parions que la course va se poursuivre. Et cela m’inquiète, en tant que citoyen d’abord, et en tant que responsable chargé d’une mission d’observation de l’expression de l’islamophobie sous toutes ses formes, ensuite. La parole antimusulmane est tellement libre que l’on s’autorise même à faire du fichage public. Le site français de souche a ainsi dressé une liste de militants présentés comme des «islamo-gauchistes», ce qui équivaut à un crime dans l’esprit de ses animateurs.
Que l’extrême-droite xénophobe et antirépublicaine agite ces thèmes, nous y sommes habitués. C’est son ADN. L’étranger, même sans lien avec son pays d’origine, doit être désigné comme la source du danger en vue de susciter une demande de protection par la famille gauloise. Nous sommes passés de la stigmatisation à la désignation de coupables. Sauf que – et c’est là où le polémiste se trompe – ces «coupables» ne sont souvent pas des étrangers, fussent-ils prénommés Mohamed, comme le Prophète de l’islam, mais des Français. Et, parfois, depuis des siècles.
Puisqu’il est attaché à la notion de souche, rappelons à ce rhéteur prétendument nourri de culture que beaucoup de musulmans ont fait souche dans ce pays après la bataille perdue de Poitiers en 732. Les soldats vaincus se sont dispersés autour du lieu de la bataille mais n’ont jamais traversé la Méditerranée dans l’autre sens. Ils n’ont jamais retrouvé les lieux d’où ils étaient partis en 711 à la conquête de l’Espagne sous le commandement du gouverneur de Tanger, le Berbère converti Tariq Ibn Zyad.
Par ailleurs, dans ces quartiers populaires que certains appellent exagérément les «territoires perdus de la République», ce sont des Français qui y vivent. Souvent, ils y sont nés et y ont grandi. Certains s’en sont arrachés quand ils l’ont pu. Mais ce ne sont pas des immigrés qu’il est possible de reconduire à la frontière. Et puis, quelle frontière puisqu’ils n’ont pas d’autre patrie que la France même si certains sont tourneboulés par une image d’Epinal du pays des ancêtres. Une image fantasmée née de frustrations et d’espoirs contrariés qu’ils croient pouvoir assouvir dans un lieu d’origine fantasmé. Si ces quartiers sont gangrenés par la délinquance, c’est dans les politiques publiques ratées qu’ils faut en chercher les causes et non dans les origines culturelles de ces populations. Au demeurant, la majorité des habitants ne sont pas des délinquants. Ils en sont aussi les victimes.
Ceux qui sont tombés dans le piège de la délinquance n’auraient sans doute pas échappé à ce piège si leurs parents avaient eu l’idée zemourienne de ne pas les appeler Mohammed, Ali, Karim. A coup sûr, ils n’auraient pas eu un meilleur destin en se faisant appeler Philippe comme Pétain ou Maurice comme Papon. Invitons d’ailleurs M. Zemmour à se rendre dans les cimetières où reposent les soldats morts pour la France. Il y verra que les stèles sont plus recouvertes du prénom de Mohammed que de celui d’Eric.
Prétendument féru d’histoire, le polémiste Zemmour répugne à ouvrir toutes les pages de l’histoire de France. Il y verrait pourtant que ce n’est pas une nation ethnique. Est-il animé par le zèle du nouveau converti, lui le Judéo-berbère francisé par le décret Crémieux ? La France est une terre d’immigration où le profil de la population est le plus divers d’Europe. C’est un pays dans lequel les citoyens s’unissent par leur adhésion à un projet commun et non par le renoncement à leurs origines. Qui demande d’ailleurs aux Français expatriés de renier leurs origines ? Dans un pays musulman comme le Maroc où ils y sont des milliers, ils ne sont pas sommés de parler la langue arabe et d’aller à la mosquée.
La France est un pays qui intègre mais qui n’assimile pas. J’avais déjà en 1974 combattu cette proposition d’assimilation faite par le président Giscard car, pour moi, l’assimilation c’est tout simplement la négation de soi, de sa civilisation, de sa culture, de son histoire et de son passé. La théorie du grand remplacement est une fumisterie tous les jours démentie par le comportement de la grande majorité des musulmans qui adhèrent aux valeurs de la République. C’est une adhésion, aujourd’hui plus aisée, parce que les nouveaux immigrés qui choisissent notre pays sont des cadres maîtrisant notre langue et ayant une familiarité avec notre culture. Ce sont des ingénieurs, des médecins, des chercheurs, des architectes, des professeurs. Nous les rencontrons dans nos laboratoires, dans nos hôpitaux et dans nos universités. Ce sont des cadres qui prennent la nationalité de notre pays pour le servir sous ses propres couleurs. Pour défendre ses valeurs, à commencer par la laïcité dont ils ont compris la liberté qu’elle offre à chacun.
Malheureusement, cette constituante fondamentale de notre socle républicain est parfois détournée pour refuser aux musulmans la pratique de leur culte. Certains la veulent tellement invasive qu’on risque de la voir transformée en code prescriptif qui régirait nos manières de nous habiller et de manger. Une sorte de nouvelle religion opposable à l’islam. Or, la laïcité c’est la concorde, la liberté. C’est la seule possibilité de cohabitation entre croyants de tous les cultes, entre eux tous et les infidèles. Nous demandons que l’islam, religion révélée au même titre que les autres religions, doit être traitée comme ces dernières.
Le gouvernement français est en droit de définir souverainement sa politique migratoire et en devoir d’assurer la sécurité de ses citoyens et de les protéger contre le terrorisme. En tant que musulmans, nous avons conscience du détournement subi par notre religion par des esprits étriqués et manipulés par des prêcheurs de haine. Nous prenons nos responsabilités, en collaboration avec les pouvoirs publics, pour neutraliser ces individus.
Alors que les débats sont appelés à se tendre et la campagne électorale à s’animer, j’exhorte les femmes et hommes politiques à promouvoir les sujets qui unissent les Français et non ceux qui les divisent. Du Brexit aux nouvelles alliances internationales, du réchauffement climatique à la désindustrialisation, de l’état de la recherche de nos universités, en passant par les effets de la pandémie, l’état de nos hôpitaux, la santé de nos enfants et de nos aînés, il y a tant de défis à relever et d’avis à solliciter. Ne laissons pas la campagne électorale s’échouer dans l’abîme du racisme et de la xénophobie.
A. Z.
(*) Président de l’Observatoire français de lutte contre l’islamophobie (CFCM), président de la mosquée de la Paix (Nîmes).
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